Ce qui cloche AVEC la psychiatrie

témoignages

Les défauts d’un système ne sont jamais mieux pointés que par ceux qui le subissent en bénéficient. Voici le témoignage d’un usager posté hier sur un groupe Facebook que je co-administre. J’y adhère suffisamment pour m’abstenir de toute remarque supplémentaire. Mais que les lecteurs ne s’en privent pas !

I. Drouet & N. Gauvrit – Causes toujours ! (2013) ♥♥♥♥

Livres

Si les causes sont ainsi notre pain quotidien, elles ne vont pourtant pas sans soulever un certain nombre de problèmes conceptuels et pratiques.

Les philosophes essaient depuis maintenant plusieurs siècles de cerner la causalité, mais aucun n’a réussi à formuler une caractérisation qui soit complètement satisfaisante.
C’est qu’aucune de nos intuitions relatives à la causalité n’est infaillible et ne permet de formuler une définition valant sans exception.
Dans ces conditions, nous appuyer sur ces intuitions pour identifier les causes nous conduit parfois à nous tromper.
Il arrive que des causes réelles restent cachées, se manifestant si peu que nous ne pouvons les détecter.
Plus souvent, nos erreurs proviennent de ce que nous croyons voir des causes là où il y a, en fait, des coïncidences seulement fortuites ou des relations plus complexes que nous ne saisissons pas.
Enfin, dans le cas où il y a bien une cause qui explique ce que nous observons, il n’est pas rare que nous attribuions à ces phénomènes une autre cause, d’une façon qui, pour être plus intuitive, n’en est pas moins fausse.

C’est ce que nous découvrirons dans ce livre à partir de nombreux exemples de telles erreurs parfois inquiétantes, parfois amusantes.

Tout bon ou mauvais psy qui se respecte, qu’il soit chiatre, chologue, chothérapeute, chanalyste, se retrouve régulièrement lancé « à la recherche de la cause ». Cette quête parfois passionnante, parfois plus rébarbative, ne doit faire oublier que si elle semble nécessaire, elle n’est pas pour autant suffisante et qu’elle reste surtout soumise à des phénomènes qui dépassent aussi bien le psy que son patient.

Ce véritable besoin de causalité qui s’exprime chez l’Homme depuis la nuit des temps (et pas forcément lié à une sorte de frénésie actuelle dénoncée ici ou là) le conduit souvent à se laisser piéger par ses intuitions. Ce bouquin, petit mais brillant, nous le rappelle judicieusement, sans détours indigestes ni méthode miracle, ce qui n’empêchera personne de gagner en lucidité.

Entre les causes que l’on ne voit pas, celles que l’on voit mais qui n’en sont pas forcément, celles qui en sont mais qui peuvent en masquer d’autres, il devient parfois difficile de s’y retrouver. La moins mauvaise manière de se rapprocher de la vérité reste encore de bien connaître ce qui peut nous en écarter, à commencer par nos croyances et notamment l’illusion de contrôle, une tendance à surestimer notre maitrise de l’environnement, parfois au point de sombrer dans des prédictions excessives. Un psy (non déprimé) aura ainsi tendance à s’attribuer davantage les réussites de son patient que les échecs de ce dernier. Si un patient se sent mieux à l’hôpital, les soignants l’expliqueront davantage par les bon soins qui y sont prodigués que par ce qui pouvait lui nuire à l’extérieur (tendance à privilégier le fait par rapport au non fait). Si un patient va mieux depuis qu’il consulte un psy, cette amélioration n’est peut-être pas liée à l’intervention (corrélation n’est pas causalité). En effet, toutes les souffrances ne durent pas, certaines régressent naturellement de même que certaines maladies évoluent spontanément vers la guérison. Ce phénomène de régression vers la moyenne peut cependant être accéléré par une psychothérapie ou par un médicament. On pourrait s’attendre à ce que la détérioration de l’état d’un patient consécutive à l’intervention d’un psy conduise ce dernier à une remise en question de sa démarche mais ce n’est hélas pas systématique puisque souvent contraire à ses croyances. Il ira chercher des causes ailleurs, parfois même réelles (une cause peut en masquer une autre), sans examiner la possibilité que son attitude, ses conseils ou ses prescriptions médicamenteuses puissent également être à l’origine de cette dégradation. Certaines situations incitent même à inverser les causes et les effets, et notamment à croire que des dysfonctionnements parentaux seraient à l’origine d’une maladie mentale chez un enfant, alors que l’inverse est en général bien plus probable.

