Un éminent confrère et Professeur s’est récemment exprimé au sujet de la souffrance des enfants autistes qui lui semble « niée et déniée au fil des polémiques haineuses et ravageuses qui ont eu lieu ces dernières années, et qui ont amené la disqualification que l’on sait du soin psychique, de la psychanalyse et des psychothérapies dans le champ de l’autisme infantile ».
Cette énième posture victimaire (pauvres de nous) et démagogique (pauvres enfants), révélatrice de cet incroyable égocentrisme psychanalytique, semble surtout révéler la souffrance de celui qui ne sait plus aborder celle des autres sans avoir préalablement mis en avant la sienne. Les coupables sont logiquement désignés sans avoir vérifié le postulat de départ : ce sont bien évidemment les parents « qui n’aiment guère qu’on le leur rappelle tant ils souffrent eux-mêmes de la souffrance de leur enfant » et bien sûr ces fameuses « polémiques haineuses et ravageuses », à savoir les critiques de la psychanalyse. Nous assistons donc à la nouvelle éclosion d’un délire désormais bien connu, au sein duquel des persécuteurs instrumentalisent des parents fragilisés dans le but de nuire à la psychanalyse.
Déni de souffrance? Où es-tu? D’où viens-tu?
Cela fait maintenant quelques années que je côtoie plus ou moins directement des parents d’enfants autistes, à travers des échanges, des lectures de témoignages ou dans le cadre professionnel. Je n’ai encore jamais vu un parent refuser d’admettre la souffrance de son enfant autiste, ni même la sienne sous prétexte qu’elle serait moindre ou non prioritaire. Il s’agit évidemment de mon point de vue, celui d’un psychiatre, psychothérapeute et non psychanalyste, celui d’un critique catalogué plus haut comme haineux et ravageur mais qui, curieusement, n’a lui non plus jamais nié ou dénié cette fameuse souffrance. Ce déni ne pourrait il donc pas provenir des fantasmes de ceux-là mêmes qui le dénoncent, des interprétations sauvages effectuées sur la base d’un refus de diagnostic, de prise en charge ou à partir d’une simple réticence parentale?
Déni de souffrance? Où vas-tu? Que veux-tu?
La souffrance doit conduire au soin, le soin doit conduire à la psychanalyse (plus ou moins cachée derrière la psychiatrie et la psychothérapie) : cette croyance a été bien enracinée dans le pays par la communauté psychanalytique. Dans ce contexte, il n’est pas aberrant d’imaginer que refuser la psychanalyse implique de refuser les soins, de refuser la souffrance. Il s’agit d’une croyance que j’estime au moins partiellement responsable de la situation catastrophique en France, ce fameux retard de 40 ans. Le soin ne peut et ne doit pas être la réponse à toutes les souffrances. Le soin ne peut et ne doit pas être qu’un synonyme ou un dérivé de psychanalyse. Il est essentiel de dissocier la psychanalyse de ce qu’elle prétend être seulement quand ça l’arrange : une psychothérapie ou une médecine.
Mais pourquoi les parents refuseraient-ils de confier leur souffrance et celle de leur enfant autiste à la psychanalyse?
Cet article en est la parfaite réponse tant il illustre ce qu’un psychanalyste peut faire et ne peut pas faire de cette souffrance.
- Ce qu’il peut faire dans un premier temps, c’est la romancer avec une imagination sans limites et un jargon qui ne l’est pas moins. Des « angoisses de chutes sans fond, angoisses de chute sans fin, angoisses de vidange, angoisses de liquéfaction, agonies primitives, angoisses catastrophiques ou encore des angoisses de perte d’objet sur le plan des relations qui se jouent en atmosphère triadique ou triangulée » (sans désigner directement les organes sexuels et les parents, c’est toujours mieux), mais aussi des « angoisses d’arrachage ou de dé-fusion sur le plan des liens primitifs qui se jouent en atmosphère dyadique, et des angoisses dites archaïques sur le plan des enveloppes qui se jouent en atmosphère principalement monadique » (l’angoisse est partout, dans toutes les situations).
