L’obsession n’est pas un fantasme !

Considérations, Psychanalyse, TCC, TOC

Ce billet est le premier d’une série que j’espère fructueuse sur le trouble obsessionnel compulsif (TOC).

L’obsession est une pensée, tout à fait consciente, pénible, qui s’impose à l’esprit de façon automatique et répétitive, malgré la volonté. Les thèmes sont nombreux (erreur, souillure ou contamination, malheur, agressivité) mais ce type de pensée demeure systématiquement liée à un danger que l’on pourrait provoquer et duquel il faudrait se protéger. L’obsession se révèle ainsi source d’émotions pénibles à commencer par l’anxiété, et peut donner lieu à des compulsions et/ou des comportements d’évitement. La compulsion, autrement appelée rituel, est un comportement souvent répétitif et stéréotypé qui permet d’apaiser momentanément la souffrance causée par l’obsession. L’évitement consiste quant à lui à ne pas affronter une situation qui pourrait déclencher ces obsessions.

Exemple : la crainte d’avoir les mains sales (obsession), en lien avec une contamination redoutée par des germes qui pourraient causer une infection grave voire mortelle, peut conduire à se laver sans arrêt les mains (compulsion) et/ou à refuser de serrer la main des gens (évitement).

De nombreux théoriciens, notamment des psychanalystes, ont envisagé que les obsessions et compulsions puissent résulter d’une sorte de conflit inconscient plus ou moins en rapport avec la théorie sexuelle, ce qui n’a jamais pu se vérifier de façon empirique ou scientifique. Or, en 2012, de nombreux psychiatres, psychologues et psychothérapeutes fondent toujours exclusivement leurs interventions sur ces convictions. Ce type d’approche n’a pourtant jamais apporté d’amélioration documentée et crédible chez un patient. La prise en charge d’un patient atteint de TOC, lorsque basée uniquement sur des théories psychanalytiques, aboutit fréquemment à un amalgame des plus néfastes entre obsession et fantasme. Le fantasme est une construction imaginaire, consciente ou non, permettant d’exprimer et de satisfaire un désir plus ou moins refoulé ainsi que de surmonter une angoisse.

OBSESSION

FANTASME

Pensée imposée

Pensée construite

Consciente

Consciente ou non

Expression d’une crainte en rapport avec un danger duquel il faut se protéger

Expression ou satisfaction d’un désir plus ou moins refoulé

Anxiogène et pénible

Anxiolytique et agréable

Prendre une obsession pour un fantasme revient à penser que le patient la maitrise et qu’elle lui est bénéfique. À partir de là, il n’y a aucune raison à vouloir l’en débarrasser, d’autant plus que cela compliquerait la mise en évidence du désir refoulé qui y correspond. Les conséquences de cet amalgame sont souvent désastreuses lorsque les obsessions prennent un caractère sexuel, la thématique fétiche des psychanalystes. Ces derniers, déjà bien conditionnés à hypersexualiser le moindre symptôme, se retrouvent à la fois comblé et déboussolés lorsque la sexualité leur est livrée sur un plateau.

Les obsessions sexuelles les plus fréquentes dans le TOC sont en lien avec la peur du scandale, de l’agression ou de la perversité : peur d’être homosexuel, pédophile, de violer quelqu’un, d’avoir une sexualité débridée etc. Les patients confient alors une véritable crainte d’un passage à l’acte qui ne reflète absolument pas la réalité de leur désir ni celle de leur sexualité, une crainte renforcée par deux amalgames : pensée/acte (« penser = faire ») et obsession/fantasme (penser = désirer). À partir de là, le travail de tout bon thérapeute est de leur apprendre à distinguer la pensée de l’acte et l’obsession du fantasme, ce qui permet à ces patients de se libérer de la honte et de la culpabilité qui les envahissent.

Or que peut-il bien se passer si le thérapeute pense, en toute bonne foi, que craindre d’être homosexuel signifie forcément quelque part : l’être au fond de soi-même ou le désirer sans s’en rendre compte?

Être victime d’obsessions angoissantes et invalidantes nécessite, à un moment ou à un autre de se confronter à la réalité mais certainement pas de s’enfermer dans l’analyse interminable de pensées circulaires et déprimantes.

