L’akathisie

Effets secondaires, Neuroleptiques

Parmi les nombreux effets secondaires attribuables aux neuroleptiques, l’akathisie demeure certainement le plus trompeur, et souvent le plus dommageable. Souvent réduite à une « impatience pathologique » ou à l’impossibilité de rester immobile qui n’est que l’une de ses potentielles conséquences motrices, l’akathisie serait mieux résumée par une surexcitation globale, et notamment émotionnelle.

Des présentations trompeuses

Ceux qui en ont un jour subi les effets décrivent l’une des pires expériences de leur vie : une sensation intense d’inconfort associée à un sentiment de perte de contrôle, le tout pouvant favoriser toutes sortes de complications plus ou moins graves.

L’illustration la plus typique est ce besoin presque impérieux de marcher, de déambuler pour soulager une impatience qui rend impossible la moindre immobilité prolongée. Or ces symptômes typiques ne sont que rarement isolés, et peuvent être absent dans les nombreuses formes plus discrètes d’akathisie qui surviennent depuis l’avènement des neuroleptiques atypiques.

L’akathisie se retrouve également à l’origine d’une exaltation parfois massive de certaines émotions négatives telles que l’anxiété, l’irritabilité, la dysphorie et la colère, dont les conséquences sur le plan comportemental se révèlent variables et parfois dramatiques : agitation, agressivité, impulsivité, fugue, raptus suicidaire…

Ces nombreuses présentations incitent volontiers les soignants, l’entourage, voire le patient lui-même à considérer que cette aggravation est le fait de la maladie qui l’a conduit à se faire soigner plutôt qu’un effet secondaire du traitement. Celui-ci est alors volontiers augmenté dans l’espoir de faire cesser les symptômes sans que l’hypothèse de l’akathisie ne soit évoquée, ce qui ne constitue guère la solution idéale.

En guise d’exemple, il n’est pas rare d’entendre au sujet de l’aripiprazole (Abilify®), même de la part de grands cliniciens, que celui-ci provoque de l’excitation, de l’angoisse, voire des accès maniaques ou délirants (étrange pour un neuroleptique…). Or il se trouve que cet aripiprazole est également un grand pourvoyeur d’akathisie, ce qui, combiné à son profil peu voire non sédatif, aboutit volontiers à ce genre de tableau.

Comment la démasquer?

Avant de la démasquer, il s’agirait déjà d’y penser, et bien avoir en tête ce chevauchement parfois complexe et flou entre les symptômes de l’akathisie et ceux de nombreuses maladies psychiatriques. Il n’existe pas de méthode distinctive miraculeuse mais les critères pour la recherche du DSM représentent une base diagnostique plutôt fiable à ce niveau.

Les voici dans la quatrième version révisée :

Critères de recherche pour l’akathisie aiguë induite par les neuroleptiques

A. Apparition de plaintes subjectives d’impatience après la prise d’un traitement neuroleptique

B. Au moins l’un des symptômes suivants est observé :

(1) Mouvements d’impatience ou balancement des jambes

(2) Balancement d’un pied sur l’autre en position debout

(3) Besoin de marcher pour soulager l’impatience

(4) Incapacité à rester assis ou debout sans bouger au-delà de quelques minutes

C. Les symptômes des critères A et B surviennent dans les 4 semaines qui suivent le début ou l’augmentation des doses d’un traitement neuroleptique ou bien la réduction d’un traitement médicamenteux visant à traiter (ou à prévenir) des symptomes extrapyramidaux aigus (p.ex., les anticholinergiques).

D. Les symptômes du critère A ne sont pas mieux expliqués par un troubles mental (p. ex., la Schizophrénie, le Sevrage à une substance, l’agitation d’un Épisode dépressif majeur ou d’un Épisode maniaque, l’hyperactivité d’un Déficit de l’attention/hyperactivité). Les arguments en faveur d’un trouble mental sont notamment la survenue de symptômes avant la prise de neuroleptiques, l’absence d’amélioration sous traitement pharmacologique (p. ex., la réduction de la dose de neuroleptiques ou l’administration d’un médicament visant à traiter l’akathisie n’entraine pas d’amélioration).

