Violence en milieu psychiatrique

Hospitalisation, Troubles psy

Volontiers mise en avant par les médias, la violence concerne pourtant une petite minorité des patients suivis en psychiatrie. Si la plupart des agressions restent verbales, toute équipe soignante, notamment hospitalière, doit se montrer apte à gérer les violences physiques ainsi qu’à prévenir au mieux leur survenue.

Une équipe italienne vient de compiler plusieurs études sur le sujet à la recherche des facteurs les plus associés à ces épisodes d’agression. Les 66 études sélectionnées entre 1990 et 2010 concernent des patients adultes hospitalisés, non sélectionnés sur un diagnostic précis (à l’exception des troubles psychotiques).

Les variables les plus fréquemment associées à la violence et aux agressions sont :

  • De précédents épisodes de violence ou d’agression
  • L’impulsivité et l’hostilité
  • L’hospitalisation prolongée
  • L’admission non volontaire

Il ne s’agit pas d’une découverte révolutionnaire mais ces éléments doivent être pris en compte systématiquement, même si leur association à la violence ne les rend pas forcément prédictifs de celle-ci.

Pour d’autres facteurs, régulièrement soupçonnés d’intervenir à ce niveau, l’association est beaucoup plus faible. Il s’agit de :

  • La consommation de drogue et d’alcool
  • La psychose
  • Le jeune âge
  • La présence d’un risque suicidaire

Cependant, en isolant les études qui ne concernent que les patients psychotiques, les facteurs les plus associés à la violence sont :

  • La consommation de drogue et d’alcool
  • L’hostilité
  • La psychose aiguë (décompensée)
  • Le délire paranoïde

Enfin, il semble que l’agresseur et la victime soient le plus souvent de même sexe, et qu’une « harmonie » au sein de l’équipe se révèle plus efficace en matière de prévention que la plupart des autres stratégies testées, notamment la présence d’infirmiers masculins.

Cornaggia CM, Beghi M, Pavone F, Barale F. Aggression in psychiatry wards: a systematic review. Psychiatry Res. 2011 Aug 30;189(1):10-20.

The causes of aggression and violence in psychiatric settings: new systematic review. The Mental Elf.

Les accidents de la psychiatrie française

Prise en charge, Revues Pro

Le rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) sur les accidents en psychiatrie fait déjà couler beaucoup d’encre et de pixels. Certains brandissent, comme le CCDH, les drames et dysfonctionnements pour les généraliser à l’ensemble de la psychiatrie tandis que d’autres s’insurgent, notamment le Collectif des 39, contre ce qu’ils considèrent comme un appui gouvernemental prônant l’évolution vers une psychiatrie sécuritaire et stigmatisante. Si viser le risque zéro peut effectivement s’avérer préjudiciable à la majorité des patients, proclamer que ces évènements parfois gravissimes, et qualifiés d’exceptionnels, sont un mal nécessaire à l’humanisme et à la liberté de ces mêmes patients relève de la contrevérité la plus abjecte. Entre caricature, stigmatisation, démagogie, manipulation et lâcheté, rares sont les réactions sages et pertinentes.

Je me limiterai donc à sélectionner les données que je considère pertinentes dans ce rapport et qui ont été récoltées sur les cinq dernières années :

DONNÉES

  • 86 % des patients sont suivis en ambulatoires
  • 60 % des lits d’hospitalisation ont été fermés depuis 30 ans
  • Augmentation du nombre d’hospitalisations sans consentement (HO + HDT = 80 000 par an)
  • Une vingtaine d’homicides (ou tentatives) et une dizaine d’agressions sexuelles déclarées en cinq ans
  • Entre 20 et 70 agressions physiques de personnel par an et par établissement ayant entrainé un arrêt maladie
  • Agressions entre patients fréquentes mais mal recensées
  • Entre 8 000 et 14 000 fugues par an de patients hospitalisés sans consentement

La dangerosité est mal évaluée (grilles d’évaluation notamment peu utilisées en France), favorisée par le non-respect du droit des patients (confinement, négation de la vie privée et utilisation abusive des chambres d’isolement) et par l’attitude incohérente des hôpitaux vis-à-vis des addictions (dépenses liées au tabac, trafic de cannabis et d’alcool dans les hôpitaux). Les violences sont également favorisées par le fait que les hôpitaux sont mal aménagés et peu surveillés, que les patients sont mélangés de façon inappropriée,  que les ruptures thérapeutiques totales ou partielles sont fréquentes après les sorties, tout comme la reprise de consommation de drogue et d’alcool, et que les RDV au CMP sont trop espacés.

