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Internet, TCC

Atteindre régulièrement la « pleine conscience » reste une manière plutôt saine de réduire les effets néfastes du stress et de lutter contre la dépression. Moins saine est la façon dont certains cherchent à rentabiliser cette méthode sans forcément pouvoir garantir la qualité de ce qu’il vendent. Au milieu de ces stages et autres abonnements, il est encore possible de parvenir à méditer gratuitement dans de bonnes conditions.

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Pratiquer la pleine conscience reste certainement l’un des moyens les plus efficaces pour mieux gérer ses émotions négatives. Le principe est de se concentrer dessus plutôt que sur les pensées qui leurs sont associées, de réussir à décrire ces fameuses émotions sans les fuir, les juger ou les interpréter, tout en restant dans l’instant présent. Cela nécessite évidemment de l’entrainement comme pour n’importe quelle démarche d’exposition en TCC. C’est en effet bien d’une exposition dont il s’agit, mais directement aux émotions, ce qui peut poser un problème à certains patients pour lesquels l’intensité de la souffrance émotionnelle transforme systématiquement l’exposition en immersion. En d’autres termes, quand la douleur est atroce, insupportable au point de se faire du mal pour que ça cesse, il est difficile de la regarder en face.

Une méthode alternative consiste à détourner son attention de ce qui est associé à la souffrance mais également de la souffrance elle-même. Dans le grounding, que l’on peut approximativement traduire par ancrage, il s’agit de se concentrer sur des éléments neutres ou positifs sans rapport avec la ou les émotions négatives qui font mal. Il existe beaucoup de documents et autres modes d’emploi disponibles en anglais sur Internet. N’ayant pas réussi à trouver d’équivalent dans notre langue, j’ai décidé de proposer ma version un peu personnelle du grounding.

L’ancrage – Comment se détacher de la souffrance émotionnelle

ancrage

La peur de la peur

Anxiété, TCC

Ce phénomène également appelé phobophobie est une forme d’anxiété que l’on qualifie parfois d’anticipatoire. La peur d’avoir peur vient souvent compliquer l’évolution d’une autre phobie ou des troubles anxieux que sont :

  • Le trouble panique : la récurrence d’attaques de panique conduit logiquement à craindre de plus en plus leur survenue.
  • L’anxiété généralisée : à force de ruminer ses soucis, on finit par craindre l’idée même de s’en faire de nouveaux.
  • L’anxiété sociale : la peur du regard et du jugement des autres amène à craindre que cette peur soit visible et fasse mauvaise impression.
  • Le trouble obsessionnel compulsif : l’idée angoissante de pouvoir être responsable de quelque chose de grave conduit à craindre tout ce qui pourrait y faire penser.
  • Le syndrome de stress post-traumatique : la récurrence de réminiscences traumatiques (flashbacks) conduit logiquement à craindre de plus en plus leur survenue.

La spirale de l’anxiété peut donc s’étendre sur deux niveaux :

  1. La peur « initiale »
  2. La peur de ressentir cette peur initiale

Il n’est pas interdit d’imaginer un troisième niveau (la peur de la peur d’avoir peur) et ainsi de suite, mais ceci ne présente que peu d’intérêt pour le billet en cours, si ce n’est pour les amateurs du film Inception dont je fais partie. Bien qu’il s’agisse de science fiction, le parallèle n’est pas forcément idiot, notamment car les différents étages de rêve interagissent de façon plus ou moins subtile, comme dans l’anxiété.

Ces deux peurs ne sont en effet pas indépendantes et peuvent se renforcer mutuellement, mais en pratique, c’est souvent la peur 2 qui prend le dessus pour devenir réellement handicapante.

Pour le comprendre, il faut garder à l’esprit que la réaction la plus instinctive face à une peur, c’est la fuite. Une peur, quelle qu’elle soit, conduit naturellement à réorienter sa vie pour qu’elle survienne le moins possible. C’est une chose de réaménager sa vie de manière à ne plus être confronté à un objet ou une situation (peur 1), c’en est une autre de le faire pour ne plus être confronté à sa propre angoisse (peur 2), une manifestation qui dépasse la simple volonté. Il suffit d’imaginer les mesures à prendre pour constater à quel point les conséquences peuvent être invalidantes. Ne plus prendre le risque d’angoisser reviendrait finalement à se fuir soi-même et à ne plus vivre. En pratique cela favorise le repli, l’isolement, l’inactivité, et donc la dépression.