E. Les symptômes du critère A ne sont pas dus à une substance non neuroleptiques ou à une affection neurologique ou à une autre affection médicale générale. Les arguments en faveur d’une affection médicale générale sont notamment la survenue des symptômes avant la prise de neuroleptiques ou l’aggravation des symptômes en l’absence de changement du traitement médicamenteux.

Il semble évident que le meilleur argument en faveur de cette akathisie reste chronologique, celle-ci devant être évoquée devant toute aggravation de l’état d’un patient après instauration d’un traitement neuroleptique.

Comment s’en débarrasser?

Là également, il n’existe pas à ce jour de solution miraculeuse. La meilleure reste l’arrêt total et définitif du traitement neuroleptique en cause. Celui-ci pourra être remplacé si nécessaire par un autre sans pouvoir garantir du retour ou non de cet effet secondaire. L’intensité de l’akathisie demeurant dose dépendante, une diminution du traitement peut également apporter un soulagement plus ou moins partiel.

Certaines molécules dévoilent un effet correcteur mais ne doivent être envisagée qu’en cas d’impossibilité d’interrompre le traitement neuroleptique. Les anticholinergiques, les beta-bloquants tels que le propranolol (Avlocardyl®) ou encore les benzodiazépines comme le lorazepam (Temesta®) peuvent se révéler efficaces à conditions que soit mis en balance les bénéfices et risques d’une telle prescription.

Diagnostiquer, prendre en considération et traiter cette akathisie reste une démarche essentielle en psychiatrie, notamment en vue de prévenir certaines complications telles que l’automédication (l’alcool est hélas aussi un correcteur efficace) ou l’interruption brutale d’un neuroleptique par le patient avec les risques de rechute qui y sont liés.

Quels neuroleptiques sont concernés?

Ils le sont tous, les anciens comme les nouveaux, ces derniers provoquant des akathisies plus discrètes mais pas forcément moins dangereuses. Les variations interindividuelles entrainent une grande difficulté à prévoir cet effet secondaire avant la mise en place d’un traitement. Il est donc essentiel d’aller le traquer (tout comme les autres effets secondaires) sans attendre que le patient s’en plaigne. Un tableau répertoriant les principaux effets secondaires des neuroleptiques est disponible ici.

Et le syndrome des jambes sans repos?

Il s’agit d’un autre trouble à envisager comme diagnostic différentiel et que l’on différencie de l’akathisie grâce à plusieurs critères :

  • Absence d’exposition aux neuroleptiques
  • Symptômes limités aux membres inférieurs
  • Présence de symptômes sensoriels associés (paresthésies, chaud/froid, douleur etc.)
  • Myoclonies (mouvements brusques, involontaires et de faible amplitude)
  • Troubles du sommeil
  • Aggravation vespérale, voire manifestations uniquement le soir
  • Antécédents familiaux
  • Sensibilité à d’autres traitements

Un peu de lecture pour finir :

L’akathisie sous-diagnostiquée (A. Bottéro)

The Causes of Underdiagnosing Akathisia (Shigehiro Hirose)

Les accidents de la psychiatrie française

Prise en charge, Revues Pro

Le rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) sur les accidents en psychiatrie fait déjà couler beaucoup d’encre et de pixels. Certains brandissent, comme le CCDH, les drames et dysfonctionnements pour les généraliser à l’ensemble de la psychiatrie tandis que d’autres s’insurgent, notamment le Collectif des 39, contre ce qu’ils considèrent comme un appui gouvernemental prônant l’évolution vers une psychiatrie sécuritaire et stigmatisante. Si viser le risque zéro peut effectivement s’avérer préjudiciable à la majorité des patients, proclamer que ces évènements parfois gravissimes, et qualifiés d’exceptionnels, sont un mal nécessaire à l’humanisme et à la liberté de ces mêmes patients relève de la contrevérité la plus abjecte. Entre caricature, stigmatisation, démagogie, manipulation et lâcheté, rares sont les réactions sages et pertinentes.

