La punition ne connaît pas la crise, Pt. 3 : le retrait

Considérations

Si la plupart des soignants et autres professionnels gravitant autour de la psychiatrie s’accordent sur la nécessité de ne pas recourir à des mesures punitives, certaines d’entre-elles demeurent pourtant inscrites dans le fonctionnement des unités de soins. La perpétuation de ces pratiques tient pour beaucoup à leur caractère intuitif. Les stratégies aversives sont généralement peu couteuses et plutôt efficaces pour aboutir à la modification d’un comportement dans la vie courante, pour la plupart des gens. Elles nous viennent donc à l’esprit assez naturellement. Tout le monde ne réagit cependant pas de la même manière à la punition. La population psychiatrique n’est à ce titre pas superposable à la plupart des gens, et la vie en psychiatrie n’est pas vraiment équivalente à la vie courante. Si cette vie courante et ses mesures punitives étaient réellement efficaces sur nos patients, leurs comportements ne poseraient plus de problèmes et ils n’auraient pas besoin de nous pour apprendre à les gérer.

Trois grandes stratégies sont régulièrement mises en œuvre en psychiatrie pour gérer ou prévenir les crises : la privation de liberté, la confrontation aux conséquences « naturelles » et le retrait d’attention. Elles sont très pourvoyeuses d’escalade à court terme et globalement peu bénéfiques aux patients au-delà. Deux autres manœuvres beaucoup moins intuitives et souvent négligées mériteraient d’être mise en œuvre beaucoup plus souvent. Il s’agit des mesures de diversion et de la capitulation.

Cette troisième partie est consacrée aux mesures de retrait d’attention.

Une attitude assez répandue face à un patient en crise est de l’ignorer tout simplement, ceci dans l’idée de ne pas renforcer un comportement inapproprié en lui accordant de l’attention.

Un enfant qui se roule par terre ?

Nous connaissons tous ce cas d’école éducatif du parent ignorant son enfant qui se roule par terre jusqu’à ce que ce dernier adopte un comportement plus adapté. Il s’agit du phénomène de l’extinction qui se produit lorsqu’un comportement auparavant renforcé ne l’est plus. Cette démarche est devenue assez instinctive pour la plupart d’entre-nous et se retrouve déclinée à toutes les sauces en psychiatrie jusqu’à trahir le principe même de l’extinction. Parmi les sentences les plus fréquemment prononcées au sein des équipes, il y a bien-sûr le classique « ignorons-le, il cherche juste à attirer l’attention », le tout aussi classique « ne lui donnons pas (tout de suite) ce qu’il réclame, ça lui donnerait de mauvaises habitudes » ou encore le « laissons-le sonner, il va finir par s’arrêter ». Selon le seuil fixé, souvent de façon arbitraire, par les soignants (de façon individuelle ou collective), les sollicitations jugées « excessives » et/ou « inadaptées » sont sanctionnées par un retrait d’attention qui vise logiquement à réduire ces sollicitations. Or, hélas ou heureusement, ignorer un comportement n’aboutit pas forcément à son extinction. C’est même souvent le contraire qui se produit, notamment en psychiatrie : l’escalade.

Ignorer un message = ne pas en accuser la réception

La plupart des soignants qui appliquent ces démarches s’accordent pourtant sur le fait que ces sollicitations, ces comportements inadaptés, ces crises sont une manière pour les patients de nous faire passer des messages, et que si la forme de ces messages peut devenir inappropriée, le fond reste à priori tout à fait légitime. Or lorsqu’un patient qui souffre constate que ses efforts pour communiquer sont ignorés par les soignants, il ne peut que souffrir davantage. Deux perspectives s’offrent alors à lui : (1) accentuer ses efforts de communication, ou (2) chercher une solution alternative. Dans le premier cas (1), le comportement inapproprié risque de s’aggraver et de devenir de plus en plus inapproprié voire dangereux. Quant aux solutions alternatives (2) pour se soulager, ce sont généralement celles, toutes aussi inappropriées, qui ont conduit ce patient vers la psychiatrie (isolement social, abus de substances, auto-agressivité etc.). C’est ainsi que des comportements pourtant connus comme étant annonciateurs d’une crise (ex. légère agitation, sollicitations croissantes, plaintes et réclamations) sont volontairement ignorés par crainte qu’une intervention à ce stade favorise leur survenue ultérieure. Cette croyance est maintenue par la capacité des patient à opter pour ces fameuses solutions alternatives discrètes et parfois néfastes (ex. aller boire de l’alcool pour se calmer ou se scarifier) et malheureusement insuffisamment réfutée par l’escalade qui sera considérée comme découlant de la « maladie » du patient et non de la passivité des soignants.

