Vous reprendrez bien un peu de psychose

Considérations

Volontiers cher collègue !

Je l’aime particulièrement lorsqu’elle est proclamée par la personne que l’on attendait, lorsque ce mot si cruel résonne sous un tonnerre de silence, lorsque cet argument d’autorité vient tapoter la joue des petits coquins qui croyaient encore l’avoir enterrée.

Ce qui cloche AVEC la psychiatrie

témoignages

Les défauts d’un système ne sont jamais mieux pointés que par ceux qui le subissent en bénéficient. Voici le témoignage d’un usager posté hier sur un groupe Facebook que je co-administre. J’y adhère suffisamment pour m’abstenir de toute remarque supplémentaire. Mais que les lecteurs ne s’en privent pas !

B. Axelrad : Les ravages des faux souvenirs (2010) ♥♥♥♥½

Livres

L’objectif de ce livre est de répondre de façon claire et pédagogique aux patients, aux familles, aux professionnels, aux juristes qui s’interrogent sur les thérapies dites de la mémoire retrouvée (TMR) et sur leurs conséquences destructrices pour tous ceux qui en sont victimes.

Les « ravages des faux souvenirs » ont commencé à sévir dans les années 80 aux États-Unis. Une association de défense des familles et des patients pris dans la tourmente des TMR s’est créée en 1992, à Philadelphie. Fondée par Pamela Freyd, elle a été rejointe par de nombreux chercheurs, professeurs d’universités, journalistes d’investigation. Les recherches et les publications scientifiques, ainsi que les nombreux procès intentés contre leurs thérapeutes et gagnés par des patients appelés « retractors », parce que revenus sur leurs accusations, ont contribué à faire reculer cette véritable « guerre des souvenirs », désignée ainsi à cause de l’âpre controverse entre ceux qui reconnaissaient le « syndrome des faux souvenirs » et ceux qui le niaient.

 

Ce livre ne parle pas des cas d’inceste avérés contre lesquels une lutte déterminée est nécessaire. Véritable « Chandelle dans les ténèbres », ce livre tente d’éclairer les ravages des « faux souvenirs retrouvés en thérapie » vingt à trente ans après que les faits incriminés sont supposés s’être produits, alors même qu’il n’existe aucune corroboration indépendante de leur existence. Les questions réponses sont les petites chandelles qui éclairent et balisent la route vers la compréhension de ce phénomène sociologique. Puisse-t-il aider tous les acteurs concernés par ce fléau, qui, en France, remonte à la fin des années 90 et gagne dans l’ombre de plus en plus de terrain.

 

Ce phénomène des faux souvenirs est encore très mal connu chez nous, y compris au sein des professionnels de santé mentale. Ceci n’empêche évidemment pas ces derniers de faire preuve de bon sens et de scepticisme face à des souvenirs d’abus qui (ré)apparaissent 20 ou 30 ans après les faits, mais les débats auxquels j’ai pu assister se limitaient souvent à considérer ces déclarations comme des fantasmes et/ou comme un moyen d’attirer l’attention.

Vous avez dit « refoulement » ?

Le fait qu’un psychothérapeute puisse induire des faux souvenirs chez son patient par la suggestion, ceci sans forcément s’en rendre compte, peut sembler invraisemblable mais ce phénomène est pourtant bien réel et prouvé par l’expérimentation. En revanche, le concept de refoulement, mécanisme de défense cher à nos amis freudiens, n’a jamais été validé par la recherche expérimentale depuis qu’il a été proposé il y a maintenant plus d’un siècle. Et pourtant, la croyance qu’un souvenir particulièrement douloureux puisse être rejeté hors de la conscience pour ne pas faire mal est encore largement partagée. Pire encore, selon cette théorie, le fameux souvenir serait conservé en parfait état, juste enfoui dans l’attente d’être plus ou moins délicatement réveillé par un bon psychothérapeute. Coïncidence, les professionnels qui y croient le plus semblent être les moins conscients du phénomène de suggestion, et ceux qui le considèrent de la façon la plus négative, refusant l’idée que l’influence et la manipulation puisse aussi s’avérer bénéfiques et constituer un processus essentiel de toute psychothérapie. Bref, ils n’influenceraient pas leurs patients car la manipulation, même thérapeutique et non consciente, c’est le mal.