Les traitements actuellement validés dans le traitement du TOC sont les antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et la thérapie cognitive et comportementale. Lorsque ces deux traitements sont associés, les deux-tiers des patients sont améliorés et 20 % guérissent. Ce n’est pas miraculeux, mais c’est encourageant.

Je suggère à tous les professionnels baignés dans la psychanalyse la lecture de cet ouvrage très complet d’Alain Sauteraud tout comme je les invite à orienter les patients vers les méthodes recommandées.

Dr Alain Sauteraud : Le trouble obsessionnel-compulsif – Le manuel du thérapeute (Odile Jacob, 2005)

Vous avez dit « psychose blanche »?

Considérations, Neuroleptiques, Psychanalyse, Troubles psy

Le diagnostic d’une psychose sans présence de délire ou d’hallucinations peut paraître assez déraisonnable pour la plupart des cliniciens les plus pragmatiques. Ces derniers, notamment en France, ne sont pas sans savoir que l’influence psychanalytique permet à certains de ses praticiens de détecter certaines manifestations invisibles de la folie, ou du moins certains éléments très signifiants hélas ignorés par leurs collègues trop réalistes.

La psychose sera ainsi légitimée comme une structure, refroidie ou blanchie grâce à un argumentaire plus ou moins ténébreux selon les références de l’étiqueteur ou selon ses dispositions pédagogiques. Il n’est pas nécessaire d’aller chercher bien loin pour constater à quel point ces concepts extrêmement aléatoires peuvent s’avérer néfastes pour les principaux intéressés, à savoir les patients. Un rapide coup d’œil sur les textes d’André Green (pour la psychose blanche) ou d’Évelyne Kestemberg (pour la psychose froide) permet de prendre conscience, par-delà l’écran de fumée du jargon psychanalytique, du caractère hautement fumeux et de la profonde vacuité de ces théories. Il s’agit tantôt de « psychose potentielle », de « psychopathologie de l’appareil à penser les pensées », de la fameuse « hallucination négative » ou encore de la « non-solution », le tout décrivant de manière assez systématique une sorte de vide de la pensée.

Au final, en pratique, la psychose, qu’elle soit blanche ou froide, est souvent évoquée face à une impression de vacuité ressentie par le clinicien face à son patient.

Il est évident qu’avec une si faible spécificité, un tel diagnostic ne peut qu’être porté à l’excès, ce qui, compte tenu de ce qu’il implique, notamment  en matière de traitement et de stigmatisation, s’avère volontiers désastreux pour les patients concernés. L’étiquetage psychotique est quasiment indélébile et très rarement remis en cause dans la suite du parcours d’un patient, notamment car l’instauration des neuroleptiques et leurs effets secondaires contribuent à renforcer ce diagnostic de psychose, tout comme les manifestations de sevrage lorsque le traitement est interrompu.

Ces cliniciens adeptes de la psychose non délirante ne sont pourtant pas extra-lucides et diagnostiquent comme les autres à partir de signes et de symptômes, la plupart du temps précipitamment, mais parfois plus tardivement, le diagnostic de psychose venant alors sanctionner le patient d’un échec thérapeutique qui n’est pourtant pas le sien.

Voici donc une sélection des principaux symptômes et troubles psychiatriques à rechercher derrière le masque vide d’une psychose blanche, froide, ou d’une « structure » psychotique :

Trouble de la personnalité limite

Autrement appelé borderline, ce trouble de la personnalité est regrettablement ignoré ou méprisé par de nombreuses écoles psychanalytiques, les patients concernés étant alors « rabattus » vers la névrose pour les plus chanceux, et vers la psychose pour les autres. Ce qui peut raisonnablement être considéré comme un désordre émotionnel entraine des manifestations parfois spectaculaires et impulsifs, notamment des passages à l’acte auto-agressifs, des abus de substances, de violentes crises d’angoisse ou de colère, mais également d’autres symptômes tels que le sentiment de vide, d’ennui ou l’alexithymie, le tout étant volontiers assimilé (à tort) à des manifestations psychotiques.