Contrairement à une idée répandue, ce ne sont pas les effectifs de personnel qui font défaut, sauf exception localisée : le nombre de médecins employés dans les CHS a régulièrement augmenté au plan national depuis 1989 et si le nombre d’infirmiers a diminué, il l’a fait dans des proportions moindres que la baisse du nombre de lits, ce qui a permis une croissance régulière du nombre de soignants par lits. En revanche, la charge de travail des infirmiers en hospitalisation complète s’est alourdie et surtout le temps de présence des personnels a été réduit. L’IGAS a constaté à plusieurs reprises une présence médicale manifestement insuffisante dans certains établissements. L’absentéisme des personnels soignants atteint parfois des niveaux inquiétants, les accords de réduction du temps de travail ont été négociés dans certains établissements de façon anormalement libérale et réduisent un temps de travail que viennent grignoter les trop nombreuses pauses des fumeurs. Enfin, dans certaines régions, le cumul d’emploi touche certaines catégories du personnel qui travaille de nuit et affaiblit leur vigilance. Par ailleurs, la formation initiale des infirmiers à la prise en charge des malades mentaux est mise en cause, car elle ne prévoit pas de module spécifique à la prévention et à la gestion des situations d’agressivité en psychiatrie. Ce constat est également valable pour les personnels plus expérimentés, qui n’ont toujours pas acquis les bons réflexes pour faire face à une situation difficile ou appris à contrôler leurs émotions envers les patients.

PROPOSITIONS

L’apparente rareté des conséquences graves a tenu lieu d’excuse face aux dysfonctionnements et les propositions d’amélioration ont été critiquées comme abusivement sécuritaires. Or la sécurité et la qualité des soins ne sont pas des notions opposées. Le respect des malades contribue à la prévention de la violence. Il ne faut pas demander à l’hôpital, à son directeur et à ses médecins (obligation de moyens, pas de résultats) plus qu’ils ne peuvent donner.

  • Créer de véritables sas d’entrée avec emploi de badges électroniques pour un contrôle des accès.
  • Équiper les personnels des dispositifs de protection du travailleur isolé
  • Mettre en place des moyens de distraction des patients hospitalisés
  • Remplacer les chambres collectives par des chambres individuelles, créer les infrastructures de pédopsychiatrie qui manquent, reconstruire les locaux dégradés en conciliant thérapie et sécurité.
  • Réorganiser les unités hospitalières pour éviter les cohabitations forcées et inappropriées
  • Élaborer et mettre en œuvre de bonnes pratiques pour les victimes d’agression sexuelle, la contention, les procédures de sortie et le suivi ambulatoire.
  • Former spécifiquement les nouvelles recrues à prévenir et gérer les situations d’agressivité.
  • Améliorer la communication avec les malades (information sur les droits, obligations, risques liés à leur conduite et respecter si possible leur choix), leur entourage (recueillir leur avis avant, pendant, après l’hospitalisation et en tenir compte) et d’autres professionnels appelés à intervenir (maires, police, gendarmerie, pompiers…).

Analyse d’accidents en psychiatrie et propositions pour les éviter (version complète du rapport de l’IGAS)

Sainte-Anne, hôpital psychiatrique

Considérations, Hospitalisation, Vidéo

Pathétique sur de nombreux point, ce film de 90 minutes ne fait pas honneur à la psychiatrie française, d’autant plus qu’il est tourné à Sainte-Anne, un hôpital historique et réputé, que l’on imagine volontiers de pointe mais dont les différentes sections demeurent aussi hétérogènes qu’ailleurs. Il s’agit principalement d’une unité fermée, donc apte à recevoir des patients dont l’état ne permet pas le consentement aux soins. Il serait inutile de revenir sur la façon dont est filmé ou monté le reportage, du fait qu’il insiste sur les éléments les plus lugubres et brutaux et qu’il en délaisse probablement d’autres. Ceci n’empêche pas certaines scènes d’exister, d’être incluses et de ne pas correspondre à une bonne pratique de la psychiatrie.