Freud retourne son divan

Notre cher Sigmund Freud, encore et toujours lui, y est pour beaucoup dans cette méprise puisqu’il en a jeté les bases avec la théorie de la séduction. Convaincu que les problèmes de ses patients hystériques, obsessionnels et paranoïaques découlaient de traumatismes sexuels de l’enfance, il s’est consacré à leur extorquer ces fameux souvenirs « refoulés » jusqu’à finalement conclure, dans un grand élan de lucidité, que les aveux récoltés étaient probablement faux. Incapable de renoncer totalement à une si belle théorie, il se persuada que ces souvenirs refoulés étaient en réalité des « fantasmes » ! D’où sa nouvelle théorie du complexe d’Œdipe qui lui permettait de faire volte face tout en se raccrochant aux branches disponibles. Les souvenirs d’abus seraient alors considérés à priori comme des fabulations par les générations ultérieures de psychanalystes, ce qui n’a pas manqué de révolter certains courants féministes aux Etats-Unis, entre autres.

Les charlatans remplacent le divan

De nombreuses thérapies régressives et cathartiques ont vu le jour dans l’idée de faire ressurgir un passé enfoui et plus ou moins traumatique. Parmi les plus célèbres, il y a le « rebirth » qui consiste à revenir à l’état de nouveau né par des technique de respiration ou de compression (une fille est d’ailleurs morte étouffée sous un matelas), un courant qui incite à remettre des couches culottes, sucer son pouce et reboire au biberon, le « reparenting » qui consiste à trouver un nouveau parent au patient (en l’occurrence le thérapeute), le « cri primal » et ses dérivés qui consiste à trouver le bon cri pour se débarrasser de sa douleur etc. Certaines techniques plus sérieuses peuvent également être utilisées dans le but de retrouver des souvenirs enfouis. C’est notamment le cas de l’hypnose et de l’EMDR qui sont même parfois utilisés pour retrouver des souvenirs de vies antérieures… Il est d’ailleurs possible de viser la régression et le catharsis par l’intermédiaire de nombreux médiateurs : le divan, les linges mouillés, la pâte à modeler, la poterie, la purée de carottes et j’en passe. Il convient par ailleurs de rester extrêmement vigilant face à des activités régressives d’allure occupationnelles présentées d’emblée comme thérapeutiques.

L’évidence est plus ou moins flagrante

Face à des théories et des pratiques aussi farfelues, les chercheurs peinent encore à se faire entendre. Il existe pourtant de nombreux travaux scientifiques sur la mémoire et des données clairement établies :

  • Une victime d’un traumatisme s’en souvient très bien

Elle s’en souvient parfois même trop bien et développe ce qu’on appelle un état de stress post-traumatique qui consiste en des cauchemars, des reviviscences et un état d’hypervigilance. De nombreuses études réalisées sur des milliers de victimes de traumatismes, notamment des enfants abusés, ne retrouvent aucun cas d’amnésie de l’événement traumatique.

  • Les souvenirs se transforment

Ils s’affaiblissent et se déforment au fil du temps, ceci quelle que soit la charge émotionnelle et sensorielle associée. La mémoire ne fonctionne pas comme un diaporama, un disque dur ou un magnétoscope (pour les plus vieux). Un souvenir est reconstitué à partir de plusieurs morceaux éparpillés et plus ou moins combinés avec d’autres éléments qui correspondent à d’autres expériences. Il s’agit d’une opération plutôt complexe, et dynamique…

Ce petit bouquin de Brigitte Axelrad est conçu comme une entrevue avec des questions/réponses, le tout assez fluide, facile à lire et très synthétique. Elle passe en revue les bases théoriques freudiennes, le refoulement, la suggestion, la mémoire, les vrais et faux souvenirs et leurs conséquences, et même le fameux syndrome des personnalités multiples.

