Borderline : parole de patient

Internet, témoignages, Troubles de la personnalité

Je vous offre ma traduction (laborieuse) d’une lettre ouverte écrite par une patiente américaine avec trouble de la personnalité borderline sur son blog. Ce trouble y est selon moi admirablement présenté, d’une manière beaucoup plus claire et complète que sur la plupart des ouvrages rédigés par des professionnels de santé français.

Lettre ouverte de ceux qui vivent avec un trouble de la personnalité borderline

Chers amis, familles, amoureux, ex-amoureux, collègues, enfants et autres proches de ceux qui vivent avec un trouble de la personnalité borderline,

Vous vous sentez certainement frustrés, impuissants, prêts à laisser tomber. Ce n’est pas votre faute. Vous n’êtes pas la cause de notre souffrance. Vous pourriez avoir du mal à le croire tant nous nous déchainons sur vous, tant nous pouvons nous montrer affectueux, gentils puis défiants et cruels d’un instant à l’autre, parfois jusqu’à vous maudire. Mais ce n’est pas votre faute. Vous méritez d’en savoir plus sur ce trouble et sur ce que nous aimerions pouvoir vous dire sans encore y parvenir.

Il est possible que quelque chose que vous ayez dit ou fait ait déclenché une crise chez nous. Un tel « déclencheur » peut faire resurgir chez nous un événement traumatisant du passé ou des pensées très douloureuses. Aussi bienveillants soient ils, vos efforts ne sont pas toujours payants, et il n’est pas toujours facile de savoir pourquoi une crise se déclenche.

Le fonctionnement du cerveau est très complexe. Une chanson, un son, une odeur ou de simples mots peuvent rapidement activer des connexions neuronales qui nous ramènent à une situation où nous n’étions pas en sécurité, et à une réaction à la hauteur de cette insécurité (pensez aux militaires ayant fait la guerre – de simples feux d’artifices peuvent leur provoquer des flashbacks. C’est ce qu’on appelle le syndrome de stress post-traumatique, et ça nous arrive beaucoup à nous, aussi).

Mais, s’il vous plait, sachez qu’à chaque fois que nous vous repoussons avec nos paroles ou nos comportements, nous sommes terrifiés à l’idée que vous puissiez nous rejeter ou nous abandonner à notre désespoir.

Cette façon extrême de penser en « tout ou rien » et la coexistence de désirs totalement opposés sont considérés comme une « dialectique ». Dans les premiers temps, avant de pouvoir débuter une TCD (thérapie comportementale dialectique), nous ne disposons pas des outils qui nous permettraient de vous le dire ou de vous demander de l’aide de manière adaptée.

Nous pouvons faire des choses graves comme nous faire du mal (ou menacer de le faire), aller à l’hôpital et d’autres choses encore. Si ces appels à l’aide doivent être pris au sérieux, nous comprenons que ces comportements et les soucis qu’ils vous procurent finissent par vous épuiser.

S’il vous plait, croyez-le, avec l’aide de professionnels, et malgré tout ce que vous avez pu entendre ou croire, nous pouvons aller mieux et nous irons mieux.

Ces épisodes peuvent s’espacer et devenir moins nombreux, nous pouvons avoir de longues périodes de stabilité et mieux réguler nos émotions. Parfois, la meilleure chose à faire, si vous parvenez à surmonter la frustration et les blessures, c’est de nous prendre dans vos bras, de nous dire que vous nous aimez et que vous ne nous laisserez pas tomber.

L’un des symptômes du trouble de la personnalité borderline est une peur intense d’être abandonné. En conséquence, nous adoptons parfois (souvent de façon inconsciente) des comportements extrêmes dans le but d’empêcher ça. C’est la perception de l’imminence de cet abandon qui nous pousse à agir de manière disproportionnée.

Un autre phénomène qui peut vous déconcerter est cette apparente inaptitude à maintenir nos relations. Nous pouvons passer d’un ami à l’autre, les aimer, les idolâtrer puis les mépriser, les supprimer de nos contacts et de nos amis Facebook, ceci d’un instant à l’autre. Nous pouvons vous éviter, ne pas vous répondre, refuser vos invitations puis d’un instant à l’autre ne souhaiter qu’être auprès de vous.
Cette tendance au « clivage » fait partie du trouble. Parfois, nous effectuons une sorte de frappe préventive en se séparant des gens avant qu’ils puissent nous rejeter ou nous abandonner. Nous n’en sommes pas fiers. Nous pouvons travailler sur ces comportements destructeurs et apprendre à développer des relations saines. Ce n’est juste pas naturel pour nous. Ça prend du temps, et beaucoup d’efforts.