La science du comportement

Le meilleur moyen d’éviter la survenue d’une crise est de ne pas en ignorer les prodromes. Ne pas ignorer, cela signifie connaitre ces signes annonciateurs, savoir les identifier mais également y accorder une attention active, avec une attitude empathique qui facilitera grandement la démarche collaborative de résolution de problème avec le patient. Si l’intuition peut parfois nous conduire à ignorer un comportement dans le but de l’éteindre, cette stratégie reste globalement nocive en psychiatrie, notamment car ce sont les comportements associés à la peur et au danger qui sont les plus résistants à l’extinction. Des comportements inadaptés qui découlent de l’angoisse ne disparaitront pas en les ignorant. Les membres de l’entourage de nos patients le savent bien puisqu’ils l’ont déjà tenté avant nous. L’indifférence ne fonctionne pas davantage pour eux en psychiatrie que dans le monde extérieur. On ne construit pas une alliance avec de l’indifférence.


LaVigna, G.W., & Willis, T. J. (2002). Counter-intuitive strategies for crisis management within a non-aversive framework. In D. Allen (Ed), Ethical approaches to physical interventions (pp. 89-103). Plymouth, UK: British Institute of Learning Disabilities (BILD).

La punition ne connaît pas la crise, Pt. 2 : la confrontation

Considérations

Si la plupart des soignants et autres professionnels gravitant autour de la psychiatrie s’accordent sur la nécessité de ne pas recourir à des mesures punitives, certaines d’entre-elles demeurent pourtant inscrites dans le fonctionnement des unités de soins. La perpétuation de ces pratiques tient pour beaucoup à leur caractère intuitif. Les stratégies aversives sont généralement peu couteuses et plutôt efficaces pour aboutir à la modification d’un comportement dans la vie courante, pour la plupart des gens. Elles nous viennent donc à l’esprit assez naturellement. Tout le monde ne réagit cependant pas de la même manière à la punition. La population psychiatrique n’est à ce titre pas superposable à la plupart des gens, et la vie en psychiatrie n’est pas vraiment équivalente à la vie courante. Si cette vie courante et ses mesures punitives étaient réellement efficaces sur nos patients, leurs comportements ne poseraient plus de problèmes et ils n’auraient pas besoin de nous pour apprendre à les gérer.

Trois grandes stratégies sont régulièrement mises en œuvre en psychiatrie pour gérer ou prévenir les crises : la privation de liberté, la confrontation aux conséquences « naturelles » et le retrait d’attention. Elles sont très pourvoyeuses d’escalade à court terme et globalement peu bénéfiques aux patients au-delà. Deux autres manœuvres beaucoup moins intuitives et souvent négligées mériteraient d’être mise en œuvre beaucoup plus souvent. Il s’agit des mesures de diversion et de la capitulation.

Cette deuxième partie est consacrée aux mesures de confrontation aux conséquences « naturelles »

 

 

 

Une attitude assez répandue face à un patient en crise est de le mettre face aux conséquences négatives de ses actes, des conséquences qualifiées de « naturelles » ou considérées comme telles, dans l’idée que ce qui est naturel est forcément bon et incontournable.