Son site est plutôt bien fourni et je conseille vivement de le parcourir, notamment pour y trouver des références. La traduction française d’une revue de A. Piper (What’s wrong in believing in repression?) intéressera ceux qui veulent aller un peu plus loin sur le sujet du refoulement.

N. Gauvrit & J. Van Rillaer : Les psychanalyses (2010) ♥♥♥♥♥

Livres

Quelle est la conclusion à laquelle aboutissent les psychologues d’orientation scientifique qui ont pris la peine d’étudier de très près les conceptions de Freud et celles qui en sont dérivées ? Globalement la réponse est : la théorie psychanalytique est essentiellement… de la spéculation ! Cet ouvrage aborde la validité de psychanalyses «classiques» avec une place de choix à la façon dont Freud a mené ses analyses psychologiques, construit ses théories et traité ses patients. Les auteurs expliquent également pourquoi le lacanisme, la plus obscure des théories dérivées du freudisme, a connu un étonnant succès auprès de bon nombre d’intellectuels français. Sont également examinées des psychanalyses «new look», c’est-à-dire des types de psychothérapie et de médecine qui se revendiquent de notions freudiennes, mais que les freudiens orthodoxes récusent généralement : Nouvelle Médecine Germanique, psychogénéalogie, thérapies régressives (Rebirth, Cri primal),… Ce livre est ainsi l’occasion de promouvoir un scepticisme raisonnable vis-à-vis de théories et de pratiques psychologiques encore en vogue dans les pays latins. Et sont ainsi mises en lumière les principales erreurs et illusions du freudisme, généralement occultées par les adeptes et ignorées du grand public. Un ouvrage salutaire !

Aussi salutaires soient-ils, le fameux Livre noir de la psychanalyse et son génial précurseur : Les Illusions de la psychanalyse sont tout de même des pavés. Tous les curieux qui voudraient savoir pourquoi la psychanalyse est tant critiquée et ne pas se contenter de la réponse la plus courante des principaux intéressés (« parce que la vérité, ça dérange ») ne sont pas toujours disposés à lire des centaines de pages. Voilà pourquoi ce petit bouquin est à mon avis à recommander en première intention. Il synthétise à merveille et en une cinquantaine de pages ce qui cloche avec le freudisme et ses principaux dérivés.

Je profiterai donc de ce billet pour répondre une fois de plus aux questions qui me sont les plus fréquemment posées par des patients, leur entourage, des collègues, des étudiants, des voisins etc.

Mais enfin Docteur! Pourquoi tant de haine ?

Les théories psychanalytiques et leurs applications diverses peuvent susciter chez moi diverses réactions, les plus extrêmes étant d’un coté le sentiment d’injustice et de révolte, de l’autre l’amusement et la moquerie. Je pense en revanche avoir suffisamment de recul sur mes émotions et sentiments pour savoir qu’il ne s’agit pas de haine, ni d’amour comme pourraient le suspecter certains. Par ailleurs, je conçois tout à fait que ma position « antipsychanalytique » puisse s’expliquer par les théories psychanalytiques elles-mêmes. Je déplore en revanche que cette démarche aboutisse la plupart du temps à une argumentation ad hominem : une tendance à ne plus débattre de mes arguments mais de ma crédibilité. Le fait que les théories psychanalytiques puissent tout expliquer constitue d’ailleurs leur plus grande limite en ce qu’elles n’incitent pas ceux qui les prêchent à aller chercher des explications ailleurs.

Mais Freud a pourtant apporté de bonnes choses !

