Le (déjà) vilain « joint électronique »

Addictions, Cigarette électronique

La sortie prochaine de ce vaporisateur de chanvre soulève certes quelques interrogations mais il est bien regrettable de le voir condamné uniquement sur la base de prédictions catastrophistes sans tenir compte d’éventuels bénéfices.

Si la réaction impulsive et arbitraire du Ministère de la santé n’est hélas pas surprenante, le précautionnisme affiché par la plupart des professionnels de santé, notamment certains spécialistes de l’addiction, est lui consternant. Les arguments mis en avant sont à peu de choses près les mêmes que ceux observés lors de l’émergence de la cigarette électronique (qui d’ailleurs résonnent toujours). Parmi ceux-ci :

1. Les jeunes vont se l’approprier

S’approprier ce qui est réservé aux adultes est une tendance bien connue des adolescents. Il est donc probable que certains d’entre-eux s’approprient le dispositif, mais tout aussi probable qu’ils le laissent de coté après avoir constaté sa faible valeur récréative. En effet, le liquide vaporisé ne contient pas de THC, la substance responsable des effets euphorisants et désinhibiteurs du cannabis. Je ne vois vraiment pas quel intérêt auraient ces jeunes à ajouter cet engin à leurs différents cocktails de défonce. Par ailleurs, je ne partage pas la croyance selon laquelle ce vaporisateur pourrait être adopté par des jeunes qui seraient autrement restés « vierges » de toutes substances psychoactives.

2. Ce serait une incitation à fumer du « vrai » tabac cannabis

À moins d’avoir vécu ces dernières années dans une dimension parallèle, je n’ai pas l’impression que l’arrivée de la cigarette électronique ait causé une augmentation du tabagisme. Je ne vois pas pourquoi il en serait autrement avec ce vaporisateur de chanvre qui ne contient ni THC, ni nicotine. Ce qui incite à fumer du cannabis, c’est avant tout le cannabis lui-même. Alors certes, le nom de l’entreprise cultive (c’est le cas de le dire) une certaine ambiguité mais c’était également le cas de la « cigarette » électronique. Dans les deux cas, il me semble que le principe consiste à conserver ce que le produit d’origine (tabac ou cannabis) a de moins mauvais, et à se débarrasser de ce qu’il a de plus toxique (goudrons et THC notamment).

3. Ce « joint électronique » pourrait ternir l’image de la cigarette électronique

Cet argument semble nouveau, mais il fonctionne en miroir avec la prophétie selon laquelle la cigarette électronique devait redonner une bonne image au tabac, ce qui ne s’est pas produit jusqu’à ce jour. Je constate avec grande déception que cet argument est relayé par une bonne partie de la « communauté » des vapoteurs dont les craintes mériteraient d’être explorées. D’une part, il ne me semble pas que la cigarette électronique bénéficie d’une image beaucoup plus reluisante que ce vaporisateur de chanvre, d’autre part les fumeurs de cannabis ne sont pas davantage des parias que les fumeurs de tabac. Ceux-là mêmes qui se plaignaient du fait que leur engin n’était pas pris au sérieux (et ne l’est toujours pas vraiment) feraient donc subir le même sort aux potentiels usagers de ce nouveau produit?

Tous ces gens n’auraient donc rien retiré de l’expérience (positive) de la cigarette électronique qui puisse ne pas les faire condamner d’emblée cette nouvelle initiative?

En tant que psychiatre, je constate chaque jour les ravages que peut causer le cannabis et la forte addiction qu’il peut entrainer. À l’origine de nombreux épisodes psychotiques, le cannabis peut aussi provoquer, précipiter et surtout aggraver la schizophrénie. Le cannabis constitue aussi souvent une sorte d’automédication pour les patients, qu’il s’agisse là encore de schizophrénie, de trouble bipolaire ou également des troubles anxieux qui eux aussi peuvent se révéler très invalidants. Alors lorsqu’il s’agit d’en exclure la molécule à priori néfaste (THC) pour ne conserver que celle qui semble bénéfique et notamment antipsychotique (CBD), lorsqu’il s’agit de mettre un tel produit à disposition de tous et immédiatement, je ne crie pas au miracle, ni à la catastrophe, mais je demande à voir ce que ça donne…


Ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur le cannabidiol (CBD) et notamment sur ses propriétés antipsychotiques peuvent jeter un coup d’oeil à cette revue de littérature assez récente.

Cannabis et délire à retardement

Addictions, Revues Pro, Troubles psychotiques

[Mises à jour régulières]

Mars 2011

Nous savions que l’usage de cannabis était associé à l’augmentation du risque de développer des symptômes psychotiques, or restait-il à préciser par quels mécanismes et dans quels délais. Une étude récente semble apporter des précisions temporelles sur la relation entre usage de cannabis à l’adolescence et manifestations délirantes.

1923 jeunes allemands âgés de 14 à 24 ans ont été suivis pendant dix ans, l’usage de cannabis et les symptômes psychotiques évalués au départ, quatre puis huit ans plus tard. L’usage ponctuel de cannabis initial est associé à l’augmentation des symptômes psychotiques entre quatre et huit ans après. L’usage continu de cannabis est lui associé non seulement à davantage de symptômes psychotiques, mais également à leur persistance dans les mêmes délais.