Il est difficile, après tout, d’avoir des relations saines avec les autres quand on ne se connait pas bien soi-même et qu’on ne comprend pas son propre fonctionnement, d’autant plus s’il se démarque de celui des gens qui nous entourent.

Dans le trouble de la personnalité borderline, beaucoup d’entre nous vivent ce qu’on appelle une perturbation de l’identité. Nous pouvons nous emparer des attributs des autres sans réellement savoir qui nous sommes. Souvenez vous au collège de ces enfants qui passaient du rock à la pop en passant par le goth, tout ça pour se faire accepter dans un groupe, et qui changeaient leur style vestimentaire ou leur coiffure à ces fins, allant même jusqu’à singer certains comportements. C’est comme si nous n’avions pas dépassé ça.
Cette tendance à calquer nos attitudes sur celles des autres (et donc à agir d’une façon au travail, d’une autre à la maison, d’une autre encore à l’église) nous a valu notre surnom de « caméléon ». Certes, les gens se comportent différemment au travail et à la maison mais vous pourriez ne pas nous reconnaître en vous basant sur la manière dont nous agissons dans ces deux contextes. La différence est parfois extrême.

Pour certains d’entre nous, durant l’enfance, malheureusement, nous avions des parents ou des tuteurs qui pouvaient passer rapidement d’une attitude aimante et normale à des comportements abusifs. Nous devions alors agir de manière à leur plaire à chaque instant dans le but de rester en sécurité et de survivre. Nous n’avons pas dépassé ça.
Du fait de toute cette souffrance, nous sommes souvent soumis à un sentiment de vide. Nous ne pouvons imaginer à quel point vous devez vous sentir impuissants face à ça. Peut-être avez vous essayé beaucoup de choses pour y remédier, peut-être sans grand succès. Encore une fois, ce n’est pas votre faute.

La meilleure chose que nous puissions faire dans ces moments est de nous rappeler que « ça va passer » et de pratiquer les exercices de TCD – notamment l’auto-relaxation – des choses qui nous aident à nous sentir un peu mieux malgré la torpeur. L’ennui est aussi dangereux pour nous dans ce qu’il peut également nous amener à ce sentiment de vide. Il est judicieux pour nous de rester occupés et de nous distraire quand l’ennui commence à se manifester.

D’un autre coté, nos décharges de colère peuvent être effrayantes. Il est alors important que nous restions en sécurité et que nous ne fassions de mal ni à nous, ni à vous. C’est juste une autre manifestation du TPB.

Nous sommes très sensibles émotionnellement et avons de grandes difficultés à réguler/moduler nos émotions. Le Dr Marsha Linehan, fondatrice de la TCD, nous a comparé à des victimes de brulures émotionnelles au 3ème degré.

Grâce à la thérapie comportementale dialectique, nous pouvons apprendre comment réguler nos émotions de manière à ne pas perdre le contrôle de nous-mêmes. Nous pouvons apprendre à ne plus saboter nos vies, à nous comporter de manière moins blessante et angoissante pour vous.

Autre chose que vous avez pu remarquer sont nos yeux parfois hagards. C’est ce qu’on appelle la dissociation. Nous nous déconnectons alors littéralement, nos pensées partent ailleurs, nos cerveaux cherchent alors à nous protéger de traumatismes supplémentaires. Nous pouvons acquérir certains outils par l’apprentissage et les appliquer lors de ces épisodes qui deviendront de moins en moins fréquents au fur et à mesure que nous irons mieux.

Mais qu’en est-il de vous ?

Si vous avez décidé de puiser dans vos forces et de rester auprès de votre proche avec TPB, vous aurez probablement besoin d’aide. Voici quelques conseils :

  • Souvenez vous que les comportements de cette personne ne sont pas de votre faute
  • Puisez dans votre compassion envers lui en gardant à l’esprit que son comportement est probablement une réaction intense à sa souffrance
  • Prenez soin de vous. De nombreux livres, cahiers d’exercices, Cds, films contiennent des informations qui pourront vous aider à comprendre ce trouble et à prendre soin de vous.
  • En plus de vous informer sur le TPB et de prendre soin de vous, veillez à vous distraire et à vous relaxer. Il peut s’agir d’une simple promenade, de voir un film drôle, de manger un bon repas, de prendre un bain chaud, de tout ce que vous ferez pour prendre soin de vous et vous sentir bien.
  • Posez des questions. Il existe beaucoup d’idées reçues sur le TPB.
  • Souvenez que vos paroles, votre amour, et votre soutien l’aideront énormément à progresser, même si les résultats ne sont pas toujours immédiats.