Oui tout à fait. Reconnaissons à Freud d’avoir relayé quelques idées essentielles :

  1. Nous ne sommes pas conscients de tout ce qui se passe dans notre tête
  2. La sexualité est une composante essentielle de la vie
  3. Un problème affectif ou un traumatisme infantile peuvent se répercuter sur le comportement à l’âge adulte
  4. Le comportement des parents influence celui des enfants
  5. Ça fait du bien d’être écouté, et ça peut même soigner

Il ne s’agit pas de grandes découvertes puisque ces idées étaient déjà largement partagées à l’époque (certaines depuis l’antiquité) mais on peut reconnaitre à Freud d’avoir su les reformuler et les diffuser mieux que personne. Le problème freudien est en réalité parfaitement résumé par un certain Alfred Hoche (professeur de psychiatrie à Fribourg) en 1908 :

Il est certain qu’il y a du nouveau et du bon dans la doctrine freudienne de la psychanalyse. […] Malheureusement, le bon n’est pas neuf et le neuf n’est pas bon.

Mais alors, qu’est-ce qui n’est pas bon ?

Ce que Freud a construit autour de ces idées, à savoir que les troubles mentaux découleraient du refoulement de pulsions et de souvenirs de thématique sexuelle, mais qu’en retrouvant ses souvenirs et en assumant ces pulsions, on pourrait soigner ces troubles mentaux.

Cette opération de refoulement définit quasiment à elle seule l’inconscient freudien. C’est de là que vient l’idée d’une cause profonde, forcément traumatique mais malencontreusement oubliée qu’il serait impossible de déterrer sans l’aide d’un bon psychanalyste.

Mais comment pouvez-vous savoir que c’est faux ?

Je serais bien incapable de « savoir » que c’est faux, ni de le prouver. Formulée comme telle, l’hypothèse d’un souvenir oublié et caché qui serait à l’origine de symptômes ne peut pas être réfutée. Il en est de même pour le fameux complexe d’Œdipe.

A partir du moment où une théorie est formulée de manière à ne pas pouvoir être testée de façon fiable, on ne peut ni la réfuter, ni la valider. Or se priver du moyen d’évaluer la véracité ou la fausseté d’une hypothèse nous cantonne à y croire ou ne pas y croire. Or, lorsqu’il s’agit de soigner des maladies mentales, on ne peut se contenter selon moi d’en rester aux croyances.

Mais les psychanalystes ont tout de même de bonnes raisons d’y croire, non ?

Nous avons tous de bonnes raisons de croire à des théories irréfutables, qu’il s’agisse de l’existence de Dieu, des extra-terrestres ou d’une prochaine apocalypse. Cette croyance est d’autant plus renforcée que son irréfutabilité offre une source intarissable de confirmations potentielles. Il est effectivement très facile pour un freudien de voir des confirmations de la théorie freudienne chez n’importe quel patient, de même qu’un fervent catholique pourra voir dans chaque situation de la vie la confirmation de la présence de Dieu.

Mais le discours du patient ne peut-il tout de même pas révéler des problèmes dont il n’a pas conscience ?

Bien-sûr que si. C’est à partir de cette idée que Freud a développé sa technique de l’association libre qui vise à faire dire au patient ce qui lui passe par la tête avant de l’interpréter, principalement grâce à deux techniques : le décodage symbolique (ex. cigare = phallus) et le décryptage par « mots-ponts » (ex. innocence = virginité). Hélas, d’un coté, le psychanalyste aura tendance à sélectionner les données et à les interpréter pour confirmer sa théorie, de l’autre le patient sera progressivement conditionné (par renforcement) à livrer ce qui pourra être interprété pour confirmer les théories de son psychanalyste : la psychanalyse est ainsi une formidable machine à confirmer la psychanalyse.

En 1901, Fliess se risquait à critiquer son ami Freud et la fâcha avec cette phrase :

Le liseur de pensées ne fait que lire chez les autres ses propres pensées

Mais vous ne pensez pas que la psychanalyse a évolué depuis l’époque de Freud ?