Quoi de plus naturel…

C’est en étant confrontés aux conséquences de nos actes que nous apprenons et que nous nous construisons une vie que l’on espère la plus saine et valeureuse possible. Il s’agit là de l’une des lois principales de l’apprentissage : un comportement est déterminé par ses conséquences, des conséquences qui peuvent favoriser le maintien ou l’abandon d’un comportement. Dans son versant punitif, ce phénomène d’allure si universelle est exploité partout et avec tout le monde, du petit garçon trop gourmand qui le paiera par une digestion difficile au conducteur imprudent qui le paiera par une amende ou un accident (à condition de ne pas en mourrir bien entendu). Si ces conséquences sont si bénéfiques à la plupart d’entre-nous, il devient logique d’en faire profiter nos patients, de les confronter le plus possible aux conséquences négatives de leurs comportements inadaptés en espérant une rectification des plus « naturelles » de ces comportements. Ce principe aussi noble moralement que scientifiquement est très souvent appliqué en psychiatrie à travers des punitions dont le caractère « naturel » apparait souvent déculpabilisant pour les équipes soignantes. On dira donc d’un patient qu’il faut « qu’il assume », « qu’il comprenne » ce qu’il a fait avant de le laisser subir une sanction qu’on présentera comme réparatrice. Certaines de ses conséquences ne peuvent être évitées, et au mieux repoussées, notamment lorsqu’il s’agit de faire face aux autorités judiciaires ou policières. D’autres ne sont pas « obligatoires » mais maintenues par crainte que le patient concerné ne tire pas suffisamment de leçons.

Ca fait flamber, mais c’est bon quand même ?

Les conséquences à court terme de cette attitude sont souvent aggravantes, quel que soit l’état émotionnel du patient. S’il est en crise, l’escalade est généralement de rigueur. De nombreuses mesures d’isolement ou de contention pourraient être évitées si le patient concerné n’était pas prématurément et brutalement confronté aux conséquences de ses actes : « Regardez ce que vous avez fait ! Vous imaginez le temps et l’argent que ça va couter de réparer ça ? », « Vous faites peur à tout le monde, regardez ! », « On ne peut pas s’occuper des autres à cause de vous! » etc. Des plaintes sont régulièrement déposées par des soignants, par des établissements psychiatriques, non pas pour se protéger mais pour donner une leçon. Des excuses peuvent être exigées, souvent trop rapidement, dans le même but. Les patients sont souvent mis face aux torts qu’ils causent à leur entourage, notamment en présence de ces derniers, ce qui n’est pas sans favoriser encore et toujours l’escalade. L’indulgence est parfois plus marquée lorsqu’il s’agit du domaine professionnel, notamment en milieu protégé mais là encore, certains licenciements peuvent constituer pour certains « une bonne leçon » de vie. Si toutes ces démarches douloureuses sont maintenues malgré les dégâts constatés à court terme, c’est car des bénéfices sont attendus au-delà, des bénéfices en termes d’apprentissage que l’on n’imagine pas pouvoir survenir par d’autres méthodes.

La science du comportement

Il semblerait qu’en matière d’apprentissage par les conséquences négatives, nous ne soyons pas tous égaux et que nos patients soient franchement défavorisés. En effet, si les conséquences négatives de la vie étaient si instructives pour eux, ils ne seraient justement pas devenus nos patients. Si les aspects aversifs de la vie avaient pu leur permettre de rectifier leurs comportements les plus problématiques, ils ne viendraient pas nous demander de l’aide à ce niveau. Certains n’apprennent tout simplement PAS des conséquences « naturelles » négatives, d’autres en apprennent TROP, au point d’en être traumatisés. Si ces gens arrivent en psychiatrie, c’est dans un premier temps pour être protégés, pas pour être exposés à ce qui n’a déjà pas marché ou à ce qui leur est nuisible depuis des années, voire depuis des décennies. Cela ne signifie pas qu’il faille les en protéger toujours et en toutes circonstances. D’après la science du comportement, lorsque les conséquences « naturelles » peuvent provoquer ou aggraver une crise, lorsqu’elles peuvent aboutir à davantage de souffrance et de stigmatisation pour nos patients, mieux vaut éviter de les y confronter. Cela ne nous empêchera pas de les aider à comprendre ou à assumer de manière non punitive, dans un moment ou un contexte plus propice.

 


LaVigna, G.W., & Willis, T. J. (2002). Counter-intuitive strategies for crisis management within a non-aversive framework. In D. Allen (Ed), Ethical approaches to physical interventions (pp. 89-103). Plymouth, UK: British Institute of Learning Disabilities (BILD).

