La manie : une défense contre la dépression?

Considérations, Psychanalyse, Troubles de l'humeur

Au sein des innombrables contes et légendes de la psychiatrie psychanalytique, il est une fable qui semble traverser les générations aussi commodément que les recettes de grand-mères les plus grotesques, et dans laquelle la manie ne serait ni plus ni moins qu’une défense contre la dépression. Cette théorie aussi séduisante que finalement absurde répond parfaitement à l’un des plus grands principes de la mystification freudienne : s’il y a une vérité, elle est ailleurs, cachée et/ou contraire à la logique. A titre d’exemple, il n’est pas rare d’entendre qu’une quelconque phobie résulterait de la peur d’autre chose, ou pire, qu’une phobie serait la manifestation paradoxale d’un gout caché pour ce qui fait peur, soit autant d’idée farfelues qui séduiront beaucoup plus les soignants et l’entourage que le patient lui-même.

Une croyance renforcée par l’observation.

La manie est un état de surexcitation psychique qui survient dans le cadre d’un trouble bipolaire, donc chez des patients qui présentent également des épisodes dépressifs. Ceux-ci peuvent suivre ou précéder la manie, voire même coexister au cours de ce qu’on appelle un épisode mixte. Cette alternance, récurrence ou coexistence d’épisodes thymiques représente l’évolution naturelle du trouble bipolaire, un phénomène décrit depuis l’antiquité.

Hélas, certains cliniciens n’interprèteront les symptômes et l’histoire de la maladie que dans le sens de leur croyance d’une défense maniaque contre la dépression :

  • Si un épisode dépressif suit une phase maniaque, cette évolution sera interprétée comme le résultat d’un épuisement du patient qui ne peut plus lutter contre la dépression. Il s’agira d’une victoire pour ces cliniciens qui estimeront avoir fait tomber les défenses du patient et ainsi révélé sa souffrance réelle. Or cette évolution péjorative n’est absolument pas souhaitable dans le trouble bipolaire car elle expose à d’autres complications qui sont celles de la dépression, notamment le suicide, et qu’elle contrarie la stabilisation de l’humeur donc de la maladie.
  • À l’inverse, lorsque la dépression précède la manie, cette dernière sera considérée comme une réaction d’orgueil, un ras-le-bol inaugurant un nouveau combat contre la dépression. Sans aller jusqu’à glorifier cette manie, certains cliniciens s’en réjouiront en pensant que ça ne peut pas faire de mal à un patient qui vient de passer plusieurs semaines, ou plusieurs mois dans un état dépressif profond. Ceci revient encore à nier d’une part, les complications graves qui peuvent survenir au cours de la manie, et d’autre part la nécessité de stabiliser l’humeur du patient bipolaire afin que celui-ci vivre au mieux cette maladie.
  • Si un patient pleure au cours d’un épisode maniaque entre deux phases d’euphorie et d’hyperactivité, cet instant sera qualifié de révélateur de la vérité dépressive profonde contre laquelle il lutte. Le patient aura, l’espace d’un instant laissé tomber ses défenses pour révéler sa souffrance réelle. Or, le passage du rire aux larmes est un phénomène fréquent pour ne pas dire quasi-systématique dans la manie, de même que les épisodes maniaques purement euphoriques sont rares. L’émotion qui prédomine dans la manie est l’irritabilité. La tristesse et l’anxiété, que l’on imagine à tort come spécifiques de la dépression, surviennent aussi souvent que l’euphorie dans la manie. Les pleurs et l’angoisse qui surviennent au cours de la manie révèlent donc une hyperexcitabilité émotionnelle et non une dépression « masquée » contre laquelle le patient lutterait plus ou moins inconsciemment.

De l’absurdité d’un raisonnement à pousser

Si la manie est une défense contre la dépression, qui pourrait m’interdire de penser l’inverse, à savoir que la dépression est une défense contre la manie? Qui pourrait m’interdire de penser que les deux théories se complètent? Un patient déprimé se défendrait donc contre une manie par laquelle il se défendrait contre la dépression, elle même moyen de défense contre la manie et ainsi de suite jusqu’à…

Le raisonnement psychanalytique, qui tend à promettre que les maladies mentales ne sont pas des vraies maladies « physiques » ou « palpables », se trouve forcément mis à mal par la présentation du trouble bipolaire dans sa forme la plus spectaculaire, à savoir le type I. Cette « maniaco-dépression » semble aujourd’hui assez fidèle à ce qu’elle était dans l’antiquité, et ne paraît pas dictée par une attitude maternelle incestueuse pas plus que par une absence symbolique du père. Quel est donc pour un psychanalyste, le meilleur moyen de ne pas perdre la face?