Je me limiterai donc à sélectionner les données que je considère pertinentes dans ce rapport et qui ont été récoltées sur les cinq dernières années :

DONNÉES

  • 86 % des patients sont suivis en ambulatoires
  • 60 % des lits d’hospitalisation ont été fermés depuis 30 ans
  • Augmentation du nombre d’hospitalisations sans consentement (HO + HDT = 80 000 par an)
  • Une vingtaine d’homicides (ou tentatives) et une dizaine d’agressions sexuelles déclarées en cinq ans
  • Entre 20 et 70 agressions physiques de personnel par an et par établissement ayant entrainé un arrêt maladie
  • Agressions entre patients fréquentes mais mal recensées
  • Entre 8 000 et 14 000 fugues par an de patients hospitalisés sans consentement

La dangerosité est mal évaluée (grilles d’évaluation notamment peu utilisées en France), favorisée par le non-respect du droit des patients (confinement, négation de la vie privée et utilisation abusive des chambres d’isolement) et par l’attitude incohérente des hôpitaux vis-à-vis des addictions (dépenses liées au tabac, trafic de cannabis et d’alcool dans les hôpitaux). Les violences sont également favorisées par le fait que les hôpitaux sont mal aménagés et peu surveillés, que les patients sont mélangés de façon inappropriée,  que les ruptures thérapeutiques totales ou partielles sont fréquentes après les sorties, tout comme la reprise de consommation de drogue et d’alcool, et que les RDV au CMP sont trop espacés.

Contrairement à une idée répandue, ce ne sont pas les effectifs de personnel qui font défaut, sauf exception localisée : le nombre de médecins employés dans les CHS a régulièrement augmenté au plan national depuis 1989 et si le nombre d’infirmiers a diminué, il l’a fait dans des proportions moindres que la baisse du nombre de lits, ce qui a permis une croissance régulière du nombre de soignants par lits. En revanche, la charge de travail des infirmiers en hospitalisation complète s’est alourdie et surtout le temps de présence des personnels a été réduit. L’IGAS a constaté à plusieurs reprises une présence médicale manifestement insuffisante dans certains établissements. L’absentéisme des personnels soignants atteint parfois des niveaux inquiétants, les accords de réduction du temps de travail ont été négociés dans certains établissements de façon anormalement libérale et réduisent un temps de travail que viennent grignoter les trop nombreuses pauses des fumeurs. Enfin, dans certaines régions, le cumul d’emploi touche certaines catégories du personnel qui travaille de nuit et affaiblit leur vigilance. Par ailleurs, la formation initiale des infirmiers à la prise en charge des malades mentaux est mise en cause, car elle ne prévoit pas de module spécifique à la prévention et à la gestion des situations d’agressivité en psychiatrie. Ce constat est également valable pour les personnels plus expérimentés, qui n’ont toujours pas acquis les bons réflexes pour faire face à une situation difficile ou appris à contrôler leurs émotions envers les patients.

PROPOSITIONS

L’apparente rareté des conséquences graves a tenu lieu d’excuse face aux dysfonctionnements et les propositions d’amélioration ont été critiquées comme abusivement sécuritaires. Or la sécurité et la qualité des soins ne sont pas des notions opposées. Le respect des malades contribue à la prévention de la violence. Il ne faut pas demander à l’hôpital, à son directeur et à ses médecins (obligation de moyens, pas de résultats) plus qu’ils ne peuvent donner.

  • Créer de véritables sas d’entrée avec emploi de badges électroniques pour un contrôle des accès.
  • Équiper les personnels des dispositifs de protection du travailleur isolé
  • Mettre en place des moyens de distraction des patients hospitalisés
  • Remplacer les chambres collectives par des chambres individuelles, créer les infrastructures de pédopsychiatrie qui manquent, reconstruire les locaux dégradés en conciliant thérapie et sécurité.
  • Réorganiser les unités hospitalières pour éviter les cohabitations forcées et inappropriées
  • Élaborer et mettre en œuvre de bonnes pratiques pour les victimes d’agression sexuelle, la contention, les procédures de sortie et le suivi ambulatoire.
  • Former spécifiquement les nouvelles recrues à prévenir et gérer les situations d’agressivité.
  • Améliorer la communication avec les malades (information sur les droits, obligations, risques liés à leur conduite et respecter si possible leur choix), leur entourage (recueillir leur avis avant, pendant, après l’hospitalisation et en tenir compte) et d’autres professionnels appelés à intervenir (maires, police, gendarmerie, pompiers…).

Analyse d’accidents en psychiatrie et propositions pour les éviter (version complète du rapport de l’IGAS)