Elle a certes évolué, mais sans jamais prendre le risque de formuler des hypothèses qui puissent être contredites par les faits. Du coup, les idées et théories se sont empilées les unes sur les autres sans qu’aucune ne puisse être vraiment reniée. Des efforts importants ont été consacrés au sauvetage et à l’immunisation de ces théories. L’exemple que je considère le plus éloquent est celui du complexe d’Œdipe. Initialement défini par Freud comme le fait qu’un garçon désire « tuer son père et avoir des rapports sexuels avec sa mère », il ne convenait pas forcément à toutes les observations si bien qu’il a été convenu que cet Œdipe puisse être « refoulé », ce qui expliquait alors pourquoi un garçon pouvait être agressif avec sa mère (l’agressivité traduirait en fait un désir incestueux) et tendre avec son père (une sorte de contre-investissement), un phénomène qui a aussi été justifié après coup par une « bisexualité inconsciente » qui fait que le garçon peut également se comporter comme une fille et vérifier la théorie. Enfin, la stratégie ultime d’immunisation reste le symbolisme. Le complexe d’Œdipe ne serait finalement pas à prendre si au pied de la lettre mais à considérer de manière symbolique : l’envie de « tuer le père » correspondrait ainsi plutôt à une confrontation au porteur de la loi. La vérité est ailleurs mais l’universalité du complexe d’Œdipe est préservée!

Mais, prétendez-vous que les psychanalystes sont des gens malhonnêtes ?

Certainement pas. Si les croyances les plus ancrées peuvent pousser certains à nier l’évidence, ça n’en fait pas pour autant des mauvaises personnes. Je parviens même à garder un à priori positif sur Freud et considère que ses tromperies étaient bien intentionnées, notamment la falsification de ces fameux 18 cas d’hystérie sur lesquels reposent une bonne partie de sa légende, ceci alors qu’il n’en a guéri aucun. Si dans son ensemble, le mouvement psychanalytique est effectivement l’un des plus corrompus de l’histoire, les psychanalystes sont pour la plupart des professionnels qui cherchent authentiquement à aider leurs patients, et la psychanalyse ne les empêche pas forcément d’y parvenir.

Mais, sachant qu’il y en a finalement peu, et surtout de moins en moins, vous devriez être rassuré, non?

Oui et non. Encore une fois, ce qui me dérange avec la psychanalyse, ce sont certaines idées (reçues) qu’elle véhicule et leur mise en application chez des patients atteints de troubles mentaux. Il n’est pas nécessaire d’être un psychanalyste « officiel » pour offrir de telles pratiques. Contrairement à ce qu’en disent les défenseurs de la cause, la pensée psychanalytique imprègne toujours fortement la psychiatrie française. Il suffit de côtoyer des soignants à tous les niveaux pour s’en rendre compte. Les raisons sont certainement nombreuses : respect de la tradition, nostalgie, sympathie, autorité, désinformation ou manque de mise à jour des connaissances, et enfin, non des moindres, l’économie d’énergie. Il est en effet évident que les pratiques découlant de l’idéologie freudo-lacanienne sont énergiquement beaucoup moins couteuses que d’autres pour les soignants qui en font usage, surtout à court terme.

Mais quelles sont donc ces idées et pratiques psychanalytiques que vous désapprouvez ?

Je me limiterai à quelques exemples :

  • La mise en cause quasi-systématique et culpabilisante des parents, notamment des mères, au mépris des informations contradictoires apportées par les découvertes scientifiques, ceci jusqu’à s’en servir comme prétexte pour justifier les échecs thérapeutiques et préconiser des mesures d’éloignement.
  • La sacralisation du symptôme qui offre évidemment matière à interprétation et dont l’absence ou la disparition constitueraient un mauvais présage (ex. le mythe du déplacement, la psychose blanche). Les patients et les équipes sont donc davantage incités à ruminer sans fin autour de ce symptôme qu’à le remplacer par de nouvelles pensées ou de nouveaux comportements.
  • La dissuasion de recourir à d’autres méthodes qui pourraient venir contredire certaines théories psychanalytiques. C’est le cas des TCC et parfois même des médicaments dont l’aide procurée est considérée comme superficielle, temporaire, factice, vaine car elle serait sans effet sur la ou les fameuses causes profondes.
  • L’incapacité à renier ou à dépasser une vision dichotomique de la maladie mentale avec les psychotiques d’un coté et les névrosés de l’autre, ceci tout en déclarant que l’approche psychanalytique est le dernier refuge du droit à la singularité, et que les diagnostics plus « modernes » sont des étiquettes néfastes ou des fourre-tout.
  • L’absence de remise en cause des pratiques au delà d’un cercle qui partage les même croyances, ce qui a pour effet de les renforcer au mépris des faits et notamment des échecs qui sont attribués à des facteurs externes (le patient, son entourage, d’autres professionnels, la société etc.).