  1. Mystifier l’interlocuteur : raisonnement circulaires, diversions et divagations spéculatives, dissimulations, jargon insaisissable, interprétations et autres reconstructions symboliques et pseudo-intellectuelles…
  2. Désigner des ennemis : endosser le costume de l’humanisme pour dénoncer les dérives potentielles de tout ce qui pourrait nuire à la remise en question de la pensée psychanalytique (le cognitivo-comportementalisme, le DSM, l’industrie pharmaceutique etc.)

Au final, des paroles prophétiques résonnent et ressemblent à s’y méprendre aux mises en garde des adorateurs de Xenu :

Aujourd’hui, tout le monde peut-être diagnostiqué bipolaire grâce au DSM, un manuel dicté plus ou moins directement par l’industrie pharmaceutique qui vise à ce que ses psychotropes soient vendus, et donc prescrits à l’ensemble de la population mondiale préalablement dressée par les TCC…

L’akathisie

Effets secondaires, Neuroleptiques

Parmi les nombreux effets secondaires attribuables aux neuroleptiques, l’akathisie demeure certainement le plus trompeur, et souvent le plus dommageable. Souvent réduite à une « impatience pathologique » ou à l’impossibilité de rester immobile qui n’est que l’une de ses potentielles conséquences motrices, l’akathisie serait mieux résumée par une surexcitation globale, et notamment émotionnelle.

Des présentations trompeuses

Ceux qui en ont un jour subi les effets décrivent l’une des pires expériences de leur vie : une sensation intense d’inconfort associée à un sentiment de perte de contrôle, le tout pouvant favoriser toutes sortes de complications plus ou moins graves.

L’illustration la plus typique est ce besoin presque impérieux de marcher, de déambuler pour soulager une impatience qui rend impossible la moindre immobilité prolongée. Or ces symptômes typiques ne sont que rarement isolés, et peuvent être absent dans les nombreuses formes plus discrètes d’akathisie qui surviennent depuis l’avènement des neuroleptiques atypiques.

L’akathisie se retrouve également à l’origine d’une exaltation parfois massive de certaines émotions négatives telles que l’anxiété, l’irritabilité, la dysphorie et la colère, dont les conséquences sur le plan comportemental se révèlent variables et parfois dramatiques : agitation, agressivité, impulsivité, fugue, raptus suicidaire…

Ces nombreuses présentations incitent volontiers les soignants, l’entourage, voire le patient lui-même à considérer que cette aggravation est le fait de la maladie qui l’a conduit à se faire soigner plutôt qu’un effet secondaire du traitement. Celui-ci est alors volontiers augmenté dans l’espoir de faire cesser les symptômes sans que l’hypothèse de l’akathisie ne soit évoquée, ce qui ne constitue guère la solution idéale.

En guise d’exemple, il n’est pas rare d’entendre au sujet de l’aripiprazole (Abilify®), même de la part de grands cliniciens, que celui-ci provoque de l’excitation, de l’angoisse, voire des accès maniaques ou délirants (étrange pour un neuroleptique…). Or il se trouve que cet aripiprazole est également un grand pourvoyeur d’akathisie, ce qui, combiné à son profil peu voire non sédatif, aboutit volontiers à ce genre de tableau.

Comment la démasquer?

Avant de la démasquer, il s’agirait déjà d’y penser, et bien avoir en tête ce chevauchement parfois complexe et flou entre les symptômes de l’akathisie et ceux de nombreuses maladies psychiatriques. Il n’existe pas de méthode distinctive miraculeuse mais les critères pour la recherche du DSM représentent une base diagnostique plutôt fiable à ce niveau.

