Les effets extrapyramidaux

Effets secondaires, Neuroleptiques

Les manifestations neurologiques regroupées sous le terme parkinsonisme demeurent les effets secondaires les plus fréquents, les plus invalidants, et les plus stigmatisants causés par les neuroleptiques. Il n’est hélas pas rare que certains cliniciens associent leur survenue et l’efficacité du traitement, alors qu’il s’agit plutôt d’un signe de surdosage. Ils proviennent, comme dans la maladie de parkinson, de la diminution de l’activité dopaminergique dans le cerveau, un phénomène qui permet autant la régression de certains symptômes (agitation, hallucinations etc.) qu’il peut entraver un fonctionnement neurologique normal. Si les antipsychotiques les plus récents semblent moins néfastes à ce niveau, ils n’épargnent pas pour autant les patients de ce parkinsonisme qui survient volontiers sous des formes plus discrètes et insidieuses. Ces effets extrapyramidaux demeurent par ailleurs les plus grands pourvoyeurs de la fameuse « allure schizophrénique ». Il suffit souvent d’une simple dose de neuroleptique pour transformer n’importe quel sujet en « zombie », d’où l’importance de ne pas les prescrire à la légère au risque d’un étiquetage diagnostique erroné et durable.

Ces effets extrapyramidaux peuvent très approximativement être classés dans trois catégories :

L’akinésie

Il s’agit d’une atteinte de l’initiation des mouvements volontaires. Ces derniers ralentissent (bradykinésie) et se font d’autant plus rares que l’effet est prononcé. À la difficulté de cette mise en route s’associe la peur de ne pas pouvoir interrompre la séquence de mouvement entamée, avec pour résultat la fameuse marche à petits pas, volontiers ponctuée de ralentissements et de piétinements, et privée du balancement des bras. La coordination peut également s’en trouver altérée, ceci se traduisant par la difficulté à réaliser des mouvements alternatifs des membres supérieurs (les marionnettes). Les mouvements faciaux sont aussi concernés, avec une augmentation de latence des réponses verbales, un visage peu expressif jusqu’au faciès figé et peu réactif à la production de salive. Cette akinésie est volontiers décrite par les patients comme une véritable contrainte motrice assimilable à une sorte de « camisole chimique ».

Les dyskinésies

Il s’agit de mouvements anormaux et involontaires, qui surviennent le plus souvent sous la forme de tremblements de repos au niveau de l’extrémité des membres et dont l’intensité reste évidemment variable : d’une trémulation à peine perceptible à des secousses extrêmement invalidantes. La manifestation la plus classique reste le fameux tremblement du pouce qui donne l’impression de rouler de la mie de pain ou de compter de la monnaie. En cas de localisation bucco-faciale, un mâchonnement peut s’associer à des mouvements incessants de la langue (protrusion/retrusion) et des lèvres (succion) ou encore à un bruxisme (grincement des dents). Il est également possible d’observer une atteinte au niveau du tronc (oscillations, hochements rythmés de la tête etc.) ainsi que des muscles respiratoires (sifflement, souffle court).

La dystonie

Il s’agit d’une atteinte de la tonicité musculaire, qui entraine des contractions involontaires et prolongées, parfois jusqu’à la contracture. L’atteinte oculaire peut aller du blépharospasme (fermetures répétitives des paupières) à l’impressionnante mais beaucoup plus rare crise oculogyre (yeux révulsés vers le haut). Au niveau de la sphère bucco-laryngée, les complications peuvent concerner l’élocution (dysarthrie), la déglutition ou la respiration (trismus ou spasme du larynx) sans parler des douleurs musculaires occasionnées, notamment au niveau cervical (torticolis). Dans les formes aigues les plus graves, le pronostic vital est parfois engagé et nécessite des mesures d’urgence.

Les correcteurs

Il s’agit des molécules utilisées pour atténuer certains effets secondaires des neuroleptiques, les plus couramment prescrites demeurant les spécialités anticholinergiques (Lepticur®, Akineton®, Artane®, Parkinane®). Celles-ci sont indiquées en urgence dans les formes aigues de dystonie mais peuvent également être indiquées au long cours en association aux neuroleptiques pour lutter contre certains effets extrapyramidaux. Autrefois prescrites de façon systématique, elles ne devraient plus l’être aujourd’hui, notamment car les neuroleptiques les plus récents sont globalement mieux tolérés sur le plan psychomoteur. Par ailleurs, ces anticholinergiques n’ont jamais été miraculeux : leur efficacité ne concerne pas tous les effets secondaires (surtout la rigidité, les tremblements et les spasmes) et ils provoquent eux-mêmes des effets indésirables (sècheresse buccale, constipation, vertiges, troubles visuels, amnésie antérograde, confusion pour les plus fréquents). Les benzodiazépines peuvent également être employées, leurs propriétés myorelaxantes se révélant efficaces sur certaines dystonies.