Et qu’est-ce qui prouve que vous faites mieux avec les TCC ?

Je ne suis pas sûr et certain de faire mieux. La TCC n’est pas une méthode miraculeuse mais a le mérite d’avoir été et d’être régulièrement évaluée de manière rigoureuse. Ceci permet au thérapeute et à son patient de savoir un minimum à quoi s’attendre, et de faire évoluer les techniques en évitant un minimum les fausses pistes. Alors certes, aussi rigoureuses soient-elles, ces évaluations ne sont pas infaillibles mais à l’heure actuelle, on n’a pas trouvé moins faillible. Alors en attendant de trouver mieux, c’est le moins qu’on puisse faire pour les patients.

Vous avez dit « le mal est plus profond » ?

Considérations

Lorsqu’il est question de prendre en charge un trouble mental, quel qu’il soit, et notamment lorsqu’il est question de recourir à des mesures médicamenteuses, comportementales, sociales ou encore familiales, il n’est pas rare de se retrouver face à une réticence basée sur la conviction que le mal, le vrai, le pur, l’originel, le plus fort, serait ailleurs mais aussi surtout plus profond, ou « derrière » (jusqu’ici, rien de sexuel bien qu’il soit toujours difficile de le promettre).

Cette idée, qui n’est pas forcément absurde, est hélas fréquemment associée à certaines croyances dont on sait aujourd’hui qu’elles sont erronées. Le meilleur moyen de les identifier, comme toujours, reste d’inciter à pousser le raisonnement concerné. L’exemple ci-dessous, tiré d’un échange entre un patient et son thérapeute, illustre la plupart de ces croyances qui sont souvent partagées par l’entourage et, hélas, par une partie non négligeable des professionnels de santé.


— Mais Docteur, le mal est plus profond.

De quoi voulez vous parler?

— De l’origine, de la cause profonde des problèmes.

Laquelle selon vous?

— Je n’en sais rien mais c’est votre boulot ça! Il faut la trouver! Non?

Comment d’après vous?

— En me posant des questions sur mon enfance! En analysant mes rêves!

Vous voulez dire que cette cause serait ancienne? Que vous l’auriez oubliée? Et qu’elle serait cachée dans vos rêves?

— Oui, c’est pour ça qu’il faut la chercher : dans mon inconscient.

Et si on pense l’avoir trouvée, comment saura-t-on que c’est la bonne?

— Ça va me faire un déclic, et je pourrai aller mieux.

Que voulez vous dire par « déclic »?

— Et bien j’aurai vraiment compris mon problème et comment le résoudre.

Si je récapitule, désigner une cause à votre problème vous donnera sa solution?

— Euh… Oui? Vous ne pensez pas?

Que diriez vous de commencer par mettre en place les mesures que je vous ai conseillées?

— Mais Docteur, tout ça, c’est superficiel!

Et alors?

— Ça ne va pas servir à grand-chose.

Pourquoi.

— Parce qu’on n’agira que sur les conséquences et pas sur la cause!

Et alors?

Il faut agir à la source, sinon les problèmes vont revenir.

Donc si j’ai bien compris, vous pensez que votre problème fonctionne comme une source et que tout s’écoule dans un seul sens : de la profondeur vers la superficie ou plutôt de ce qui n’est pas conscient vers ce qui est conscient. Mais alors, ne serait il pas possible de nager à contrecourant?

— Peut-être mais ça me paraît difficile et contre nature.

Ça demande effectivement un certain effort mais c’est pourtant ce que vous faites depuis votre plus tendre enfance.

— Comment ça?