- Ce qu’il peut faire dans un deuxième temps, c’est bricoler une explication et surtout la verrouiller par l’irréfutabilité. Les autistes échoueraient donc à creuser un écart intersubjectif, ou pas : « Certains enfants autistes échouent à creuser l’écart intersubjectif et, pour eux, l’objet demeure, en quelque sorte, une question sans objet (autisme typique), tandis que d’autres, ou les mêmes après un certain temps d’évolution, sont capables de prendre en compte cet écart intersubjectif […] ». Si l’autiste ne l’est pas, ou ne l’est plus, il l’est quand même, mais sous une forme atypique.
- Ce qu’il peut faire dans un troisième temps (du rebours intuitivo-interprétatif), c’est poursuivre l’édification de son mythe des profondeurs, remonter la seule et unique trajectoire qui soit compatible avec ses croyances de psychanalyste : celle qui mène à l’origine, à la source, à la coupable que nous connaissons tous. Ce grand professeur fait partie de ceux qui ont osé proclamer qu’il en était fini du temps où les psychanalystes culpabilisaient les mères, mais que resterait-il de la psychanalyse sans les mères toxiques, insuffisamment bonnes, phalliquement lourdes, mal censurées en tant qu’amantes de leur enfant ou pour qui quelque chose fait faillite au niveau de l’amour? Pour la cuvée 2014, la mère d’un enfant autiste sera donc qualifiée d’insuffisamment « synchronisante » et l’autiste restera considéré comme un être humain qui n’est pas né « psychiquement ».
- Ce qu’il ne peut pas faire, c’est avant tout, et comme les lignes précédentes l’illustrent, faire évoluer ses idées et donc ses pratiques en fonction des progrès des autres, qu’il s’agisse des progrès de la science, des autres « courants » mais aussi de ceux des parents et des autistes eux-mêmes. Il existe certes plusieurs « écoles », plusieurs « vagues » de psychanalyse mais celles-ci ne diffèrent que par ce qu’elles ont à perdre, et donc par leurs méthodes de communication. Le brouhaha global qui s’en échappe mêle donc logiquement des propos ouvertement méprisants et d’autres plus rassurants : le double langage à l’échelle de la communauté psychanalytique. Mais il suffit de gratter très légèrement la croute de la frange la plus conciliante (incarnée par ce cher Professeur) pour constater que dans le fond, tous restent soudés à leurs convictions les plus délirantes.
- Ce qu’il ne peut pas faire, c’est sortir d’un attentisme thérapeutique. La croyance dominante et terriblement ancrée demeure celle que quelque chose doit se débloquer, mais qu’il ne peut y contribuer de façon active (d’où la fameuse attente de « l’émergence du désir »). Il s’agit d’un mode de pensée typiquement superstitieux au sein duquel toute intervention trop directe du psychanalyste rendrait des progrès moins réels, moins valables, moins durables. Les bénéfices secondaires et hautement renforçateurs de cette croyance sont évidents : la psychanalyste ne peut pas se considérer responsable d’une absence de progrès à partir du moment ou ce fameux « déclic » ne doit pas venir de lui.
- Ce qu’il ne peut toujours pas faire, c’est partager l’offre de soins avec d’autres modes de pensée ou d’autres approches qui ne valideraient pas ses principales croyances. La préservation de celles-ci reste la priorité absolue, un phénomène illustré d’un coté par les innombrables scissions effectuées dans l’histoire de la psychanalyse et de l’autre par ces approches « pluridisciplinaires » ou « intégratives », mais toujours très sélectives…
Que conclure et qui culpabiliser?
Je vous livre donc la conclusion de l’éminent Professeur concernant ce déni de souffrance :
C’est ce que j’ai voulu montrer ici pour dire que le déni de leur souffrance a, bien entendu, valeur de défense et de protection des adultes qui les côtoient, mais qu’il se retourne en dernier ressort contre les enfants et leur reconnaissance en tant que sujets en devenir.
Puis vous offre la mienne, qui diffère en un point :
C’est ce que j’ai voulu montrer ici pour dire que le déni de leur souffrance a, bien entendu, valeur de défense et de protection des adultes qui les côtoient, mais qu’il se retourne en dernier ressort contre les psychanalystes et leur reconnaissance en tant que sujets en devenir.
Mais finalement qui est donc dans le déni?