Toutes les situations décrites ne correspondent pas à toutes les personnes avec trouble de la personnalité borderline. Il suffit d’avoir 5 symptômes sur les 9 pour valider le diagnostic, et les combinaisons de ceux qui en ont entre 5 et 9 sont apparemment infinies. Cette lettre vise juste à vous donner une idée de la souffrance et des pensées que peuvent avoir ceux qui vivent avec un TPB.

Je suis dans ma deuxième année de TCD. Je n’aurais pas pu écrire une telle lettre il y a un an, mais cela représente pourtant ce que j’avais sur le cœur sans pouvoir le réaliser ou l’exprimer.

J’ai espoir de vous donner une meilleure idée de ce que vit votre proche, que vous puissiez progresser dans votre compassion et dans votre compréhension vis-à-vis de lui et de vous-même, même si ce n’est pas un long fleuve tranquille.

Je peux vous dire, de par mon expérience personnelle, que ça vaut le coup de travailler sur cette maladie avec la TCD. L’espoir peut revenir. On peut avoir une vie normale. Vous pourrez découvrir de plus en plus qui est cette personne au fil du temps, si vous n’abandonnez pas. Je vous souhaite la paix.

Merci de m’avoir lue.


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Le schéma

Les dix commandements aux soignants

La désescalade verbale

Parole de patient

Parole de patient 2

Borderline : la désescalade verbale

Troubles de la personnalité

I. Respecter les espaces personnels

De par leur histoire personnelle souvent traumatique, les patients borderline sont facilement en proie à des sentiments de vulnérabilité et d’humiliation. La proximité physique peut donc vite être perçue comme une menace. La distance interpersonnelle généralement recommandée est d’au moins deux bras tendus et si le patient la juge insuffisante, il convient de l’augmenter. Dans la mesure du possible, rien ne doit empêcher quiconque de quitter la pièce.

II. Éviter les attitudes provocatrices

La posture et la gestuelle des soignants doivent s’adapter afin que le patient ne les perçoive pas comme une menace ou un obstacle. Il est ainsi préférable de désolidariser ses mains, de ne pas les cacher, de ne pas fermer les poings, de ne pas croiser les bras et de ne pas plier les genoux. Se tenir strictement de face peut donner l’impression de chercher la confrontation. La posture gagne donc à être suffisamment déviée pour éviter ce phénomène sans aller jusqu’à évoquer le désintérêt. Le contact visuel et l’expression faciale ne doivent pas être insistantes mais suffisamment congruentes au discours pour dévoiler calme et sincérité.

III. Établir le contact verbal

La multiplicité des intervenants favorise la confusion du patient, et donc l’escalade si bien qu’il est préférable de se limiter à un seul interlocuteur. Les autres soignants pourront ainsi se préoccuper de sécuriser l’environnement, d’appeler du renfort si nécessaire et d’éloigner les autres patients, notamment ceux dont la présence pourrait aussi favoriser l’escalade agressive. Les règles élémentaires de politesse restent de rigueur, ce qui implique en premier lieu au soignant de se présenter et de rassurer le patient quant à son rôle (préserver sa sécurité, celle des autres et l’aider à reprendre le contrôle). Lorsqu’un doute persiste sur le fait d’appeler un patient par son nom ou par son prénom, le mieux à faire est encore de lui demander directement son avis, ce qui pourra commencer à le rassurer quant à sa possibilité de faire des choix.

IV. Rester clair et précis

Les émotions fortes peuvent perturber le traitement de l’information, ce qui implique de privilégier des phrases concises pour ne pas susciter la confusion chez le patient et aggraver son malaise émotionnel avec tous les risques que cela comporte en matière d’escalade. Il est également essentiel de lui laisser suffisamment de temps pour intégrer un message avant de lui donner davantage d’informations. Dans un tel contexte, il peut s’avérer utile de savoir répéter sans agacer l’interlocuteur. Il est conseillé d’utiliser la technique du disque rayé, qui consiste à reformuler un message en manifestant une empathie croissante (ex. « J’ai bien compris que…, mais… »).