La punition ne connaît pas la crise, Pt. 1 : la privation

Considérations

Si la plupart des soignants et autres professionnels gravitant autour de la psychiatrie s’accordent sur la nécessité de ne pas recourir à des mesures punitives, certaines d’entre-elles demeurent pourtant inscrites dans le fonctionnement des unités de soins. La perpétuation de ces pratiques tient pour beaucoup à leur caractère intuitif. Les stratégies aversives sont généralement peu couteuses et plutôt efficaces pour aboutir à la modification d’un comportement dans la vie courante, pour la plupart des gens. Elles nous viennent donc à l’esprit assez naturellement. Tout le monde ne réagit cependant pas de la même manière à la punition. La population psychiatrique n’est à ce titre pas superposable à la plupart des gens, et la vie en psychiatrie n’est pas vraiment équivalente à la vie courante. Si cette vie courante et ses mesures punitives étaient réellement efficaces sur nos patients, leurs comportements ne poseraient plus de problèmes et ils n’auraient pas besoin de nous pour apprendre à les gérer.

Trois grandes stratégies sont régulièrement mises en œuvre en psychiatrie pour gérer ou prévenir les crises : la privation de liberté, la confrontation aux conséquences « naturelles » et le retrait d’attention. Elles sont très pourvoyeuses d’escalade à court terme et globalement peu bénéfiques aux patients au-delà. Deux autres manœuvres beaucoup moins intuitives et souvent négligées mériteraient d’être mise en œuvre beaucoup plus souvent. Il s’agit des mesures de diversion et de la capitulation.

Cette première partie est consacrée aux mesures de privation

 

Une attitude assez répandue face à un patient en crise est de restreindre certaines de ses libertés et de supprimer la plupart de ses activités à court terme, notamment celles qui lui sont agréables.

Punition pour prévention

Ces décisions sont généralement présentées comme des mesures de sécurité, et basée sur des croyances plus ou moins fondées : la survenue d’une crise signerait une aggravation globale de la maladie, et donc un risque plus important de survenue d’autres crises à court terme, et donc la nécessité de garder le patient dans le milieu le plus sécurisé qui soit, c’est à dire dans un service de psychiatrie, voire en isolement, voire sous contention. Le principal moteur de telles décisions reste la peur des soignants et son cortège d’anticipations négatives, catastrophiques. La punition est alors justifiée par la prévention d’un risque lui-même surestimé par la peur de ce qu’il pourrait arriver de pire au patient, à son entourage, à la population mais aussi au soignant (désapprobation, sanctions, poursuites etc.).

La hantise du bénéfice secondaire

Ces mesures de privation de liberté sont plus rarement présentées comme des méthodes authentiquement éducatives. Celles-ci peuvent alors aussi bien être guidées par les notions de renforcement que par de simples valeurs morales : faire plaisir au patient après une crise pourrait ainsi favoriser la survenue d’une autre, il s’agirait alors d’un « bénéfice secondaire ». Il serait au contraire préférable de « marquer le coup », de le punir afin de ne pas lui donner envie de recommencer, et par la même occasion d’envoyer un message clair à tous ceux qui l’entourent et qui pourraient se sentir concernés : nous ne sommes pas dans un hôtel, dans un camp de vacances ou en thalassothérapie, car ici on soigne vraiment, sérieusement, à la dure. La ou les sanctions peuvent prendre des formes très diverses, allant de l’annulation d’activités habituelles plaisantes au classique et infantilisant « privé de sorties », en passant par toutes les formes d’isolement par rapport à ce que l’on imagine pouvoir constituer un renforcement ou favoriser une contamination (tabac, distractions, objets personnels, autres patients et entourage notamment).