L’agoraphobie constitue à ce titre un bel exemple de peur d’avoir peur. Souvent définie par la peur des grands espaces, des lieux publics, de l’affluence, il s’agit en réalité de la crainte de se retrouver dans un endroit où paniquer serait dramatique, car il serait difficile voire impossible de s’échapper, d’être secouru, rassuré, ou tout simplement de ne pas être observé. Cette agoraphobie incite donc à éviter certains endroit et à restreindre progressivement son périmètre de sécurité jusqu’à rester cloitré chez soi dans les formes les plus sévères.

S’habituer à fuir une émotion telle que l’anxiété ne mène donc qu’à craindre d’être rattrapé par celle-ci, et à vivre dans la terreur. Chercher à l’anéantir serait tout aussi vain tant cette émotion reste essentielle pour la survie d’une espèce comme la nôtre. À ce jour la meilleur façon de gérer l’anxiété, c’est de l’apprivoiser, notamment en agissant sur les paramètres qu’il est possible de contrôler par la volonté. La respiration en fait partie.

Certains exercices de respiration permettent d’atténuer les signes physiques d’anxiété, d’autres permettent de les provoquer, de les intensifier, ceci dans le but de s’habituer à les ressentir sans les dramatiser. Voici un extrait d’un article de Jacques Van Rillaer sur le site de l’AFIS qui les résume très bien :

La règle essentielle est d’apprendre à adopter une respiration lente et superficielle dès le début d’une réaction d’angoisse. Il faut surtout que l’expiration soit lente, comme si on avait devant la bouche une bougie qui doit rester allumée.

Il est très éclairant de faire l’expérience d’une hyperventilation volontaire (respirer rapidement et profondément, sans autre activité physique, si possible pendant trois minutes) afin de bien saisir les effets d’une respiration excessive. On fait alors suivre immédiatement cette hyperventilation par une respiration lente et superficielle pour se rendre compte qu’on peut faire facilement disparaître les sensations désagréables ou angoissantes. On peut effectuer cet exercice une fois par jour pendant une semaine pour s’habituer à supporter des sensations oppressantes.

On peut également pratiquer deux fois par jour dix minutes de respiration abdominale lente (en prenant au moins trois secondes pour inspirer et le double pour expirer). En l’absence de résultats satisfaisants, il est recommandé de pratiquer, au moins trois fois par jour pendant chaque fois dix minutes, des apnées de plus en plus longues, jusqu’à ce que le temps d’une inspiration suivie de la fin de l’expiration dure au moins 60 secondes. Cette procédure suscite l’habituation à une gêne respiratoire et réduit la sensibilité des chémorécepteurs du centre respiratoire aux variations du taux de gaz carbonique dans le sang.

Dans le traitement du trouble panique, la gestion de l’hyperventilation est souvent l’élément central. Il faut toutefois y ajouter quelques autres ingrédients : apprendre à rapidement se décontracter et apprendre à supporter des réactions émotionnelles désagréables en les réinterprétant comme non dangereuses.

Ces exercices de respiration constituent un outil essentiel parmi ceux qui permettent de s’exposer à l’anxiété au cours d’une thérapie cognitive et comportementale.

Les distorsions cognitives

TCC

Certaines pensées automatiques peuvent révéler des défaillances dans le traitement de l’information. Ces distorsions cognitives sont fréquemment associées à la dépression, à l’anxiété ainsi qu’à la plupart des troubles mentaux. Voici les dix plus courantes :

La pensée dichotomique : tout ou rien

Lorsque le raisonnement est privé de nuances, tout ce qui n’est pas une victoire devient une défaite, tout ce qui n’est pas sans risque devient dangereux, etc. Ce type de pensée se retrouve logiquement associé au perfectionnisme, aux sentiments dépressifs d’incapacité, de culpabilité, d’autodévalorisation mais également à certains traits de personnalités pathologiques.

« Si vous n’êtes pas avec moi, vous êtes contre moi »

« J’ai fait un écart, ça ne vaut plus la peine de continuer le régime »

« L’employeur ne m’a pas recruté, je ne suis pas fait pour ce boulot »

L’abstraction sélective : filtrage mental

D’un événement ou d’une expérience ne seront retenus que les détails les plus déplaisants. Ceux-ci viennent souvent confirmer une croyance négative préalable. Cette opération conduit la plupart du temps à une fixation et à des ruminations anxieuses, dépressives, obsédantes en rapport avec ces fameux détails.