V. Identifier les besoins et les sentiments

La prise en compte de la requête du patient doit rester une priorité, que celle-ci puisse ou non être obtenue. Il est à ce titre essentiel de l’identifier clairement, en demandant des précisions ou en utilisant l’information qu’il donne sur le plan non verbal, ceci tout en restant optimiste (ex. « si vous nous en dites plus, on pourra y travailler »). Une demande peut aussi cacher une autre, moins assumée mais à laquelle l’équipe sera parfois plus apte à répondre (ex. prendre l’air, fumer, discuter avec un membre de l’équipe, appeler un proche, accomplir une tâche administrative).

VI. Écouter activement le patient

L’écoute active est indispensable et consiste principalement en des brèves marques d’intérêt (regards, mimiques, hochements de tête, « oui », « ah » etc.) ainsi qu’en des reformulations (« si j’ai bien compris,… »). Ceci permet au soignant de manifester son attention sans forcément se montrer d’accord d’emblée ni jugeant. Quels que soient les propos rapportés par le patient, il est conseillé de se mettre à sa place, d’adopter son point de vue, ce qui n’implique pas d’y adhérer. Il s’agit d’une démarche empathique puisqu’elle vise à ce que le patient se sente compris, soutenu activement et non jugé froidement, ce qui favorise l’alliance.

VII. Se montrer d’accord, ou accorder le désaccord

Le mode de pensée en « tout ou rien » du patient borderline le rend très sensible à la moindre désapprobation qu’il pourra considérer comme une remise en cause globale et définitive de sa personne. Il est donc essentiel de délivrer des messages positifs et de se montrer d’accord dans la mesure du possible. Il est ainsi possible de s’accorder sur la vérité (ex. « Oui, le traitement vous donne des effets secondaires »), sur un principe (ex. « Tout le monde devrait être traité avec respect »), sur une probabilité (ex. « Oui, si j’étais à votre place, j’aurais probablement du mal à supporter les conditions d’hospitalisation »), ou enfin en dernier recours sur un désaccord. Il est essentiel de garder à l’esprit qu’un accord ponctuel n’est pas une adhésion permanente et indéfectible (les soignants aussi doivent éviter de penser en « tout ou rien »).

VIII. Rappeler la loi et établir des limites claires

Il est important de rappeler au patient ce qui est acceptable ou non en matière de comportements, tout comme la possibilité qu’il puisse être arrêté ou poursuivi pour certains d’entre eux. Manifester de l’empathie reste nécessaire afin que ce genre de message ne prenne pas un caractère menaçant. Il peut également être judicieux de rappeler à un patient les conséquences de certains comportements, et notamment la peur, l’agacement ou le malaise qu’ils peuvent provoquer chez les autres (soignants y compris). Enfin, cette démarche critique ne doit pas empêcher le soignant de distiller de précieux conseils au patient afin qu’il puisse retrouver son calme rapidement (ex. s’asseoir, ralentir sa respiration).

IX. Offrir des choix, et de l’optimisme

Laisser à un patient la possibilité de choisir constitue l’un des plus puissants outils d’autonomisation, et proposer des alternatives à l’agressivité (auto ou hétéro) ou à la fuite est d’une importance capitale dans un contexte de crise émotionnelle. Il peut s’agir d’alternatives immédiates (ex. coup de téléphone, collation, promenade, cigarette) ou différées sans aller jusqu’à des promesses qui ne seraient pas tenables. Si la médication est nécessaire, il est préférable de ne pas l’imposer d’emblée et d’inciter le patient à l’envisager (ex. « qu’est-ce qui vous aide dans ce genre de situation? ») avant de la suggérer avec une insistance croissante. Dans la mesure du possible, il est préférable de laisser au patient le choix du mode d’administration (comprimé, tablette, liquide, injection) voire de la molécule dans certains cas. Enfin, les perspectives annoncées doivent rester globalement positives et procurer de l’espoir au patient. Il est conseillé de mettre l’accent sur l’amélioration à laquelle il doit s’attendre et sur l’intention des soignants d’y travailler en collaboration avec lui. C’est l’authenticité de cet optimisme qui le rendra contagieux.