Le cercle vicieux de la privation

Qu’elles soient instaurées à visée éducative ou sécuritaire, ces mesures favorisent l’escalade et donc l’aggravation du problème que l’on cherche à résoudre. En effet, on ne renonce pas à des libertés (surtout si fraichement acquises) sans un certain malaise émotionnel, et donc possiblement comportemental, ce qui pourra se traduire par un surcroit de détresse, d’agitation et parfois d’agressivité. Paradoxalement, ce phénomène constitue une preuve du bienfondé de cette stratégie pour ses instigateurs, souvent rassurés dans leur illusion d’avoir limité les risques alors qu’ils les ont augmentés : « Vous voyez bien que vous allez mal ! Quand on vous disait que vous aviez besoin d’être protégé de vous même ! Il faut que vous soyez cadré sinon vous faites n’importe quoi. ». De là à considérer les restrictions de libertés comme thérapeutiques, il n’y a qu’un pas. L’engagement et le souci de cohérence aident généralement à boucler un cercle très vicieux : plus de crises donnent plus de restrictions qui elles-mêmes donnent plus de crises et ainsi de suite.

La science du comportement

D’après la science du comportement, il serait plus efficace de maintenir ces activités plaisantes et ces libertés que d’en priver les patients, du moins si l’on cherche à diminuer le risque de récidive d’une crise. Reste à s’assurer que les évènements maintenus ne soient pas contingents de la crise (que la crise ne donne pas elle-même lieu à l’événement) et qu’ils ne lui succèdent pas trop vite.

Tout cela est bien plus facile à dire qu’à faire. Les données de la science ne font parfois pas le poids face à celui de la tradition, de l’institution, de l’intuition, et surtout de la peur. Mais quel est le meilleur conseil à donner à celui qui évite d’affronter ses peurs ?


LaVigna, G.W., & Willis, T. J. (2002). Counter-intuitive strategies for crisis management within a non-aversive framework. In D. Allen (Ed), Ethical approaches to physical interventions (pp. 89-103). Plymouth, UK: British Institute of Learning Disabilities (BILD).

 

La contention (mécanique) en psychiatrie

Hospitalisation

Résumé

La contention mécanique consiste à restreindre ou maitriser directement les mouvements d’un patient à l’aide d’un dispositif de bracelets et de ceintures le plus fréquemment fixé sur un lit. Il s’agit de la forme la plus coercitive de contention et de la plus grande restriction de liberté imposable à un patient. Cette pratique reste courante malgré l’évolution des soins psychiatriques et se révèle souvent variable d’un lieu de soin à un autre. Le sujet n’est que très discrètement abordé dans la littérature et les recommandations demeurent peu explicites. Les équipes soignantes qui doivent déjà faire face à des préoccupations thérapeutiques, éthiques et sécuritaires se retrouvent régulièrement en difficulté lorsqu’il s’agit d’établir un rapport bénéfices/risques adapté à chaque patient. Les indications les plus fréquemment retenues sont l’imminence d’un passage à l’acte auto ou hétéro-agressif, l’imminence d’une rupture thérapeutique alors que l’état de santé impose les soins, la dégradation de l’environnement, la contre-indication d’autres formes de contention moins coercitives (pharmacologiques notamment), la prise en charge comportementale de la violence et la demande du patient. Les contre-indications rassemblent les dérogations au principe de dernier recours, les démarches punitives, l’instabilité organique nécessitant une surveillance étroite mais également certains antécédents traumatiques (notamment sexuels) et des populations particulières (âges extrêmes, surdité ou trouble envahissant du développement avec ou sans retard mental). Il semble que la seule attitude réellement appropriée revienne à considérer la contention mécanique comme une mesure préventive et non thérapeutique, ainsi qu’à réduire son utilisation, sa durée et sa nocivité.

Introduction

Pratique ancestrale et controversée, la contention vise aussi bien à protéger les malades mentaux qu’à les exclure d’une société pour laquelle ils représenteraient un danger. Si Pinel libère les aliénés de quelques unes leurs chaînes il y a plus de deux siècles, les formes les plus extrêmes de contention ne sont pas pour autant abolies et deviennent même des éléments centraux du traitement moral au sein des structures asilaires. Depuis, malgré les progrès technologiques, scientifiques, institutionnels, psychothérapeutiques et pharmacologiques, les soins psychiatriques ne semblent guère pouvoir s’effectuer sans certaines formes de contention dont les pratiques sont aussi variables que répandues. Les soignants se retrouvent souvent cernés par l’apparence contradictoire des préoccupations thérapeutiques, éthiques et sécuritaires. L’évaluation délicate du rapport bénéfices/risques, la nécessité d’un respect maximal des libertés individuelles d’un patient tout en assurant sa protection et celle d’autrui doivent pourtant conduire au meilleur compromis pour la santé mentale de ce même patient.