L’alexithymie

Il s’agit de la difficulté à exprimer ses émotions par des mots. Leurs manifestations, y compris corporelles s’accompagnent d’une relative incapacité à identifier la ou les émotions concernées qui sont pourtant bien présentes. L’impression de vide ressenti par l’interlocuteur n’est que le résultat de la perplexité de l’alexithymique devant sa « cécité émotionnelle ». Ce trouble ou symptôme peut être rattaché à des connexions déficientes entre le cerveau émotionnel et les régions plus en rapport avec la conscience, un dysfonctionnement qui proviendrait d’un défaut d’apprentissage émotionnel durant l’enfance. Qui dit défaut d’apprentissage dit possibilité de réapprentissage. L’alexithymie n’est donc pas figée, et certainement pas assimilable à une structure, et notamment à la psychose puisqu’il ne s’agit pas de perte de contact avec la réalité.

L’impulsivité

Il s’agit de l’incapacité à différer un comportement, un symptôme fréquemment retrouvé dans plusieurs troubles de la personnalité (limite et antisociale notamment) mais qui n’est en rien spécifique des troubles psychotiques. Cette impulsivité est volontiers perçue (à tort) comme une manifestation primaire, la conséquence d’une sorte de vacuité caché et intolérable pour l’inconscient, donc retenu comme argument en faveur d’une structure psychotique, ceci sans qu’aucune preuve scientifique ne soit jamais venue étayer ces intuitions.

Déficit intellectuel ou symptomatologie déficitaire

Rien n’évoque davantage le vide qu’un déficit cognitif ou intellectuel dont l’origine reste évidemment très variée. Des patients sont alors considérés comme psychotiques sur la base d’un déficit qui résulte de séquelles d’un accident traumatique, de troubles envahissants du développement mal pris en charge, mais également de maladies neurologiques dégénératives. La symptomatologie déficitaire qui, lorsqu’associée au symptômes positifs et à la désorganisation signe la schizophrénie, suffit parfois à certains pour diagnostiquer la psychose, ce alors même que cette symptomatologie déficitaire peut s’expliquer tout à fait autrement, notamment par des séquelles d’une intoxication alcoolique ou narcotique chronique. Une pauvreté du discours évoquera alors inévitablement le fameux vide de la pensée, et donc la psychose, que cette pauvreté intellectuelle ne soit qu’apparente ou réelle.

D’autres manifestations, moins évocatrices de cette vacuité psychique, sont également retenues en faveur d’une structure psychotique :

La bizarrerie

Il est parfois effarant de constater à quel point la bizarrerie peut être synonyme de psychose pour certains cliniciens, qu’ils soient ou non influencés par la psychanalyse. Or la bizarrerie, tout comme l’excentricité ou encore certaines croyances, n’est pas forcément le signe d’une perte de contact avec la réalité, même si ces manifestations peuvent être source de souffrance ou justifier le diagnostic de schizotypie, un trouble volontiers considérée comme une forme atténuée de schizophrénie.

Les troubles anxieux

Dans leurs formes les plus sévères, et souvent réfractaires aux prises en charge, certains troubles anxieux légitiment une passerelle extraordinaire entre névrose et psychose. Il s’agit notamment de certains troubles obsessionnels compulsifs dont les manifestations sont particulièrement absurdes, dont les rituels sont à la fois critiqués et justifiés par une pensée magique ou superstitieuse. Il s’agit également de certaines formes de phobie sociale dans lesquelles l’isolement et l’angoisse procurent une impression de vacuité chez l’interlocuteur, notamment car ces patients ne parviennent pas à maintenir le contact oculaire et restent parfois quasi-mutiques. Par ailleurs, la survenue d’une attaque de panique (crise d’angoisse) s’accompagne de certaines pensées automatiques extrêmes (peur de mourir, peur de devenir fou) qui sont hélas parfois prises au pied de la lettre pour justifier un diagnostic de psychose blanche.

Les effets secondaires des neuroleptiques

Il n’y a pas plus évocateur de psychose que l’allure schizophrénique ou l’effet zombie du à l’impregnation de neuroleptiques (voir le billet correspondant).