X. Faire un bilan rapide avec le patient, et en équipe

Il appartient au soignant d’expliquer cette intervention, notamment ce qui l’a rendue nécessaire et de donner les informations nécessaires dans le but de maintenir l’alliance thérapeutique. Des conseils lui seront prodigués dans le but de prévenir une nouvelle crise et/ou de mieux la gérer (ex. solliciter l’équipe, exprimer ses émotions et sentiments sans se limiter à la prise d’un médicament). Le point de vue du patient devra évidemment être sollicité et ses éventuelles critiques activement prises en compte. Ses difficultés seront analysées plus en profondeur et il conviendra de l’assister dans la résolution de ses problèmes, notamment ceux ayant pu précipiter la crise. L’intervention pourra également être discutée en équipe dans une ambiance permettant à chacun d’exprimer ses sentiments et d’éventuelles critiques, de préférence constructives.


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Parole de patient

Parole de patient 2

Borderline : les dix commandements aux soignants

Prise en charge, Troubles de la personnalité

I. Du patient borderline, tu connaitras le fonctionnement

Il est en effet primordial de connaître le trouble que l’on envisage de soigner et notamment la façon dont il impacte la vie du patient. Le schéma constitue à ce titre un minimum nécessaire à défaut d’être suffisant. Les connaissances ne peuvent être considérées comme acquises qu’à partir du moment où elles peuvent être restituées, notamment au patient. Il s’agit d’une première étape indispensable vers l’autonomisation de ce dernier.

II. Tes propres émotions, tu sauras identifier et gérer

La seule réelle limite à la prise en charge des patients borderline réside dans les émotions qu’ils peuvent susciter chez les soignants : anxiété face au risque de passage à l’acte, frustration face à leur répétition sont les deux plus fréquentes. Savoir les identifier est un préalable indispensable à leur gestion qui consiste avant tout à connaître ses limites afin de passer le relai si nécessaire. Pour apprendre à gérer ses propres émotions, le patient borderline doit aussi pouvoir bénéficier de modèles.

III. La disponibilité, ta priorité devra rester

Les craintes du rejet, de l’abandon et de la solitude augmentent souvent les besoins du patient borderline en matière de présence soignante, ce qu’il est indispensable d’accepter dans un premier temps avant d’envisager tout sevrage progressif. Cette disponibilité gagne à être planifiée et répartie entre les divers intervenants afin de limiter au maximum les ruminations solitaires. Les prises médicamenteuses supplémentaires, bien que parfois nécessaires, ne constituent pas une substitution efficace à cette disponibilité.

IV. Ton empathie en toutes circonstances, tu devras manifester

L’empathie n’a d’intérêt pour un patient que si elle lui est manifestée clairement par les soignants. Cela consiste à lui communiquer en priorité ce que l’on comprend de sa position, de ses émotions, de ses sentiments tout en évitant les attitudes non empathiques, à savoir l’apathie, la sympathie (adhérer plutôt que comprendre) et l’antipathie pure, cynique ou moralisatrice. Les messages empathiques, y compris non verbaux (ex. un sourire) restent parmi les plus puissants moteurs de l’alliance thérapeutique.

V. Toute décision, tu sauras justifier et/ou remettre en question

Informer, c’est aussi soigner. Ça ne se fait pas à moitié, ni à coté, notamment face à des patients qui craignent le rejet et la trahison. Informer, c’est aussi justifier certaines mesures, certains refus, ce qui implique de ne pas ignorer ce qui les motive et de pouvoir l’expliquer clairement au patient concerné. L’obéissance n’est pas thérapeutique en soi. La confiance, ce n’est pas automatique ni à sens unique. Elle se gagne. L’adhésion ne tiendra que si les soins proposés sont compris, par le patient et par les soignants, et rediscutés régulièrement.

VI. Vers des pensées plus rationnelles, tu sauras guider le patient

La souffrance émotionnelle des patients est la plupart du temps associée à des pensées irrationnelles qu’un soignant doit pouvoir identifier (les plus fréquentes sont résumées dans ce billet). Elles émergent au sein de leur discours sous la forme de croyances qui résultent de raisonnements fallacieux. Il est essentiel de savoir les détecter et d’inciter les patients à les reformuler de façon plus rationnelle. À ces fins, il peut être utile de procéder à un examen de l’évidence en demandant au patient de chercher dans un premier temps des arguments en faveur de sa croyance, puis dans un deuxième temps en l’aidant à trouver d’autres arguments qui vont à son encontre. Des efforts de décentration sont également à suggérer en lui demandant par exemple d’imaginer ce que pourrait penser quelqu’un d’autre à sa place, ou ce qu’il aurait pensé lui-même quand il se sentait mieux. Parvenir à formuler puis à envisager des pensées alternatives plus rationnelles procure souvent déjà un soulagement chez le patient. Enfin, il est essentiel de lui rappeler l’importance de vérifier ses croyances en les testant, ce qui passe bien davantage par l’action que par la rumination.