Les effets pervers du cannabis semblent se dévoilent peu à peu. L’adolescence, période de remaniement cérébral donc de fragilité à ce niveau, ne semble pas permettre une consommation « raisonnable » de cannabis. Son usage, même occasionnel, peut provoquer des expériences psychotiques transitoires plusieurs années plus tard, voire leur persistance, soit d’authentiques pathologies psychotiques chroniques, lorsque la consommation se révèle plus intensive. Il convient donc certainement de ne pas diaboliser la substance, mais aussi et surtout, de ne pas la banaliser.

R Kuepper et coll. Continued cannabis use and risk of incidence and persistence of psychotic symptoms: 10 year follow-up cohort study. BMJ 2011 342:d738

Juin 2011

Une publication parue en juin 2011 soutient encore davantage la causalité cannabique dans la survenue des psychoses. Il s’agit d’une meta-analyse regroupant 443 articles scientifiques parmi lesquels 83 ont été sélectionnés sur les critères suivants : comparaison de l’âge de survenue de la psychose entre consommateurs et non consommateurs. Elle survient en moyenne 2.70 années plus tôt chez les premiers. Par ailleurs l’alcool ne semble pas associé à une survenue plus précoce de la maladie.

Matthew Large and al. Cannabis Use and Earlier Onset of Psychosis A Systematic Meta-analysis. Arch Gen Psychiatry. 2011;68(6):555-561. doi:10.1001/archgenpsychiatry.2011.5

Juin 2011

Une étude des performances cognitives chez les consommateurs de cannabis montrent que celles-ci sont davantage altérées lorsque la consommation a débuté avant l’âge de 15 ans. L’ensemble des tests réalisés ne montre pas différence en matière de QI mais une diminution des performances exécutives et de la flexibilité. Cannabis et cerveau en croissance ne font pas bon ménage.

Fontes MA and al. Cannabis use before age 15 and subsequent executive functioning. The British Journal of Psychiatry (2011) 198: 442-447. doi: 10.1192/bjp.bp.110.077479

Juillet 2011

Une équipe hollandaise publie des résultats très intéressants sur l’association de la sussceptibilité familiale à la psychose et de la sensibilité au cannabis. Il semblerait en effet que chez les personnes prédisposées à la psychose, notamment les jumeaux de patients schizophrènes, le cannabis soit plus à même de provoquer des symptômes positifs (délire, hallucinations etc.) et négatifs (retrait, apragmatisme etc.).

Genetic Risk and Outcome in Psychosis (GROUP). Investigators Evidence that familial liability for psychosis is expressed as differential sensitivity to cannabis. Arch Gen Psychiatry 2011 ; 68 (2) : 138-147.

Septembre 2011

La vulnérabilité « psychiatrique » au cannabis avait été suggérée et potentiellement reliée à une variation du gène codant pour la COMT (cathécol-méthyl-transférase). Une équipe britannique s’est donc penchée sur le sujet à partir d’une population de plus de 2000 individus questionnés sur leur consommation de cannabis à 14 ans et sur l’incidence d’un épisode psychotique à 16 ans. Aucune variation du gène parmi les six étudiées n’a pu être associé à ce phénomène. À ce jour, il n’existe donc toujours pas de preuve d’une prédisposition génétique à la psychose cannabique.

Zammit S et al. Cannabis, COMT and psychotic experiences. British Journal of Psychiatry 2011 ; 199 : 380-385.

Novembre 2011

Une équipe écossaise s’est récemment intéressée au volume du thalamus chez des personnes considérées comme à risque de développer la schizophrénie. 57 individus âgés de 16 à 25 ans et présentant des antécédents familiaux de schizophrénie ont vu leur cerveau exploré au cours d’une imagerie cérébrale par résonance magnétique (IRM). Lorsque l’examen est à nouveau pratiqué deux ans plus tard, le volume du thalamus est réduit de façon significative (surtout à droite) chez les consommateurs de cannabis (25). Les résultats demeurent quelle que soit la consommation d’autres drogues (tabac, alcool, ecstasy, amphétamines) et se révèlent en faveur de la conjonction de facteurs prédisposants et précipitants dans la survenue de cette maladie.

Welch KA and al. Impact of cannabis use on thalamic volume in people at familial high risk of schizophrenia (PDF). British Journal of Psychiatry 2011; 199:386-390

Octobre 2012

Une étude norvégienne d’imagerie par résonance magnétique a révélé des différences d’activation cérébrale associées à la consommation de cannabis chez des patients schizophrènes. Les « fumeurs » se sont révélés plus performants au cours d’un exercice cognitif mettant en jeu la capacités d’attention, de concentration, et le fonctionnement exécutif. Le cerveau de ces schizophrènes « fumeurs » s’est montré plus réactif à l’imagerie : l’écart d’activité relevée entre avant et pendant l’exercice s’est révélé supérieur à celui des « non fumeurs ». Ceci suggère que les troubles cognitifs menant à la schizophrénie pourraient être mimés par les effets du cannabis, et que le pronostic des patients concernés pourrait être meilleur à condition d’agir efficacement sur cette consommation de cannabis.

Else-Marie Løberg and al. An fMRI study of neuronal activation in schizophrenia patients with and without previous cannabis use. Front. Psychiatry, 30 October 2012 (PDF)