Le meilleur moyen de chasser des effets secondaires reste de supprimer ou de diminuer le médicament qui en est à l’origine, ou ceux qui peuvent les aggraver. Les tremblements peuvent notamment augmenter lorsque les neuroleptiques sont associés à certains antidépresseurs (tricycliques) ou quelques régulateurs de l’humeur (valproate, lithium). La mise en place d’un correcteur, quel qu’il soit ne doit être envisagée qu’après avoir éliminé toute possibilité d’agir sur la cause des effets secondaires. Les neuroleptiques les moins pourvoyeurs d’effets extrapyramidaux en France sont la clozapine (Leponex®), la quétiapine (Xeroquel®) et l’aripiprazole (Abilify®).

Les dyskinésies tardives

Celles-ci n’apparaissent que plusieurs mois au moins après l’introduction ou l’interruption des neuroleptiques. Il s’agit la plupart du temps de mouvements involontaires de la région bucco-linguo-masticatrice, rythmiques et stéréotypés, tantôt lents et continus (athétoïdes), tantôt rapides et non répétitifs (choreiformes). Ces symptômes concernent entre 5 et 20 % des patients ayant reçu des antipsychotiques au long cours, surviennent plus volontiers chez les femmes ou les personnes âgées, avec certains neuroleptiques plutôt que d’autres, et plus souvent lorsque les doses reçues sont élevées. À la différence des autres effets extrapyramidaux, les dyskinésies tardives persistent des mois, voire des années après l’arrêt du traitement et ne sont guère sensibles aux correcteurs classiques anticholinergiques.

L’akathisie

Effets secondaires, Neuroleptiques

Parmi les nombreux effets secondaires attribuables aux neuroleptiques, l’akathisie demeure certainement le plus trompeur, et souvent le plus dommageable. Souvent réduite à une « impatience pathologique » ou à l’impossibilité de rester immobile qui n’est que l’une de ses potentielles conséquences motrices, l’akathisie serait mieux résumée par une surexcitation globale, et notamment émotionnelle.

Des présentations trompeuses

Ceux qui en ont un jour subi les effets décrivent l’une des pires expériences de leur vie : une sensation intense d’inconfort associée à un sentiment de perte de contrôle, le tout pouvant favoriser toutes sortes de complications plus ou moins graves.

L’illustration la plus typique est ce besoin presque impérieux de marcher, de déambuler pour soulager une impatience qui rend impossible la moindre immobilité prolongée. Or ces symptômes typiques ne sont que rarement isolés, et peuvent être absent dans les nombreuses formes plus discrètes d’akathisie qui surviennent depuis l’avènement des neuroleptiques atypiques.

L’akathisie se retrouve également à l’origine d’une exaltation parfois massive de certaines émotions négatives telles que l’anxiété, l’irritabilité, la dysphorie et la colère, dont les conséquences sur le plan comportemental se révèlent variables et parfois dramatiques : agitation, agressivité, impulsivité, fugue, raptus suicidaire…

Ces nombreuses présentations incitent volontiers les soignants, l’entourage, voire le patient lui-même à considérer que cette aggravation est le fait de la maladie qui l’a conduit à se faire soigner plutôt qu’un effet secondaire du traitement. Celui-ci est alors volontiers augmenté dans l’espoir de faire cesser les symptômes sans que l’hypothèse de l’akathisie ne soit évoquée, ce qui ne constitue guère la solution idéale.

En guise d’exemple, il n’est pas rare d’entendre au sujet de l’aripiprazole (Abilify®), même de la part de grands cliniciens, que celui-ci provoque de l’excitation, de l’angoisse, voire des accès maniaques ou délirants (étrange pour un neuroleptique…). Or il se trouve que cet aripiprazole est également un grand pourvoyeur d’akathisie, ce qui, combiné à son profil peu voire non sédatif, aboutit volontiers à ce genre de tableau.

Comment la démasquer?

Avant de la démasquer, il s’agirait déjà d’y penser, et bien avoir en tête ce chevauchement parfois complexe et flou entre les symptômes de l’akathisie et ceux de nombreuses maladies psychiatriques. Il n’existe pas de méthode distinctive miraculeuse mais les critères pour la recherche du DSM représentent une base diagnostique plutôt fiable à ce niveau.

