La schizophrénie est une maladie psychiatrique chronique caractérisée par la déstructuration de la pensée et la perte du contact avec la réalité, et dont les premières descriptions remontent à la seconde moitié du XIXème siècle. Longtemps freinée par le dogmatisme idéologique, la recherche a énormément progressé et propose aujourd’hui une approche plus globale, postulant que l’expression clinique d’une vulnérabilité génétique se fait à la faveur d’un environnement pathogène. La prise en charge s’est également améliorée, tout comme le regard porté par la société sur la pathologie, même si des progrès sont encore nécessaires dans tous ces domaines.
1. Symptômes, diagnostic et évolution
Selon les critères du DSM-IV, qui restent les plus utilisés dans le monde, le diagnostic de schizophrénie est basé sur un ensemble de signes jugés caractéristiques ( idées délirantes, hallucinations, discours désorganisé, symptômes négatifs tels qu’émoussement affectif ou perte de volonté), répondant à des critères de durée et d’exclusion tout en entraînant des perturbations sociales et occupationnelles marquées. L’individualisation de cinq sous-types (paranoïde, désorganisé, catatonique, indifférencié et résiduel) permet de rendre compte de l’hétérogénéité clinique de la maladie. Les modes évolutifs se partagent entre une chronicité épisodique avec ou sans rémission complète et une chronicité continue.
Cette approche catégorielle délimite la Schizophrénie de façon plus ou moins arbitraire. Mais si elle permet d’aboutir à un dénominateur commun indispensable aux travaux de recherche, elle ne rend pas compte de tous les modes d’expression de la maladie, regroupés aujourd’hui au sein du spectre de la Schizophrénie.
Une nouvelle approche, dimensionnelle, se développe depuis les années quatre-vingt et regroupe les symptômes en plusieurs dimensions cliniques indépendantes, et coexistant à des degrés variables d’un patient à l’autre. Les trois principales dimensions individualisées dans la Schizophrénie sont : la symptomatologie positive, la symptomatologie négative et la désorganisation.
Les symptômes positifs correspondent au syndrome délirant. Les idées délirantes sont des idées fausses, sans fondement, auxquelles le sujet attache une foi absolue, non soumise à la preuve et à la démonstration, non rectifiables par le raisonnement. Elles peuvent être centrées sur un ou plusieurs thèmes (persécution, influence ou idées mystiques) et sous-tendues par un ou plusieurs mécanismes (interprétation, intuition, imagination, hallucination). Le délire du schizophrène est typiquement construit de façon floue et polymorphe sur plusieurs thèmes et mécanismes. Les hallucinations peuvent concerner toutes les modalités sensorielles mais les hallucinations auditives sont de loin les plus courantes, éprouvées généralement comme des voix familières ou étrangères et sources de modifications notables du comportement (attitudes d’écoute, dialogue avec les voix, obturation des oreilles ou couverture par un son plus intense comme la musique au casque).
Les symptômes négatifs correspondent aux aspects déficitaires de la maladie. L’émoussement affectif est fréquent, se traduisant par une réduction importante du langage corporel et de la gamme d’expressions émotionnelles, le visage apparaissant volontiers immobile, impassible avec peu de contacts oculaires. L’appauvrissement de la pensée aboutit à une diminution de la fluence et de la productivité du discours. Les réponses sont souvent brèves, laconiques voire vides. À ceci s’ajoute l’incapacité à initier et à préserver des activités dirigées vers un but. Cette perte de volonté peut aboutir à de longues périodes d’inactivité, d’immobilité, et à une nette diminution de l’intérêt porté aux activités sociales et professionnelles.