C’est le principe de l’apprentissage, des tâches les plus élémentaires comme faire du vélo aux phénomènes plus complexes (pensées, émotions, comportements) qui permettent de vous adapter au monde dans lequel vous vivez.

— Mais alors Docteur, c’est quoi pour vous l’inconscient?

Je dirais, approximativement, qu’il s’agit de la façon la plus instinctive d’appréhender le monde, y compris soi-même.

— Mais Docteur, on ne peut pas lutter contre ses instincts!

Il est tout à fait possible d’en modifier certains sans pour autant entrer en guerre.

— Mais comment?

Et bien par l’apprentissage justement, ce qui passe en général par modifier certains comportements, certaines façons de raisonner et certaines émotions. D’où les mesures et les exercices que je vous conseille.

— D’accord mais bon, je ne sais pas trop. Il faudrait que j’y réfléchisse parce que je n’ai pas l’impression d’être totalement convaincu là.

Vous pouvez évidemment y réfléchir mais le meilleur moyen d’évaluer ce que je vous conseille, c’est d’en vérifier par vous même les effets, en l’expérimentant. Après tout, que risquez vous à essayer?


Après cet échange des plus éloquents, il est temps de reprendre une à une les différentes idées reçues :

Un trouble mental résulte d’une cause précise et identifiable.

Un trouble mental, quel que soit son type ou sa sévérité, ne résulte pas d’une cause unique mais de l’impact du stress sur la fragilité. C’est du moins à ce jour l’hypothèse la plus probable (voir le billet correspondant). Il est parfois possible d’identifier un ou des facteurs de stress ayant pu favoriser ou précipiter la survenue du trouble mais il ne s’agit certainement pas d’un simple rapport de cause à effet. Il n’est pas rare de voir certaines « causes » ou « responsables » désignées de façon plus ou moins arbitraire. Il s’agit d’une démarche pour le moins douteuse, sans grande fiabilité et dont les conséquences peuvent être néfastes (demandez à certaines mères d’enfants autistes).

Si cette cause n’est pas immédiatement identifiable, c’est qu’elle est cachée, oubliée ou codée, profondément enfouie dans l’inconscient.

Cette théorie freudienne vieille de plus d’un siècle est irréfutable, ce qui signifie qu’il est impossible de prouver qu’elle est fausse (un peu comme il est impossible de prouver que Dieu n’existe pas). Il est en revanche possible de chercher à prouver sa véracité, mais jusqu’à maintenant, personne n’y est parvenu. En revanche, ce qui a été prouvé, ce sont les risques liés à cette croyance. En effet, lorsqu’un thérapeute et son patient se lancent dans une quête de la mémoire perdue, ils est bien plus probable que le ou les souvenirs retrouvés soient tout simplement faux, créés sous l’influence de la suggestion avec les conséquences parfois dramatiques que l’on peut imaginer.

C’est la prise de conscience de la cause du problème qui résout celui ci.

Il s’agit d’une pensée magique, à nouveau typiquement freudienne selon laquelle il suffirait de mettre en évidence l’origine inconsciente du mal pour s’en débarrasser. Dans le monde réel, ce genre de guérison miraculeuse par remémoration, révélation ou illumination ne survient pas, et il est de notoriété publique que les cas relatés par le fameux Sigmund étaient franchement romancés, pour ne pas dire mensongers. Ce qui se produit en général quand une cause est désignée, réelle ou pas, inconsciente ou pas, c’est une sorte de soulagement qui peut découler par exemple d’une déculpabilisation ou de l’impression de mieux comprendre, de mieux maîtriser son problème. Ce phénomène ne saurait toutefois durer plus longtemps que la croyance en cette cause désignée.

Il faut tout de même connaître la cause d’un problème pour le régler.

Dans la plupart des cas, connaître la ou les causes d’un problème n’est ni nécessaire, ni suffisant pour le régler. La désignation d’une cause ne permet pas forcément de comprendre le problème et ne fournit que très rarement une solution à celui-ci. En effet, agir sur cette cause désignée, si tant est que ce soit possible, n’aura pas forcément d’effet sur ses conséquences qui finissent souvent par évoluer indépendamment, renforcées par des facteurs de maintien. Il est en revanche capital de connaître et d’agir sur ces facteurs de maintien qui constituent une voie d’abord beaucoup plus fiable pour trouver des solutions.