Les voici dans la quatrième version révisée :

Critères de recherche pour l’akathisie aiguë induite par les neuroleptiques

A. Apparition de plaintes subjectives d’impatience après la prise d’un traitement neuroleptique

B. Au moins l’un des symptômes suivants est observé :

(1) Mouvements d’impatience ou balancement des jambes

(2) Balancement d’un pied sur l’autre en position debout

(3) Besoin de marcher pour soulager l’impatience

(4) Incapacité à rester assis ou debout sans bouger au-delà de quelques minutes

C. Les symptômes des critères A et B surviennent dans les 4 semaines qui suivent le début ou l’augmentation des doses d’un traitement neuroleptique ou bien la réduction d’un traitement médicamenteux visant à traiter (ou à prévenir) des symptomes extrapyramidaux aigus (p.ex., les anticholinergiques).

D. Les symptômes du critère A ne sont pas mieux expliqués par un troubles mental (p. ex., la Schizophrénie, le Sevrage à une substance, l’agitation d’un Épisode dépressif majeur ou d’un Épisode maniaque, l’hyperactivité d’un Déficit de l’attention/hyperactivité). Les arguments en faveur d’un trouble mental sont notamment la survenue de symptômes avant la prise de neuroleptiques, l’absence d’amélioration sous traitement pharmacologique (p. ex., la réduction de la dose de neuroleptiques ou l’administration d’un médicament visant à traiter l’akathisie n’entraine pas d’amélioration).

E. Les symptômes du critère A ne sont pas dus à une substance non neuroleptiques ou à une affection neurologique ou à une autre affection médicale générale. Les arguments en faveur d’une affection médicale générale sont notamment la survenue des symptômes avant la prise de neuroleptiques ou l’aggravation des symptômes en l’absence de changement du traitement médicamenteux.

Il semble évident que le meilleur argument en faveur de cette akathisie reste chronologique, celle-ci devant être évoquée devant toute aggravation de l’état d’un patient après instauration d’un traitement neuroleptique.

Comment s’en débarrasser?

Là également, il n’existe pas à ce jour de solution miraculeuse. La meilleure reste l’arrêt total et définitif du traitement neuroleptique en cause. Celui-ci pourra être remplacé si nécessaire par un autre sans pouvoir garantir du retour ou non de cet effet secondaire. L’intensité de l’akathisie demeurant dose dépendante, une diminution du traitement peut également apporter un soulagement plus ou moins partiel.

Certaines molécules dévoilent un effet correcteur mais ne doivent être envisagée qu’en cas d’impossibilité d’interrompre le traitement neuroleptique. Les anticholinergiques, les beta-bloquants tels que le propranolol (Avlocardyl®) ou encore les benzodiazépines comme le lorazepam (Temesta®) peuvent se révéler efficaces à conditions que soit mis en balance les bénéfices et risques d’une telle prescription.

Diagnostiquer, prendre en considération et traiter cette akathisie reste une démarche essentielle en psychiatrie, notamment en vue de prévenir certaines complications telles que l’automédication (l’alcool est hélas aussi un correcteur efficace) ou l’interruption brutale d’un neuroleptique par le patient avec les risques de rechute qui y sont liés.

Quels neuroleptiques sont concernés?

Ils le sont tous, les anciens comme les nouveaux, ces derniers provoquant des akathisies plus discrètes mais pas forcément moins dangereuses. Les variations interindividuelles entrainent une grande difficulté à prévoir cet effet secondaire avant la mise en place d’un traitement. Il est donc essentiel d’aller le traquer (tout comme les autres effets secondaires) sans attendre que le patient s’en plaigne. Un tableau répertoriant les principaux effets secondaires des neuroleptiques est disponible ici.

Et le syndrome des jambes sans repos?

Il s’agit d’un autre trouble à envisager comme diagnostic différentiel et que l’on différencie de l’akathisie grâce à plusieurs critères :

  • Absence d’exposition aux neuroleptiques
  • Symptômes limités aux membres inférieurs
  • Présence de symptômes sensoriels associés (paresthésies, chaud/froid, douleur etc.)
  • Myoclonies (mouvements brusques, involontaires et de faible amplitude)
  • Troubles du sommeil
  • Aggravation vespérale, voire manifestations uniquement le soir
  • Antécédents familiaux
  • Sensibilité à d’autres traitements

Un peu de lecture pour finir :

L’akathisie sous-diagnostiquée (A. Bottéro)

The Causes of Underdiagnosing Akathisia (Shigehiro Hirose)