La désorganisation des pensées correspond à un relâchement des processus associatifs qui permettent le fonctionnement mental. Cette dissociation entraîne des troubles du cours et du contenu de la pensée révélés par le discours et le comportement du patient. Le discours est désorganisé, fait d’élaborations stériles, inadaptées, de raisonnements abstraits, hermétiques, incohérents, d’interruptions subites inexpliquées, et parfois d’un langage propre composé de mots nouveaux (néologismes) ou d’autres utilisés de façon inadéquate. Le comportement du patient schizophrène est caractérisé par l’incompatibilité entre les idées, les sentiments et les actes, ce qui donne un aspect de contradiction, de paradoxe et d’incohérence. Ce phénomène est désigné par le terme discordance et se traduit par un comportement désorganisé, bizarre et imprévisible. La catatonie en est une des manifestations les plus extrêmes et associe stupeur, agitation paroxystique et postures inappropriées, rigides, et résistantes à la mobilisation.
L’âge moyen du premier épisode de la maladie se situe au cours de la deuxième décennie. Si le début des troubles peut-être brusque ou insidieux, la majorité des patients présente une phase prodromique se manifestant par l’apparition lente et graduelle de symptômes variés, souvent rapportés ou confirmés par l’entourage (ex. retrait social, perte des intérêts, détérioration de l’hygiène et du contact, comportements inhabituels et accès de colère). La schizophrénie évolue par la suite vers la chronicité de façon variable. Certains patients présentent une alternance d’exacerbations et de rémissions plus ou moins partielles, alors que d’autres restent malades de façon continue. À long terme, l’évolution peut-être stable ou se caractériser par une aggravation progressive associée à une incapacité sévère. L’espérance de vie des patients schizophrènes est inférieure à celle de la population générale, ce pour diverses raisons. Entre 20 et 40 % des patients font au moins une tentative de suicide au cours de l’évolution de la maladie, le taux de suicide est de 10%. Par ailleurs, la comorbidité avec les troubles liés à l’utilisation de substances est importante (alcool, cannabis ou autres drogues). 80 à 90 % des patients présentant une schizophrénie sont des fumeurs réguliers de cigarettes. Les troubles anxieux, notamment le trouble panique et le trouble obsessionnel-compulsif sont également fréquents chez les patients schizophrènes.
2. Épidémiologie, facteurs de risque et étiopathogénie
La prévalence moyenne de la Schizophrénie est généralement située autour de 1%. L’incidence est habituellement calculée à partir des admissions hospitalières, et ne permet donc pas d’évaluer les formes insidieuses ni les patients traités en ambulatoire.
Les facteurs de risques sont nombreux, à la fois génétiques et environnementaux. Les gènes impliqués sont nombreux, leurs interactions sont complexes, et leur expression est probablement perturbée dans la schizophrénie en réponse à des fluctuations de l’environnement (modèle stress-vulnérabilité). L’essentiel de ces interactions surviendraient au cours du second trimestre du développement anténatal, une période correspondant à la neurogenèse et à l’organisation corticale. Les facteurs environnementaux commencent à être cernés, et se situent dans les champs de l’infectiologie (grippe, Borna virus, toxoplasmose), de la nutrition et de l’obstétrique (mauvaise croissance fœtale, prématurité, complications de la délivrance), mais aussi au niveau de divers éléments susceptibles de générer un stress maternel et fœtal. À ces éléments s’ajoutent des facteurs de risque environnementaux sociodémographiques et psychologiques. La schizophrénie est ainsi associée à un bas niveau socioéconomique, à un statut familial de célibat, à un pauvre statut occupationnel, aux milieux urbains ainsi qu’à des antécédents familiaux migratoires. Le stress maternel (ex. grossesse non désirée, mort du père), aigu ou chronique, est également associé à un risque plus élevé de survenue de la maladie, de même qu’un stress infantile prolongé (ex. perte, séparation) dont les effets sont d’autant plus importants qu’ils surviennent précocement.