VII. Les techniques de respiration, tu sauras enseigner

La souffrance émotionnelle s’accompagne d’une activation physiologique responsable de symptômes physiques désagréables et oppressants qui renforcent le malaise (palpitations, hypertonie musculaire, hyperventilation). La respiration reste la seule fonction sur laquelle il est possible d’agir volontairement pour inverser ce cercle vicieux dans ce genre de situation. Il est essentiel d’apprendre à adopter rapidement une respiration lente et superficielle, comme si on avait devant la bouche une bougie qui doit rester allumée. Il est également conseillé de pratiquer régulièrement une respiration abdominale très lente, avec des pauses de plus en plus longues entre les phases d’inspiration et d’expiration, ceci afin de s’habituer aux sensations de gêne respiratoire.

VIII. Les techniques de désescalade verbale, tu sauras appliquer

La désescalade verbale a montré son efficacité sur l’agitation et les comportements agressifs. Ses principes sont tout à fait applicables à un patient borderline en situation de crise et résumées sur ce billet. Cette démarche non médicamenteuse est en partie basée sur les principes de l’affirmation de soi. Elle permet d’apaiser la souffrance émotionnelle, de limiter les risques de passages à l’acte auto ou hétéro-agressifs tout en restaurant l’indispensable alliance thérapeutique.

IX. L’optimisme et l’humour, tu cultiveras

Les émotions négatives d’un patient borderline doivent être atténuées et non renforcées. Il est ainsi préférable de dédramatiser ses difficultés, de ne pas l’y réduire, de ne pas lui rabâcher brutalement, et d’axer l’échange sur la résolution des problèmes plutôt que sur une analyse sans fin des causes éventuelles. Ce sont les émotions positives qui sont à cultiver et faire preuve d’optimisme doit rester une priorité. Il ne s’agit pas de promouvoir la béatitude mais la pensée positive, celle qui pourra pousser le patient vers l’action, vers l’avenir, vers les autres et le faire sortir de ses ruminations. L’humour est un puissant catalyseur d’émotions positives auquel il est conseillé de recourir en veillant à rester authentique et empathique.

X. Jamais sans solution, tu ne laisseras un patient

La pensée en « tout ou rien » à laquelle est en proie un patient borderline peut le conduire à penser que si un soignant ne lui donne aucune solution à un moment donné, cela signifie qu’il n’existe pas de solution à son problème et qu’il n’y en aura jamais. Des solutions finissent toujours par émerger à partir du moment où le patient est écouté activement et avec l’empathie nécessaire. La plupart du temps, c’est même lui qui en proposera et il est préférable de les adopter dans la mesure du possible. Face à un patient démuni, il convient d’éviter les messages vagues (« la réponse est en vous »), apathiques (ex. « hum… », « je ne sais pas »), négatifs (ex. « vous êtes trop mal »), cyniques (ex. « Encore? Vous le faites exprès? »), agressifs (ex. « arrêtez de nous emmerder! ») et manipulateurs (ex. « calmez-vous sinon pas de sortie ») qui pourraient aggraver son malaise. Le patient doit savoir que l’équipe travaille à résoudre son problème en collaboration avec lui. Certaines mesures peuvent être mises en place rapidement, permettre de résoudre au moins partiellement certaines difficultés et de commencer à envisager des solutions satisfaisantes (entretien médical ou infirmier, appel à un proche, sortie accompagnée etc.). Dans le cas où ces mesures ne peuvent pas être prises rapidement, il est tout à fait possible de différer, mais avec empathie et un maximum de précision sur le délai. Enfin, il est essentiel de savoir solliciter le point de vue d’autres membres de l’équipe si nécessaire.


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Parole de patient 2

Vous avez dit « hystérique »?