Définitions

La contention vise globalement à restreindre la liberté de mouvement d’un patient et peut se concevoir selon trois domaines :

  1. La contention environnementale : elle consiste à imposer un périmètre limité à l’hôpital (ex. clôture), à une unité (ex. service fermé) ou à une pièce (ex. chambre d’isolement). L’isolement se caractérise alors par le verrouillage de la porte d’une chambre dans laquelle le patient est séparé de l’équipe de soins et des autres patients.
  2. La contention physique : elle consiste à restreindre ou maitriser directement les mouvements d’un patient. Cette contention peut être manuelle ou mécanique, alors effectuée à l’aide d’un dispositif, soit fixé sur un lit ou sur un siège (bracelets et ceintures), soit mobile (camisole de force).
  3. Contention chimique : elle consiste en l’administration d’un médicament aux vertus tranquillisantes qui résultent d’une action sédative et/ou des effets plus spécifiques aux neuroleptiques (indifférence psychomotrice et parkinsonisme = la fameuse « camisole chimique »).

Pratiques de contention mécanique

La contention mécanique demeure à ce jour la plus grande restriction de liberté imposable à un patient. Pour la plupart peu à l’aise avec le sujet, les soignants peinent à communiquer sur leurs pratiques. Les réflexions et débats sont souvent motivés par des poursuites judiciaires ou des accidents, notamment aux États-Unis où cette mesure est davantage utilisée mais avec plus de transparence qu’en Europe. Le manque de données exploitables aboutit à des recommandations peu explicites qui ne démarquent que rarement la contention physique et l’isolement dans leurs spécificités respectives (les deux méthodes ne sont pas interchangeables). La contention mécanique n’est que très discrètement abordée dans la littérature ainsi que dans les formations psychiatriques initiales ou continues. La réalisation d’études contrôlées se heurte volontiers à des problèmes d’éthique et de méthodologie si bien que la plupart des travaux restent cantonnés à une analyse rétrospective de corrélations entre la fréquence d’utilisation de ces mesures coercitives et des facteurs sociodémographiques, cliniques et environnementaux.

Ainsi, les diagnostics les plus fréquemment associés à l’isolement et à la contention mécanique sont la schizophrénie paranoïde décompensée, les troubles de la personnalité. La fréquence d’utilisation de ces mesures est plus élevée lorsque le séjour est inférieur à 15 jours ou supérieur à 3 mois, mais aussi lorsque le taux d’occupation est faible et l’unité surchargée. Les facteurs conduisant le plus à isoler et à contenir physiquement sont l’agitation, l’opposition massive, la perturbation du milieu thérapeutique, l’agression de patients ou du personnel, les menaces ainsi que les conduites auto-agressives ou suicidaires.

L’absence de réel consensus concernant la contention mécanique se traduit par une utilisation extrêmement variable, notamment selon le type d’unité (ex. ouverte ou fermée), le type de pathologies prises en charge, la mixité des modes d’hospitalisation, la durée moyenne de séjour, l’orientation des équipes, les infrastructures (ex. présence ou non de chambre d’isolement) et les moyens disponibles (matériels ou humains). Il devient alors légitime de s’interroger sur la pertinence de chacun de ces facteurs pour déterminer un usage approprié.

Des bénéfices aux risques

Le seul effet considéré comme thérapeutique et propre à l’isolement reste sujet à débat : il s’agit d’une diminution de l’agitation associée à une réduction des stimulations sensorielles. Si le niveau de preuve s’avère convaincant pour l’agitation dans son ensemble, et particulièrement lorsqu’il s’agit d’une manifestation purement maniaque, la réduction des stimulations sensorielles est parfois également associée à une exacerbation de l’agitation et des troubles du comportement lorsqu’ils s’accompagnent d’une désorganisation et d’un envahissement hallucinatoire massif. Il est par ailleurs intéressant de rappeler que la privation sensorielle à visée expérimentale est associée, entre autres, à la survenue d’hallucinations chez le sujet sain.