L’existence de perturbations périnatales et infantiles du développement cérébral à l’origine de la schizophrénie est aujourd’hui un fait et non une hypothèse. Les diverses anomalies macroscopiques, histologiques et moléculaires relevées au niveau cérébral découlent vraisemblablement d’une anomalie de la plasticité synaptique, entraînant des perturbations secondaires des systèmes neuromédiateurs. Toutefois, cette phase développementale périnatale, aboutissant à une dysplasie des réseaux neuronaux, ne serait que la première étape d’une cascade d’évènements aboutissant à la schizophrénie. Le développement cérébral se poursuit normalement durant la période infantile qui reste peu symptomatique. En revanche, durant la puberté surviennent des perturbations de la maturation cérébrale en relation avec l’augmentation physiologique des corticostéroïdes et des androgènes conduisant à la déficience des réseaux neuronaux. Cette phase précède l’apparition de manifestations cliniques et comportementales d’intensité variable, en rapport avec la phase prodromique de la maladie. Ladécompensation survient au seuil de l’âge adulte : chez les individus prédisposés, soumis à des facteurs de stress, la destruction des neurones et l’élimination massive des synapses induit un déséquilibre de la transmission dopaminergique responsable du premier épisode aigu de la maladie. S’en suivrait une authentique dégénérescence des tissus cérébraux, en relation avec des phénomènes excitotoxiques enclenchés par le déséquilibre des systèmes neuromédiateurs. L’évolution ultérieure est surtout marquée par les conséquences fonctionnelles du handicap acquis, avec généralement une moindre fréquence et une moindre intensité des épisodes psychotiques aigus.
3. Thérapeutique
La prise en charge de la Schizophrénie doit être multidisciplinaire et initiée le plus tôt possible. Initialement curative, puis préventive des récidives, elle doit être adaptée au tableau clinique et au sujet. Cette prise en charge ne doit pas être centrée uniquement sur la réduction des symptômes, mais également viser l’amélioration de la qualité de vie et du fonctionnement social. L’approche bio-psycho-sociale doit ainsi aborder le sujet dans son intégralité en associant une approche pharmacologique, psychologique et sociale.
Le traitement médicamenteux repose sur les neuroleptiques atypiques qui doivent être utilisés en première intention. Au moins aussi efficaces que les neuroleptiques (ou antipsychotiques) classiques sur les symptômes positifs, ils s’en distinguent par leur action sur la symptomatologie négative et certains troubles cognitifs. Les antipsychotiques atypiques induisent également moins d’effets indésirables neurologiques, ce qui favorise l’observance thérapeutique et réduit le risque de rechute. Les principales molécules disponibles en France sont la risperidone (Risperdal), l’olanzapine (Zyprexa), l’amisulpride (Solian), l’aripiprazole (Abilify) et la clozapine (Leponex). Si l’efficacité de ces molécules parait équivalente au vu des données disponibles, les profils d’effets secondaires sont différents et interviennent donc pour une large part dans le choix d’une molécule selon la logique du rapport bénéfice/risque. Les effets indésirables extrapyramidaux des neuroleptiques (dystonies aigues, parkinsonisme, akathisie, dyskinésies tardives), bien qu’ici moins fréquents et moins intenses que pour les NL classiques, restent impliqués dans la non compliance au traitement chez un tiers des patients. Les troubles psychiatriques chroniques sont associés de manière intrinsèque à un risque élevé de survenue d’un syndrome métabolique, retrouvé chez plus d’un tiers des patients schizophrènes. Les antipsychotiques en constituent un facteur aggravant car ils peuvent entraîner prise de poids, diabète ou anomalies lipidiques. Une hyperprolactinémie et des troubles du rythme cardiaque sont également relevés.
Bien que leur utilisation tende à décroître, certains neuroleptiques classiques présentent un intérêt, par leur effet sédatif dans le cadre de l’urgence (loxapine : Loxapac, cyamémazine : Tercian, chlorpromazine : Largactil, lévomépronazine : Nozinan) ou par leur action prolongée dans le cadre d’une mauvaise observance thérapeutique (halopéridol : Haldol Décanos, flupentixol : Fluanxol, fluphénazine : Modecate…).
