L’objectif de ce livre est de répondre de façon claire et pédagogique aux patients, aux familles, aux professionnels, aux juristes qui s’interrogent sur les thérapies dites de la mémoire retrouvée (TMR) et sur leurs conséquences destructrices pour tous ceux qui en sont victimes.
Les « ravages des faux souvenirs » ont commencé à sévir dans les années 80 aux États-Unis. Une association de défense des familles et des patients pris dans la tourmente des TMR s’est créée en 1992, à Philadelphie. Fondée par Pamela Freyd, elle a été rejointe par de nombreux chercheurs, professeurs d’universités, journalistes d’investigation. Les recherches et les publications scientifiques, ainsi que les nombreux procès intentés contre leurs thérapeutes et gagnés par des patients appelés « retractors », parce que revenus sur leurs accusations, ont contribué à faire reculer cette véritable « guerre des souvenirs », désignée ainsi à cause de l’âpre controverse entre ceux qui reconnaissaient le « syndrome des faux souvenirs » et ceux qui le niaient.
Ce livre ne parle pas des cas d’inceste avérés contre lesquels une lutte déterminée est nécessaire. Véritable « Chandelle dans les ténèbres », ce livre tente d’éclairer les ravages des « faux souvenirs retrouvés en thérapie » vingt à trente ans après que les faits incriminés sont supposés s’être produits, alors même qu’il n’existe aucune corroboration indépendante de leur existence. Les questions réponses sont les petites chandelles qui éclairent et balisent la route vers la compréhension de ce phénomène sociologique. Puisse-t-il aider tous les acteurs concernés par ce fléau, qui, en France, remonte à la fin des années 90 et gagne dans l’ombre de plus en plus de terrain.
Ce phénomène des faux souvenirs est encore très mal connu chez nous, y compris au sein des professionnels de santé mentale. Ceci n’empêche évidemment pas ces derniers de faire preuve de bon sens et de scepticisme face à des souvenirs d’abus qui (ré)apparaissent 20 ou 30 ans après les faits, mais les débats auxquels j’ai pu assister se limitaient souvent à considérer ces déclarations comme des fantasmes et/ou comme un moyen d’attirer l’attention.
Vous avez dit « refoulement » ?
Le fait qu’un psychothérapeute puisse induire des faux souvenirs chez son patient par la suggestion, ceci sans forcément s’en rendre compte, peut sembler invraisemblable mais ce phénomène est pourtant bien réel et prouvé par l’expérimentation. En revanche, le concept de refoulement, mécanisme de défense cher à nos amis freudiens, n’a jamais été validé par la recherche expérimentale depuis qu’il a été proposé il y a maintenant plus d’un siècle. Et pourtant, la croyance qu’un souvenir particulièrement douloureux puisse être rejeté hors de la conscience pour ne pas faire mal est encore largement partagée. Pire encore, selon cette théorie, le fameux souvenir serait conservé en parfait état, juste enfoui dans l’attente d’être plus ou moins délicatement réveillé par un bon psychothérapeute. Coïncidence, les professionnels qui y croient le plus semblent être les moins conscients du phénomène de suggestion, et ceux qui le considèrent de la façon la plus négative, refusant l’idée que l’influence et la manipulation puisse aussi s’avérer bénéfiques et constituer un processus essentiel de toute psychothérapie. Bref, ils n’influenceraient pas leurs patients car la manipulation, même thérapeutique et non consciente, c’est le mal.
Freud retourne son divan
Notre cher Sigmund Freud, encore et toujours lui, y est pour beaucoup dans cette méprise puisqu’il en a jeté les bases avec la théorie de la séduction. Convaincu que les problèmes de ses patients hystériques, obsessionnels et paranoïaques découlaient de traumatismes sexuels de l’enfance, il s’est consacré à leur extorquer ces fameux souvenirs « refoulés » jusqu’à finalement conclure, dans un grand élan de lucidité, que les aveux récoltés étaient probablement faux. Incapable de renoncer totalement à une si belle théorie, il se persuada que ces souvenirs refoulés étaient en réalité des « fantasmes » ! D’où sa nouvelle théorie du complexe d’Œdipe qui lui permettait de faire volte face tout en se raccrochant aux branches disponibles. Les souvenirs d’abus seraient alors considérés à priori comme des fabulations par les générations ultérieures de psychanalystes, ce qui n’a pas manqué de révolter certains courants féministes aux Etats-Unis, entre autres.
Les charlatans remplacent le divan
De nombreuses thérapies régressives et cathartiques ont vu le jour dans l’idée de faire ressurgir un passé enfoui et plus ou moins traumatique. Parmi les plus célèbres, il y a le « rebirth » qui consiste à revenir à l’état de nouveau né par des technique de respiration ou de compression (une fille est d’ailleurs morte étouffée sous un matelas), un courant qui incite à remettre des couches culottes, sucer son pouce et reboire au biberon, le « reparenting » qui consiste à trouver un nouveau parent au patient (en l’occurrence le thérapeute), le « cri primal » et ses dérivés qui consiste à trouver le bon cri pour se débarrasser de sa douleur etc. Certaines techniques plus sérieuses peuvent également être utilisées dans le but de retrouver des souvenirs enfouis. C’est notamment le cas de l’hypnose et de l’EMDR qui sont même parfois utilisés pour retrouver des souvenirs de vies antérieures… Il est d’ailleurs possible de viser la régression et le catharsis par l’intermédiaire de nombreux médiateurs : le divan, les linges mouillés, la pâte à modeler, la poterie, la purée de carottes et j’en passe. Il convient par ailleurs de rester extrêmement vigilant face à des activités régressives d’allure occupationnelles présentées d’emblée comme thérapeutiques.
L’évidence est plus ou moins flagrante
Face à des théories et des pratiques aussi farfelues, les chercheurs peinent encore à se faire entendre. Il existe pourtant de nombreux travaux scientifiques sur la mémoire et des données clairement établies :
- Une victime d’un traumatisme s’en souvient très bien
Elle s’en souvient parfois même trop bien et développe ce qu’on appelle un état de stress post-traumatique qui consiste en des cauchemars, des reviviscences et un état d’hypervigilance. De nombreuses études réalisées sur des milliers de victimes de traumatismes, notamment des enfants abusés, ne retrouvent aucun cas d’amnésie de l’événement traumatique.
- Les souvenirs se transforment
Ils s’affaiblissent et se déforment au fil du temps, ceci quelle que soit la charge émotionnelle et sensorielle associée. La mémoire ne fonctionne pas comme un diaporama, un disque dur ou un magnétoscope (pour les plus vieux). Un souvenir est reconstitué à partir de plusieurs morceaux éparpillés et plus ou moins combinés avec d’autres éléments qui correspondent à d’autres expériences. Il s’agit d’une opération plutôt complexe, et dynamique…
Ce petit bouquin de Brigitte Axelrad est conçu comme une entrevue avec des questions/réponses, le tout assez fluide, facile à lire et très synthétique. Elle passe en revue les bases théoriques freudiennes, le refoulement, la suggestion, la mémoire, les vrais et faux souvenirs et leurs conséquences, et même le fameux syndrome des personnalités multiples.
Son site est plutôt bien fourni et je conseille vivement de le parcourir, notamment pour y trouver des références. La traduction française d’une revue de A. Piper (What’s wrong in believing in repression?) intéressera ceux qui veulent aller un peu plus loin sur le sujet du refoulement.