« J’ai gâché mon RDV avec lui car en l’embrassant, je lui ai marché sur le pied »

« Mon exposé est raté, j’ai vu quelqu’un rire dans le public »

« Ce médecin a consulté le Vidal pendant la consultation, il n’est pas compétent »

La disqualification du positif : pas pour moi

Plus que d’un à priori négatif, il s’agit d’un rejet systématique du caractère positif d’un événement et de sa transformation neutre ou négative. Un événement négatif sera en revanche bien mérité. Ce genre de raisonnement constitue un puissant renforçateur de la dépression tant il a tendance à priver des conséquences positives de l’action.

« Oui j’ai eu mon diplôme cette année, mais c’est un coup de chance »

« Elle m’a fait un compliment sur ma cuisine, mais c’est parce qu’elle a pitié de moi »

« Le patron m’a offert une promotion mais c’est parce qu’il n’avait personne d’autre à qui la donner »

La surgénéralisation : toujours et partout

L’extrapolation peut devenir outrancière, notamment lorsqu’un ou quelques évènements négatifs suffisent à résumer l’ensemble des expériences et/ou des performances d’un individu. Cette surgénéralisation peut aussi bien concerner le passé, le présent ou l’avenir (verticale ou chronologique) qu’elle peut s’étendre à d’autres domaines plus ou moins en rapport avec l’événement.

« J’ai été licencié, j’ai toujours été incapable de garder un boulot »

« Aucune fille ne m’a invité à danser hier, et de toute façon personne ne s’intéresse à moi »

« Je suis encore tombé sur un homme marié, c’est sûr, je resterai seule toute ma vie »

L’étiquetage : jugement définitif

Coller sur soi ou les autres des étiquettes négatives procure volontiers des émotions toutes aussi négatives et contrarie parallèlement toute idée d’évolution positive. Cataloguer renforce notamment le sentiment d’incapacité et le désespoir caractéristiques de la dépression.

« J’ai oublié mon RDV, je ne suis pas quelqu’un de fiable »

« Il m’a doublé par la droite, c’est un chauffard! »

« Je me suis énervé contre lui, je ne sais pas garder mon sang froid »

L’inférence arbitraire : boule de cristal

Lorsque ce qui devrait rester une intuition devient une conviction, la conclusion se tire souvent trop hâtivement et sans preuve. Lire dans la pensée d’autrui ou prédire l’avenir restent deux pratiques divinatoires fréquemment associées à la souffrance émotionnelle et à la renonciation anxieuse ou dépressive.

« Ça ne sert à rien de lui demander une augmentation car si je la méritais, il me l’aurait donnée »

« Je ne serai jamais suffisamment solide pour pouvoir me passer des médicaments »

« Si elle ne m’a pas rappelé, c’est qu’elle n’a pas envie de me voir ».

La pensée catastrophique : pire du pire

Des scénarios désastreux peuvent se construire sur la base d’un simple incident sans gravité, et conduire à « s’en faire une montagne ». Assimiler ce qui devrait rester des pensées à des faits, toujours sans preuve, favorise l’escalade d’émotions négatives associées à ces prédictions funestes.

« Ma fille n’est toujours pas rentrée, elle a du se faire kidnapper, violer, assassiner… »

« J’ai laissé ma braguette ouverte toute la matinée, ils doivent tous se moquer de moi, ma réputation est fichue, je n’ai plus qu’à changer de boulot, à déménager, loin… »

« Ma femme rigole en lisant le SMS d’un collègue, elle me trompe, elle ne m’aime plus, nous allons devoir divorcer et je me retrouverai seul, personne ne voudra d’un cocu comme moi… »

Le raisonnement émotif : preuve par le sentiment

Lorsque l’importance accordée à une émotion devient excessive, celle-ci peut être assimilée à une véritable preuve, voire à un fait et aboutir à un jugement erroné. Les émotions fortes contrarient ainsi la prise en compte d’éléments contradictoires et donc l’analyse rationnelle d’une situation.

« S’il a réussi à m’énerver à ce point, c’est qu’il cherche les problèmes »

« Le patron m’a convoqué dans son bureau, je ne suis pas tranquille, il a certainement quelque chose à me reprocher »

« J’étais mal à l’aise au diner, je suis sûr qu’ils m’ont trouvé ridicule ».

La personnalisation : auto-flagellation

L’interprétation d’un événement peut conduire à surestimer sa responsabilité voire à la créer de toutes pièces, ceci favorisant logiquement l’émergence d’un sentiment de culpabilité. Ce phénomène se répète et s’intensifie au cours de la dépression jusqu’à parfois se sentir la cause de tous les malheurs du Monde.