La contention mécanique n’a quant à elle aucune valeur thérapeutique propre prouvée à ce jour. Certaines idées dérivées de théories psychanalytiques circulent encore sur un effet apaisant qui serait lié à la restauration d’une enveloppe psychique considérée comme défaillante dans la psychose. Plus ou moins superposables à celles qui entourent la pratique du packing chez l’enfant, ces élucubrations n’ont jamais dépassé le stade de la spéculation et semblent avoir pour principales fonctions de déculpabiliser les soignants tout en banalisant les pratiques de contention physique. Si celle-ci n’est pas à considérer parmi les soins, elle peut constituer un moyen de les mettre en œuvre ou de contrecarrer leur rupture, tout comme elle peut assurer un rôle préventif des blessures physiques.

Les risques associés à la contention mécanique sont nombreux et globalement plus importants chez l’enfant et la personne âgée. Des complications physiques surviennent dans 6,7 % des cas. Il s’agit le plus souvent de lésions des extrémités (osseuses, articulaires, musculaires ou ischémiques) mais également de strangulations accidentelles ou volontaires pouvant conduire au décès après libération d’une ou plusieurs entraves. À ceci s’ajoutent les complications liées au décubitus prolongé, notamment thromboemboliques et respiratoires. Le risque de suffocation ou d’asphyxie augmente si la tête est trop surélevée par rapport au reste du corps tandis que le risque d’inhalation bronchique augmente si elle l’est insuffisamment. Les risques infectieux, de déshydratation, de troubles du rythme cardiaque et de la thermorégulation sont aussi à prendre en compte tenu de l’administration fréquente de doses importantes de neuroleptiques. Les complications psychiatriques ne sont pas rares et pour la plupart associées à l’angoisse provoquée ou aggravée par cette mesure qui reste la plus coercitive des pratiques psychiatriques. Il s’agit en premier lieu de la survenue ou de l’aggravation de troubles anxieux, notamment du syndrome de stress post-traumatique, mais également de la recrudescence de symptômes délirants, notamment persécutifs volontiers ponctués par la peur de mourir ou d’être tué, le tout probablement potentialisé par une relative perte des repères spatio-temporels. Les diverses données relatives au vécu des patients ayant subi la contention physique nous révèlent des sentiments évidemment très négatifs et variés tels que l’angoisse, la colère, la honte, l’incompréhension. Les vécus d’humiliation sont au premier plan et associés au non respect de la volonté, de la liberté de mouvement, la perte de dignité (notamment par rapport à l’élimination et l’hygiène) et le viol de l’intimité (sentiment d’être traité comme un animal). Viennent ensuite le vécu de rejet, d’exclusion, de séparation, le manque de contact humain, la douleur physique et l’environnement négatif.

Les conséquences négatives sur l’alliance thérapeutique sont également à prendre en compte et notamment l’impact des mesures coercitives sur le recours ultérieur aux soins psychiatriques.

Indications

  1. Imminence d’un passage à l’acte auto ou hétéro-agressif : il s’agit de l’indication la moins controversée. Le critère d’imminence n’est pourtant que rarement précisé et les avis divergent parfois sur le caractère de « dernier recours », certains préconisant une mise en place précoce de la contention physique chez les patients considérés « violents ».
  2. Imminence d’une rupture thérapeutique alors que l’état de santé impose les soins : cette indication est parfois retenue lorsque des mesures moins coercitives (service fermé, isolement) ne peuvent pas être mises en place du fait de moyens défaillants (personnel ou infrastructure), ce qui ne la rend pas moins contestable (ex. certains services d’urgence).
  3. Dégradation de l’environnement : il est nécessaire d’agir préalablement sur l’environnement lui-même, en privilégiant notamment la contention environnementale. La sécurisation des chambres d’isolement n’étant pas infaillible, certaines dégradations dangereuses pour le patient peuvent conduire à sa contention mécanique.
  4. Contre-indication du traitement pharmacologique sédatif chez un patient auto ou hétéro-agressif : malgré l’abondante pharmacopée de la psychiatrie moderne, certains patients ne peuvent pas bénéficier d’une sédation suffisante, notamment en raison de certaines pathologies somatiques, interactions médicamenteuses ou d’une grossesse évolutive.
  5. Prise en charge comportementale de la violence : le risque de glisser de l’isolement par rapport au renforcement à la pratique purement aversive est important, tout comme celui de banaliser l’usage de la contention et de négliger les critères cliniques.
  6. Demande formulée par le patient : il s’agit d’un argument fréquemment avancé pour justifier des bienfaits supposés de la contention. Une telle demande ne doit pourtant pas être acceptée d’emblée sans en mesurer les effets potentiels. Il existe un risque non négligeable de renforcement de la violence, notamment lorsqu’il s’agit pour un patient de sonder les limites de tolérance du personnel, ou lorsque des soignants se laissent aller à des interprétations abusives sur ce qui pourrait s’apparenter à une demande de la part du patient.