Rien ne sert d’intervenir sur les conséquences si on n’agit pas sur la cause profonde et inconsciente du problème.

Cette idée est basée sur la psychologie de la cocotte minute selon laquelle la cause du problème serait la source de chaleur et les symptômes seraient des fuites de vapeur. Agir sur un symptôme en bouchant une fuite serait une démarche vaine puisque la pression augmentant, d’autres fuites et donc d’autres symptômes ne tarderaient pas à apparaître. La seule solution valable serait alors d’agir en profondeur sur la source de chaleur. C’est de ce modèle que découle l’idée d’un possible déplacement des symptômes, une théorie relayée par ceux qui préfèrent ne pas y toucher. Dans le monde réel, ni cette théorie, ni le modèle dont elle est issue ne se vérifient. Aider quelqu’un à supprimer un symptôme le rend au contraire plus apte à en supprimer d’autres et ainsi de suite, comme un effet boule de neige. C’est ce phénomène de l’apprentissage qui montre justement que la modification de quelque chose de superficiel peut avoir des effets en profondeur, que tout ne fonctionne pas que dans un sens, que ce qui est considéré comme une conséquence peut devenir à son tour une cause, et enfin que l’inconscient n’est pas une autre personne ou une sorte de démon intérieur qui s’amuserait à nous pourrir la vie tout en restant imperméable à nos comportements, nos pensées ou nos émotions.

-Aller mieux, c’est une question de déclic.

Cette idée d’une sorte de gâchette libératrice est souvent associée à celle d’un inconscient qui serait quelqu’un d’autre, ce qui finit par placer celui qui y croit en position passive, dans l’attente que cet inconscient active la fameuse gâchette, spontanément ou par l’intermédiaire d’un thérapeute plus ou moins magicien. Autant dire que cette attente peut être longue, très longue, et que cette croyance diminue logiquement le sentiment de maîtrise d’un patient sur ce qui lui arrive, en mal ou en bien. Si se déresponsabiliser de ses échecs peut encore présenter quelques avantages, n’attribuer ses progrès qu’à quelqu’un d’autre ne fait que renforcer le vécu dépressif de la situation. Des progrès réels et durables ne surviennent en general que lorsqu’un patient en est le premier acteur, et qu’il en a conscience. Pour ceci, il est essentiel qu’il ait compris la façon dont son trouble fonctionne, de son installation à son maintien, ce qui a plus de chance de se produire avec un thérapeute pédagogue qu’avec un magicien. Cette pédagogie est d’autant plus essentielle que les mesures à prendre pour changer ne sont pas toujours les plus intuitives.

-Aller mieux, c’est une question de volonté.

La volonté est évidemment nécessaire, et la plupart du temps présente, mais ne suffit pas forcément à sortir de la passivité. Lorsque cette volonté est source de motivation, il s’agit d’un moteur essentiel au changement puisque propice à l’action, mais là encore, cette motivation ne donnera pas grand chose sans une méthode efficace. Un moteur tel que la motivation doit notamment être entretenu pour ne pas s’éteindre, et le meilleur moteur à ce niveau reste la réussite. Ces petites victoires qui peuvent paraître là encore superficielles constituent le chemin le plus fiable vers d’autres réussites, plus grandes, plus profondes, et ainsi de suite…

En matière de psychologie et de santé mentale, il est essentiel de ne pas se laisser berner par l’illusion de superficialité. Les interventions qui paraissent les plus futiles sont souvent celles qui permettent d’agir à la source avec la meilleure fiabilité. Et plus que jamais, méfions nous des sourciers.


Voulez-vous en savoir plus ?

Deux articles de Brigitte Axelrad sur les faux souvenirs :

Deux articles de Jacques Van Rillaer :

Un article d’Esteve Freixa i Baqué sur le comportement :

Un article de Christophe André :