Si certaines questions ne trouvent pas à ce jour de réponses plus précises que le modèle stress-diathèse, nous disposons de quelques outils pour limiter nos erreurs d’attribution et pour tester certaines de nos hypothèses, notamment lorsqu’il s’agit de cerner les causes du maintien d’une souffrance ou d’un dysfonctionnement chez un patient.

Le livre est disponible ici

Causes toujours !

Effets Secondaires ♥♥♥½

Cinéma, Effets secondaires

Synopsis : Jonathan Banks est un psychiatre ambitieux. Quand une jeune femme, Emilie, le consulte pour dépression, il lui prescrit un nouveau médicament. Lorsque la police trouve Emilie couverte de sang, un couteau à la main, le cadavre de son mari à ses pieds, sans aucun souvenir de ce qui s’est passé, la réputation du docteur Banks est compromise…

Effets SecondairesLa conspiration n’est pas aussi répandue qu’on le croit, et lorsque qu’un complot est en marche, il n’est pas forcément celui qu’on croit, ou celui que nous sommes incités à croire. La fausse piste relative nous conduit vers les dérives de l’industrie pharmaceutique, soupçonnée de vendre des psychotropes dangereux en connaissance de cause par l’intermédiaire de psychiatres corrompus, le tout orchestré par le pouvoir de l’argent. Mais c’est justement cette croyance (pas forcément délirante) qui est instrumentalisée par les véritables comploteuses à l’œuvre dans cette histoire. Si la première partie du film reste assez barbante, y compris pour un psychiatre, la seconde ravive celui qui aura su ne pas se décourager. Catherine Zeta-Jones, qui a récemment révélé sa bipolarité, se révèle ici en psychiatre délicieusement machiavélique tandis que Jude Law, encore une fois un peu trop beau pour être vrai (dans tous les sens du terme), nous offre au moins une version dépoussiérée du psychiatre au cinéma : ni vieux, ni barbu, ni pervers, ni plus « fou » que ses patients.

La manie : une défense contre la dépression?

Considérations, Psychanalyse, Troubles de l'humeur

Au sein des innombrables contes et légendes de la psychiatrie psychanalytique, il est une fable qui semble traverser les générations aussi commodément que les recettes de grand-mères les plus grotesques, et dans laquelle la manie ne serait ni plus ni moins qu’une défense contre la dépression. Cette théorie aussi séduisante que finalement absurde répond parfaitement à l’un des plus grands principes de la mystification freudienne : s’il y a une vérité, elle est ailleurs, cachée et/ou contraire à la logique. A titre d’exemple, il n’est pas rare d’entendre qu’une quelconque phobie résulterait de la peur d’autre chose, ou pire, qu’une phobie serait la manifestation paradoxale d’un gout caché pour ce qui fait peur, soit autant d’idée farfelues qui séduiront beaucoup plus les soignants et l’entourage que le patient lui-même.

Une croyance renforcée par l’observation.

La manie est un état de surexcitation psychique qui survient dans le cadre d’un trouble bipolaire, donc chez des patients qui présentent également des épisodes dépressifs. Ceux-ci peuvent suivre ou précéder la manie, voire même coexister au cours de ce qu’on appelle un épisode mixte. Cette alternance, récurrence ou coexistence d’épisodes thymiques représente l’évolution naturelle du trouble bipolaire, un phénomène décrit depuis l’antiquité.

Hélas, certains cliniciens n’interprèteront les symptômes et l’histoire de la maladie que dans le sens de leur croyance d’une défense maniaque contre la dépression :