Contre-indications

  1. Non recours préalable à des interventions moins coercitives : il s’agit des méthodes verbales et des formes moins restrictives de contention (médicamenteuses et environnementales).
  2. Substitution à un autre traitement possible : il s’agit d’une dérogation au principe de dernier recours.
  3. Absence d’indication clinique : la contention mécanique ne doit pas être utilisée dans le but de soulager une équipe exaspérée, de maintenir l’homéostasie d’un service, ni dans une démarche punitive ou pour sanctionner une opposition passive aux soins, au traitement médicamenteux, aux activités ou aux examens complémentaires.
  4. Instabilité organique nécessitant une surveillance étroite des paramètres neurovégétatifs : il peut s’agir d’une cardiopathie, d’un désordre de la thermorégulation, d’une infection grave etc.
  5. Antécédents traumatiques (abus sexuels, guerre, tortures etc.) : le risque élevé de « retraumatisation » peut conduire à aménager si possible les mesures de contention physique. Il est notamment recommandé de ne pas attacher les membres inférieurs des femmes ayant été violées et de privilégier l’intervention de soignantes.
  6. Populations particulières : les complications sont plus fréquentes chez les enfants, les personnes âgées, les patients présentant un retard mental, un trouble envahissant du développement ou une surdité, ce qui conduit certaine recommandations à une contre-indication relative pour ces populations.

Conclusion

Si la contention mécanique en psychiatrie permet certainement d’éviter de graves complications voire de sauver des vies, elle pose de sérieux problèmes éthiques et expose le patient à d’importants risques physiques et psychiques. Il semble que la seule attitude réellement appropriée vis-à-vis de cette pratique revienne à réduire son utilisation, sa durée, et sa nocivité.

L’information des patients, la psychoéducation, tout comme la formation adéquate des équipes contribuent à réduire la survenue des accidents et des blessures mais également à réduire l’utilisation de l’isolement et de la contention physique. Il peut s’agir de formations à la gestion des situations de crises, de la violence ou même de simples cours d’auto-défense et de prévention de la violence. La seule utilisation d’une technique simple telle que la désescalade verbale permet de réduire significativement l’utilisation des méthodes coercitives, tout comme une bonne connaissance et une évaluation précoce des facteurs de risques de dangerosité.

La prescription de la contention mécanique, obligatoirement médicale, doit passer par une analyse rigoureuse et personnalisée du rapport bénéfices/risques et s’effectuer en dernier recours, après échec de toutes les interventions non ou moins coercitives. La douleur qui, faut il encore le rappeler, n’a aucun effet thérapeutique, doit être évitée et les préférences du patient respectées au mieux, de même que sa dignité (hygiène, alimentation, élimination, intimité, environnement etc.). Ce dernier doit être clairement informé des justifications d’une telle mesure et du comportement requis pour l’interrompre. Le conseil, la réassurance et le soutien ne doivent non seulement pas s’interrompre mais s’intensifier durant la mesure, tout comme la surveillance et la prévention des risques physiques. La nécessité de poursuivre la contention doit être réévaluée le plus souvent possible par un médecin (selon des intervalles maximum de 4 à 12 heures selon les recommandations) et la mesure interrompue dès que des alternatives moins restrictives deviennent envisageables.


Références

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