Considérations, Psychanalyse, Troubles de la personnalité

Le champ sémantique de l’hystérie, tout comme celui de la schizophrénie, demeure employé à tort et à travers que ce soit dans la population « générale » où dans les milieux « soignants ». Les fréquents abus d’étiquetage combinés à la connotation extrêmement négative de cette hystérie aboutissent hélas fréquemment à des conduites discriminatoires, notamment sexistes et bien sûr, à des soins de mauvaise qualité.

Depuis l’antiquité, la notion d’hystérie reste associée à la facticité, et par une malheureuse extension, à l’inauthenticité d’une souffrance. Ainsi, il n’est pas rare de constater chez certains soignants la rigidité d’une pensée très dysfonctionnelle : plus une souffrance est exprimée intensément, moins elle est authentique. Contrairement à une nouvelle idée reçue, ce type de pensée se retrouve équitablement répartie sur l’échelle soignante, à savoir aussi bien chez les aides-soignants que chez les médecins ou les psychologues.

Odieux simulateurs?

La véritable simulation reste heureusement rarissime. Il s’agit par ailleurs de l’un des (non) diagnostics les plus difficiles à poser. Une enquête poussée doit souvent s’associer à une observation minutieuse pour permettre ne serait-ce que de l’évoquer. Il est souvent de bon ton de rappeler que la notion d’hystérie et celle de simulation se distinguent l’une de l’autre par le fait que le symptôme soit exprimé consciemment (simulé) ou inconsciemment (hystérisé), mais le problème du « faux » symptôme demeure et notamment le fait que celui-ci soit interprété comme l’expression d’une « fausse » souffrance. Quant à la limite entre ce qui est conscient et ce qui ne l’est pas, entre ce qui est volontaire et ce qui ne l’est pas, celle-ci n’est souvent pas très claire.

Le mal est ailleurs?

Il s’agit de l’hypothèse principale développée au moins depuis l’antiquité. Les manifestations de l’hystérie, aussi variées soit-elles, ont rapidement été reliées à l’utérus (comme le nom l’indique), et expliquées par le fait que cet utérus puisse se déplacer dans le corps pour provoquer un vaste cortège de symptômes. Les rapports sexuels et la maternité constituaient le moyen de remettre et de tenir cet utérus à sa place, donc le traitement de choix.

Du chemin aurait été parcouru depuis cette antiquité, et depuis le moyen-âge durant lequel la plupart de ces femmes étaient envoyées au bucher. Le célèbre Charcot relocalise officiellement l’origine de ces manifestations au cerveau il y a plus d’un siècle et ose même envisager que cette hystérie puisse exister chez l’homme, ceci avant, ou pendant que Freud ne se réapproprie le concept pour fonder sa psychanalyse. Ce dernier postule initialement que de telles manifestations, notamment des crises souvent spectaculaires seraient la conséquence d’un traumatisme infantile à caractère sexuel, une hypothèse qu’il réfute lui-même ultérieurement sas vraiment l’abandonner. Il envisage tout d’abord que ce ou ces traumatismes soient oubliés et doivent être ramenés à la conscience avant de constater un phénomène aujourd’hui bien connu : celui des faux souvenirs induits qu’il qualifie alors de fantasmes. Une fois encore, il peine à renoncer totalement à cette idée d’une origine traumatique, probablement car cela impliquerait alors de remettre profondément en cause la discipline dont il est à l’origine.

Cette idée obsédante d’un traumatisme obligatoire demeure chez de nombreux thérapeutes, et pas seulement les charlatans. Ceci incite de nombreux patients à chercher une cause à leur mal être dans leur histoire personnelle, plutôt qu’un soulagement immédiat possible sans forcément avoir recours à des médicaments. Or l’identification d’une cause, réelle ou non, traumatique ou non, n’entraîne pas forcément le soulagement attendu.

Odieux insatisfaits?

L’hystérie reste également et très largement considérée comme un défi lancé (par l’inconscient d’un patient) à la médecine. Depuis la naissance de cette médecine, l’hystérie est évoquée face à des symptômes dont aucune cause organique n’est retrouvée. L’humanité ayant horreur de l’inexpliqué, celle-ci dévoile une tendance systématique à attribuer des causes à l’inexplicable : l’intolérance au doute prime alors volontiers sur la véracité de cette causalité. Ainsi, l’hystérie est envisagée avec plus ou moins de conviction face à ce genre de manifestations non élucidées : déplacer l’origine d’un problème là où il ne pourra pas être élucidé davantage relève pourtant de la diversion. Or pour beaucoup, cette explication est suffisante, même si elle n’apporte pas davantage de preuves.