« Mon fils a encore raté ses examens, je n’ai jamais réussi à lui donner le gout des études »

« Ma femme semble contrariée, j’ai forcément dit quelque chose de mal »

« Mon père fait une dépression, c’est de ma faute, je n’ai pas été à la hauteur de ses attentes »

Les fausses obligations : musturbation

Les règles fixées de façon arbitraire, les exigences rigides de soi-même ou des autres favorisent volontiers l’émergence de sentiments douloureux tels que la déception, la frustration, la culpabilité ou la colère. Les « je souhaiterais », « j’aurais préféré » laissent la place aux « je dois », « il faut ».

« Il faut toujours aider ses amis, je ne peux donc pas refuser de lui prêter de l’argent »

« Il est indispensable d’être apprécié de ses voisins, je ne dois donc pas leur faire de reproches quand ils font du bruit »

« Après tout ce que j’ai fait pour elle, comment ose-t-elle refuser de me confier sa voiture? »

Dépression résistante et TCC

Antidépresseurs, Revues Pro, TCC, Troubles de l'humeur

Les antidépresseurs se révèlent insuffisamment efficaces dans deux tiers des cas de dépression caractérisée. Le pronostic de ces patients peu ou pas aidés par le traitement médicamenteux demeure globalement médiocre et souvent lié à la pertinence de mesures complémentaires mises en place par eux-mêmes ou leur médecin. La « cuisine » médicamenteuse (changement, ajout d’un second antidépresseur ou d’un stabilisateur de l’humeur) peut satisfaire autant qu’elle peut exposer à davantage d’effets secondaires voire à des escalades plus ou moins hasardeuses. La psychothérapie est souvent brandie comme la grande mesure noble et salvatrice qui permettra au patient de se libérer de ses vieux démons, et de guérir, s’il le veut bien. Étrangement, cette vision très caricaturale est aussi bien présente chez les professionnels que chez les patients et leur entourage. Dans notre beau pays, la psychothérapie est majoritairement imprégnée par la psychanalyse dont les principes entretiennent cette pensée magique. Les patients s’engouffrent alors dans un puits sans fond à la recherche d’une révélation, d’un « déclic », d’un traumatisme ignoré, oublié ou refoulé qui pourrait expliquer d’une manière ou d’une autre leur souffrance actuelle. Certains se lassent, d’autres persistent et finissent parfois par aller mieux (la dépression peut aussi évoluer spontanément vers la rémission). D’autres encore s’orientent vers une thérapie cognitive et comportementale (TCC), davantage axée sur le présent, l’avenir et la recherche active de solutions. Cette méthode n’est certainement pas miraculeuse mais ses représentants ont au moins la décence d’évaluer leur efficacité selon les principes de la médecine basée sur les preuves.

Une étude récemment publiée dans le prestigieux Lancet évalue l’efficacité de la TCC en complément d’un traitement antidépresseur insuffisamment ou non efficace.

Les 469 participants à cette étude présentent un épisode dépressif sévère (28%), modéré (58%) ou léger (14%) qui ne s’inscrit pas dans l’évolution d’un trouble bipolaire, d’une schizophrénie ou d’un abus de substances. Ils bénéficient tous d’un traitement antidépresseur depuis au moins 6 semaines et sont répartis aléatoirement dans deux groupes : le premier est dédié à la prise en charge classique ou habituelle, au second y sont ajoutées entre 12 et 18 heures de TCC.

Les résultats sont plutôt encourageants :

  • À 6 mois, 46% des patients du groupe TCC sont répondeurs (disparition de plus de la moitié des symptômes dépressifs) contre 22% dans l’autre groupe.
  • À 1 an, 55% des patients du groupe TCC sont répondeurs contre 31%.

Si de plus en plus de professionnels se forment aux TCC, il reste encore extrêmement difficile d’en bénéficier, même en région parisienne. Mieux vaut être riche et/ou savoir attendre. Les psychiatres ne disposent souvent pas du temps nécessaire pour une activité purement psychothérapeutique. Lorsque c’est le cas, il faut choisir entre des tarifs souvent très dissuasifs en libéral et des délais d’attente intolérables dans les établissements publics, qu’il s’agisse de psychiatres ou de psychologues. La psychiatrie publique sectorielle, hospitalière ou ambulatoire, toujours très imprégnée de psychanalyse, contrarie l’ouverture à d’autres courants. L’offre de soin de la plupart des centres médico-psychologiques (CMP) reste ainsi globalement verrouillée sur l’orientation psychanalytique, au détriment des patients.


Wiles N and al. Cognitive behavioural therapy as an adjunct to pharmacotherapy for primary care based patients with treatment resistant depression: results of the CoBalT randomised controlled trial. The Lancet, Feb 2013. Vol. 381(9864): 375-84. Published Online: 7 December 2012