Un journaliste s’étonne notamment de plusieurs faits sur son blog :

Les « électrochocs » existent encore : oui effectivement et le sujet fait débat. La manière dont la sismothérapie est délivrée dans le film ne pose pas de problème. En revanche, l’obtention du consentement, même s’il ne s’agit probablement pas de la première fois pour ce patient, laisse quelque peu à désirer. Ce recueil du consentement apparait d’ailleurs paradoxal lorsque les patients sont hospitalisés et traités sans leur consentement. Pour plus d’information, rendez-vous dans la section concernée aux ECT.

La contention physique, autrement dit, attacher les malades sur le lit avec des sangles pendant un ou plusieurs jours, et fermer la chambre à double tour, existe encore : oui toujours. Il s’agit d’une mesure adoptée en urgence en cas d’agitation extrême ou de risque majeur de passage à l’acte, et qui ne doit durer que quelques heures, le temps que les médicaments administrés parallèlement agissent. La mise sous contention dans le reportage est discutable : un traitement sédatif et un temps d’isolement auraient peut-être été suffisants. Par ailleurs, la contention ne calme pas les patients pas plus qu’elle ne les rassure. Les soignants affirmant le contraire ne le font que pour se rassurer eux-mêmes. La contention n’est utilisée que pour prévenir le danger, pour le patient ou pour les autres (ce sont les médicaments qui calment).

Par la suite, un soignant visiblement excédé profère des menaces à l’encontre de ce même patient après la levée de la contention, du type « si tu continues tu seras à nouveau attaché ». Ce genre de comportement ne devrait pas être toléré et j’espère bien que ce jeune homme a été rappelé à l’ordre suite au reportage, d’autant plus qu’il cautionne de ce fait la contention en tant que mesure punitive. À ce moment même, le patient n’est pas agité ni agressif mais bruyant et sa chambre et bordélique. Au cours de ce moment de faiblesse, il se met à parler (ou plutôt à hurler) d’un sujet qui le touche profondément mais aucun des deux soignants présents ne saisit hélas cette occasion pour entamer le dialogue. Dans l’idéal, le second soignant aurait pu désamorcer le conflit, prendre le patient à part et discuter avec lui. Pourquoi cela n’a-t-il pas été fait? Est-ce réellement une question de manque de moyen? Une question de manque de formation? Une question de manque d’empathie? Une question d’ambiance au sein du service? Peu importe. Il fallait le faire.

L’enfermement, sans consentement, sur décision unilatérale du psychiatre, existe encore : cela n’est actuellement pas autorisé par la loi. Outre la demande d’un tiers, l’hospitalisation sans consentement nécessite l’avis d’un ou de deux autres psychiatres dans les 24 heures. Dans le reportage, le psychiatre reçoit (ou obtient selon l’interprétation) cette demande de tiers au cours du fameux entretien où il reconnait s’être parfois trompé, mais que les patients ne lui en veulent « jamais vraiment ». Cette citation, surtout tirée hors de son contexte (celui-ci rajoute par la suite qu’il préfère hospitaliser quelqu’un à tort pendant quelques jours que de le retrouver pendu chez lui) constitue un manque de respect profond pour les patients concernés. Si cette crainte du passage à l’acte nous ronge parfois, elle ne doit pas nous empêcher de pouvoir évaluer au mieux la dangerosité d’un patient pour lui-même ou pour les autres, même si cela implique de prendre davantage de temps.

L’utilisation massive de médicaments, qui peut prendre la forme de contention psychique, existe encore : oui hélas des progrès restent à faire en matière de psychotropes même si ceux-ci ont permis à certains patients de sortir des asiles et à d’autres de ne pas subir de contention physique. Les doses sont souvent plus élevées à l’hôpital qu’à l’extérieur, ce qui peut paraitre paradoxal mais qui peut s’expliquer par le fait que les patients sont en général hospitalisés pour des pathologies sévères en phase aiguë. Le vécu douloureux de l’enfermement et ce qu’il implique (ennui, frustration etc.) sont également en cause. La sédation se révèle notamment plus importante en chambre d’isolement et encore davantage lors de l’usage des contentions physiques, du fait de l’état du patient mais aussi pour lui permettre de mieux passer cette période délicate volontiers vécue comme interminable.

Le reste du reportage contient d’autres scènes tragiques notamment celles des réunions d’équipes qui dévoilent un chef de service odieux et qui pourraient s’apparenter à un sketch des Inconnus sans l’humour. Chaque équipe de psychiatrie devrait visionner ce reportage et s’instruire de ces quelques scènes pour progresser.

Sainte-Anne, hôpital psychiatrique : 12345678910