Certains de ces postulats se retrouvent dans le principe du diagnostic d’élimination qui veut que : tout diagnostic psychiatrique ne peut être envisagé qu’après avoir éliminé une cause organique. Tout à fait louable sur le papier, cette démarche ne rend pas forcément compte du fait que le diagnostic d’une maladie organique prend parfois du temps, entre quelques minutes et plusieurs années, voire plusieurs décennies, sans parler des progrès de la science et de la médecine. L’effet pervers d’un étiquetage tel que l’hystérie réside dans l’enfermement dans un circuit psychiatrique duquel il est parfois difficile de sortir.

On entend volontiers certains cliniciens affirmer de façon péremptoire que l’hystérie, dans sa toute-puissance, continue à résister à la médecine en s’adaptant aux modes des différentes époques. Ceci pourrait alors expliquer que la présentation symptomatique de ce qu’ils qualifient d’hystérique soit résolument différente de celle de l’époque de Freud. Or il suffit de se pencher sur ces descriptions des grandes hystériques de Freud pour constater qu’il s’agit de troubles neurologiques et psychiatriques aujourd’hui clairement identifiés : épilepsie, syncopes, états confusionnels, attaques de panique, catatonie etc. soit autant de patients qui bénéficieraient aujourd’hui de traitements efficaces et adaptés. Les manifestations qualifiées aujourd’hui d’hystériques pourraient correspondre à d’authentiques maladies organiques non encore identifiées, ou reconnues. La fameuse fibromyalgie, actuellement encore très décriée, illustre bien ce phénomène.

Excellente parade médico-psychologique à l’échec, à l’absence de savoir, l’étiquetage hystérique se retrouve parfois  ainsi employé pour désigner des patients plaintifs et insatisfaits, éternels ou non. L’idée d’une impuissance ou de l’échec étant inenvisageable, il devient préférable de proclamer que la souffrance n’existe pas réellement, que ce genre de patient ne sera jamais soulagé donc satisfait. Comme les hystériques de Freud, ces gens-là ne sont pas nés à la bonne époque tout simplement.

L’hystérie n’existe pas?

D’un point de vue médical, l’hystérie désigne aujourd’hui les traits histrioniques de la personnalité, qu’un clinicien peut évoquer face à un égocentrisme, des attitudes théâtrales et séductrices, une suggestibilité ou un discours superficiel. Ces critères dont la plupart sont regroupés dans le DSM jusqu’à sa quatrième version se révèlent fort peu spécifiques. Il ne s’agit pas de nier l’existence de ce type de personnalité mais de rappeler que ces traits peuvent souvent masquer, ou découler d’authentiques pathologies psychiatriques, à commencer par certains troubles de l’humeur mixtes, à dominance dépressive ou maniaque. De même que l’exaltation (souvent liée à la consommation de certaines substances) ou que certains aspects culturels souvent négligés, l’angoisse peut provoquer de telles manifestations, et ce quelle que soit son origine (attaque de panique dans le cadre d’un trouble anxieux, dysphorie prémenstruelle, hallucinations, confusion etc.). Il est par ailleurs tout à fait possible qu’un patient soit naturellement « bruyant », exubérant, plaintif et dramatisant. Rien ne l’empêche alors de développer d’authentiques maladies psychiatriques. Or, quand ces maladies ne sont pas purement et simplement réfutées au profit de la sacrosainte hystérie, la maladie psychiatrique diagnostiquée s’en trouve souvent colorée : c’est le cas lorsque certains cliniciens proclament fièrement la « psychose hystérique », et sous-entendent plus ou moins directement que les symptômes manifestés (délire, hallucinations etc.), alors teintés par ces traits de personnalité, ne sont pas vraiment authentiques.

Il semble que dans la prochaine version du DSM, le trouble de la personnalité histrionique ait disparu, ce qui me réjouit profondément. Le diagnostic d’hystérie, dans toutes ses significations, qu’il soit porté par un médecin, un psychologue, un psychanalyste ou toute autre soignant, ne sert qu’à consoler, à rassurer, à légitimer l’impuissance et l’échec de celui qui le pose. Pour un patient, ce type de diagnostic est non seulement inutile mais nuisible.