  • Si un épisode dépressif suit une phase maniaque, cette évolution sera interprétée comme le résultat d’un épuisement du patient qui ne peut plus lutter contre la dépression. Il s’agira d’une victoire pour ces cliniciens qui estimeront avoir fait tomber les défenses du patient et ainsi révélé sa souffrance réelle. Or cette évolution péjorative n’est absolument pas souhaitable dans le trouble bipolaire car elle expose à d’autres complications qui sont celles de la dépression, notamment le suicide, et qu’elle contrarie la stabilisation de l’humeur donc de la maladie.
  • À l’inverse, lorsque la dépression précède la manie, cette dernière sera considérée comme une réaction d’orgueil, un ras-le-bol inaugurant un nouveau combat contre la dépression. Sans aller jusqu’à glorifier cette manie, certains cliniciens s’en réjouiront en pensant que ça ne peut pas faire de mal à un patient qui vient de passer plusieurs semaines, ou plusieurs mois dans un état dépressif profond. Ceci revient encore à nier d’une part, les complications graves qui peuvent survenir au cours de la manie, et d’autre part la nécessité de stabiliser l’humeur du patient bipolaire afin que celui-ci vivre au mieux cette maladie.
  • Si un patient pleure au cours d’un épisode maniaque entre deux phases d’euphorie et d’hyperactivité, cet instant sera qualifié de révélateur de la vérité dépressive profonde contre laquelle il lutte. Le patient aura, l’espace d’un instant laissé tomber ses défenses pour révéler sa souffrance réelle. Or, le passage du rire aux larmes est un phénomène fréquent pour ne pas dire quasi-systématique dans la manie, de même que les épisodes maniaques purement euphoriques sont rares. L’émotion qui prédomine dans la manie est l’irritabilité. La tristesse et l’anxiété, que l’on imagine à tort come spécifiques de la dépression, surviennent aussi souvent que l’euphorie dans la manie. Les pleurs et l’angoisse qui surviennent au cours de la manie révèlent donc une hyperexcitabilité émotionnelle et non une dépression « masquée » contre laquelle le patient lutterait plus ou moins inconsciemment.

De l’absurdité d’un raisonnement à pousser

Si la manie est une défense contre la dépression, qui pourrait m’interdire de penser l’inverse, à savoir que la dépression est une défense contre la manie? Qui pourrait m’interdire de penser que les deux théories se complètent? Un patient déprimé se défendrait donc contre une manie par laquelle il se défendrait contre la dépression, elle même moyen de défense contre la manie et ainsi de suite jusqu’à…

Le raisonnement psychanalytique, qui tend à promettre que les maladies mentales ne sont pas des vraies maladies « physiques » ou « palpables », se trouve forcément mis à mal par la présentation du trouble bipolaire dans sa forme la plus spectaculaire, à savoir le type I. Cette « maniaco-dépression » semble aujourd’hui assez fidèle à ce qu’elle était dans l’antiquité, et ne paraît pas dictée par une attitude maternelle incestueuse pas plus que par une absence symbolique du père. Quel est donc pour un psychanalyste, le meilleur moyen de ne pas perdre la face?

  1. Mystifier l’interlocuteur : raisonnement circulaires, diversions et divagations spéculatives, dissimulations, jargon insaisissable, interprétations et autres reconstructions symboliques et pseudo-intellectuelles…
  2. Désigner des ennemis : endosser le costume de l’humanisme pour dénoncer les dérives potentielles de tout ce qui pourrait nuire à la remise en question de la pensée psychanalytique (le cognitivo-comportementalisme, le DSM, l’industrie pharmaceutique etc.)

Au final, des paroles prophétiques résonnent et ressemblent à s’y méprendre aux mises en garde des adorateurs de Xenu :

Aujourd’hui, tout le monde peut-être diagnostiqué bipolaire grâce au DSM, un manuel dicté plus ou moins directement par l’industrie pharmaceutique qui vise à ce que ses psychotropes soient vendus, et donc prescrits à l’ensemble de la population mondiale préalablement dressée par les TCC…

Les psychotropes ne seraient pas moins efficaces que les autres médicaments

Médicaments, Revues Pro

Les psychotropes ont mauvaise réputation, ce qui paraît légitime compte tenu des effets secondaires parfois invalidants, de l’incertitude quant à leur mécanisme d’action, des conflits d’intérêt ou encore de l’absence de réel test diagnostique pour les maladies mentales. Ces médicaments psychiatriques ont également la réputation d’être moins efficaces que les autres, or ce n’est pas ce que constate une équipe allemande qui publie ce mois ci dans le British Journal of Psychiatry un article relayé par The Mental Elf.

À partir des données recueillies sur une centaine de méta-analyses, 16 psychotropes sont comparés à 48 médicaments utilisés pour traiter différentes maladies « physiques », notamment l’hypertension artérielle, l’asthme, le diabète l’hépatite C etc.

Il en ressort que les psychotropes sont en moyenne aussi efficaces que les autres médicaments. L’efficacité partielle ou la persistance de symptômes sous traitement n’a en effet rien de spécifique à la psychiatrie, tout comme la mauvaise observance thérapeutique par ailleurs…

Les psychotropes ne sont donc toujours pas la panacée, mais ils soignent…

Leucht S, Hierl S, Kissling W, Dold M and Davis JM. Putting the efficacy of psychiatric and general medicine medication into perspective: review of meta-analyses. British Journal of Psychiatry 2012; 200: 97-106.