Fréquemment associés, certains médicaments visent à contrer les effets indésirables des neuroleptiques. Les anticholinergiques (Artane, Lepticur, Akineton ou Parkinane) contre les syndromes parkinsoniens (dyskinésies précoces et syndrome akinéto-hypertonique) ; Hept-a-myl, Praxinor ou Gutron contre les hypotensions orthostatiques ; Artisial ou Sulfarlem pour corriger les hyposialies…
La prise en charge psychosociale repose sur les thérapies comportementales et cognitives (TCC) et la psychoéducation. Les TCC reposent sur l’analyse des pensées, des croyances, et des comportements qu’elles provoquent. Face à un comportement inadapté à la vie en société, on va donc remonter à la pensée ou à la croyance qui en est à l’origine. Puis remplacer ce comportement inadapté, appris dans certaines situations puis maintenu, par celui que souhaite le patient. L’efficacité des TCC est démontrée à court et moyen termes sur le taux de rechute, la réduction des symptômes et la réadaptation sociale des schizophrènes. La psychoéducation vise à mieux informer les patients et leur famille sur la maladie et les traitements, à réduire la culpabilité et l’isolement des familles, à adapter leurs attentes et attitudes à l’égard du malade et à améliorer les communications intrafamiliales. Elle peut se dérouler en groupe et faire appel à différents supports (écrits, vidéo). L’effet bénéfique est confirmé sur la compliance thérapeutique, sur le taux de rechutes et sur le fonctionnement social du patient.
4. Quelques dées reçues
Dédoublement de personnalité : il existe une tendance nette du grand public, souvent relayée par les médias, à confondre la Schizophrénie et le Trouble dissociatif de l’identité, autrefois appelé Personnalité multiple. Ce trouble, caractérisé par la présence de deux ou plusieurs identités distinctes qui prennent tour à tour le contrôle du comportement du sujet, est très rare et très éloigné des manifestations caractéristiques de la Schizophrénie.
Cannabis et Schizophrénie : le cannabis n’est pas un facteur causal de Schizophrénie, mais ses propriétés psychodysleptiques et hallucinogènes en font un dangereux facteur précipitant de la maladie chez des sujets prédisposés. La consommation de cannabis est particulièrement répandue chez les patients schizophrènes, certains de ses effets (ex. euphorie, désinhibition) leur permettant de combattre la symptomatologie négative.
Schizophrénie et dangerosité : la Schizophrénie représente avant tout un danger pour le patient lui-même. Les patients atteints sont plus souvent victimes qu’auteurs de violences, et le taux de suicide est très élevé. Les comportements violents ne sont pas plus fréquents chez les schizophrènes que dans la population générale. Les troubles du comportement surviennent en général chez certains patients non traités ou certains ayant consommé des substances psychoactives.
Responsabilité maternelle : de même que pour l’autisme, certaines théories psychanalytiques avancent que la Schizophrénie résulte des interactions plus ou moins précoces entre la mère et son enfant. Ces idées auparavant répandues, sources d’une culpabilité maternelle inutile et néfaste, sont aujourd’hui réfutées par les travaux scientifiques. Si le stress maternel périnatal est un facteur de risque non négligeable, la mère ne peut-être considérée pour autant comme directement responsable de la maladie de son enfant.
Schizophrénie et incurabilité : la prise en charge des patients schizophrènes a fait d’énormes progrès si bien qu’un diagnostic et un traitement précoces permettent de conserver une autonomie au moins partielle et une vie quasiment normale. Le Schizophrénie n’est aujourd’hui plus une maladie incurable.
5. Ordonnances commentées
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6. Délire et désorganisation de la pensée : l’étrange discours du schizophrène
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Revue PHARMA – No. 38 – Nov 2008
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