Les voici dans la quatrième version révisée :

Critères de recherche pour l’akathisie aiguë induite par les neuroleptiques

A. Apparition de plaintes subjectives d’impatience après la prise d’un traitement neuroleptique

B. Au moins l’un des symptômes suivants est observé :

(1) Mouvements d’impatience ou balancement des jambes

(2) Balancement d’un pied sur l’autre en position debout

(3) Besoin de marcher pour soulager l’impatience

(4) Incapacité à rester assis ou debout sans bouger au-delà de quelques minutes

C. Les symptômes des critères A et B surviennent dans les 4 semaines qui suivent le début ou l’augmentation des doses d’un traitement neuroleptique ou bien la réduction d’un traitement médicamenteux visant à traiter (ou à prévenir) des symptomes extrapyramidaux aigus (p.ex., les anticholinergiques).

D. Les symptômes du critère A ne sont pas mieux expliqués par un troubles mental (p. ex., la Schizophrénie, le Sevrage à une substance, l’agitation d’un Épisode dépressif majeur ou d’un Épisode maniaque, l’hyperactivité d’un Déficit de l’attention/hyperactivité). Les arguments en faveur d’un trouble mental sont notamment la survenue de symptômes avant la prise de neuroleptiques, l’absence d’amélioration sous traitement pharmacologique (p. ex., la réduction de la dose de neuroleptiques ou l’administration d’un médicament visant à traiter l’akathisie n’entraine pas d’amélioration).

E. Les symptômes du critère A ne sont pas dus à une substance non neuroleptiques ou à une affection neurologique ou à une autre affection médicale générale. Les arguments en faveur d’une affection médicale générale sont notamment la survenue des symptômes avant la prise de neuroleptiques ou l’aggravation des symptômes en l’absence de changement du traitement médicamenteux.

Il semble évident que le meilleur argument en faveur de cette akathisie reste chronologique, celle-ci devant être évoquée devant toute aggravation de l’état d’un patient après instauration d’un traitement neuroleptique.

Comment s’en débarrasser?

Là également, il n’existe pas à ce jour de solution miraculeuse. La meilleure reste l’arrêt total et définitif du traitement neuroleptique en cause. Celui-ci pourra être remplacé si nécessaire par un autre sans pouvoir garantir du retour ou non de cet effet secondaire. L’intensité de l’akathisie demeurant dose dépendante, une diminution du traitement peut également apporter un soulagement plus ou moins partiel.

Certaines molécules dévoilent un effet correcteur mais ne doivent être envisagée qu’en cas d’impossibilité d’interrompre le traitement neuroleptique. Les anticholinergiques, les beta-bloquants tels que le propranolol (Avlocardyl®) ou encore les benzodiazépines comme le lorazepam (Temesta®) peuvent se révéler efficaces à conditions que soit mis en balance les bénéfices et risques d’une telle prescription.

Diagnostiquer, prendre en considération et traiter cette akathisie reste une démarche essentielle en psychiatrie, notamment en vue de prévenir certaines complications telles que l’automédication (l’alcool est hélas aussi un correcteur efficace) ou l’interruption brutale d’un neuroleptique par le patient avec les risques de rechute qui y sont liés.

Quels neuroleptiques sont concernés?

Ils le sont tous, les anciens comme les nouveaux, ces derniers provoquant des akathisies plus discrètes mais pas forcément moins dangereuses. Les variations interindividuelles entrainent une grande difficulté à prévoir cet effet secondaire avant la mise en place d’un traitement. Il est donc essentiel d’aller le traquer (tout comme les autres effets secondaires) sans attendre que le patient s’en plaigne. Un tableau répertoriant les principaux effets secondaires des neuroleptiques est disponible ici.

Et le syndrome des jambes sans repos?

Il s’agit d’un autre trouble à envisager comme diagnostic différentiel et que l’on différencie de l’akathisie grâce à plusieurs critères :

  • Absence d’exposition aux neuroleptiques
  • Symptômes limités aux membres inférieurs
  • Présence de symptômes sensoriels associés (paresthésies, chaud/froid, douleur etc.)
  • Myoclonies (mouvements brusques, involontaires et de faible amplitude)
  • Troubles du sommeil
  • Aggravation vespérale, voire manifestations uniquement le soir
  • Antécédents familiaux
  • Sensibilité à d’autres traitements

Un peu de lecture pour finir :

L’akathisie sous-diagnostiquée (A. Bottéro)

The Causes of Underdiagnosing Akathisia (Shigehiro Hirose)