Cannabis et délire à retardement

Addictions, Revues Pro, Troubles psychotiques

[Mises à jour régulières]

Mars 2011

Nous savions que l’usage de cannabis était associé à l’augmentation du risque de développer des symptômes psychotiques, or restait-il à préciser par quels mécanismes et dans quels délais. Une étude récente semble apporter des précisions temporelles sur la relation entre usage de cannabis à l’adolescence et manifestations délirantes.

1923 jeunes allemands âgés de 14 à 24 ans ont été suivis pendant dix ans, l’usage de cannabis et les symptômes psychotiques évalués au départ, quatre puis huit ans plus tard. L’usage ponctuel de cannabis initial est associé à l’augmentation des symptômes psychotiques entre quatre et huit ans après. L’usage continu de cannabis est lui associé non seulement à davantage de symptômes psychotiques, mais également à leur persistance dans les mêmes délais.

Les effets pervers du cannabis semblent se dévoilent peu à peu. L’adolescence, période de remaniement cérébral donc de fragilité à ce niveau, ne semble pas permettre une consommation « raisonnable » de cannabis. Son usage, même occasionnel, peut provoquer des expériences psychotiques transitoires plusieurs années plus tard, voire leur persistance, soit d’authentiques pathologies psychotiques chroniques, lorsque la consommation se révèle plus intensive. Il convient donc certainement de ne pas diaboliser la substance, mais aussi et surtout, de ne pas la banaliser.

R Kuepper et coll. Continued cannabis use and risk of incidence and persistence of psychotic symptoms: 10 year follow-up cohort study. BMJ 2011 342:d738

Juin 2011

Une publication parue en juin 2011 soutient encore davantage la causalité cannabique dans la survenue des psychoses. Il s’agit d’une meta-analyse regroupant 443 articles scientifiques parmi lesquels 83 ont été sélectionnés sur les critères suivants : comparaison de l’âge de survenue de la psychose entre consommateurs et non consommateurs. Elle survient en moyenne 2.70 années plus tôt chez les premiers. Par ailleurs l’alcool ne semble pas associé à une survenue plus précoce de la maladie.

Matthew Large and al. Cannabis Use and Earlier Onset of Psychosis A Systematic Meta-analysis. Arch Gen Psychiatry. 2011;68(6):555-561. doi:10.1001/archgenpsychiatry.2011.5

Juin 2011

Une étude des performances cognitives chez les consommateurs de cannabis montrent que celles-ci sont davantage altérées lorsque la consommation a débuté avant l’âge de 15 ans. L’ensemble des tests réalisés ne montre pas différence en matière de QI mais une diminution des performances exécutives et de la flexibilité. Cannabis et cerveau en croissance ne font pas bon ménage.

Fontes MA and al. Cannabis use before age 15 and subsequent executive functioning. The British Journal of Psychiatry (2011) 198: 442-447. doi: 10.1192/bjp.bp.110.077479

Juillet 2011

Une équipe hollandaise publie des résultats très intéressants sur l’association de la sussceptibilité familiale à la psychose et de la sensibilité au cannabis. Il semblerait en effet que chez les personnes prédisposées à la psychose, notamment les jumeaux de patients schizophrènes, le cannabis soit plus à même de provoquer des symptômes positifs (délire, hallucinations etc.) et négatifs (retrait, apragmatisme etc.).

Genetic Risk and Outcome in Psychosis (GROUP). Investigators Evidence that familial liability for psychosis is expressed as differential sensitivity to cannabis. Arch Gen Psychiatry 2011 ; 68 (2) : 138-147.

Septembre 2011

La vulnérabilité « psychiatrique » au cannabis avait été suggérée et potentiellement reliée à une variation du gène codant pour la COMT (cathécol-méthyl-transférase). Une équipe britannique s’est donc penchée sur le sujet à partir d’une population de plus de 2000 individus questionnés sur leur consommation de cannabis à 14 ans et sur l’incidence d’un épisode psychotique à 16 ans. Aucune variation du gène parmi les six étudiées n’a pu être associé à ce phénomène. À ce jour, il n’existe donc toujours pas de preuve d’une prédisposition génétique à la psychose cannabique.

Zammit S et al. Cannabis, COMT and psychotic experiences. British Journal of Psychiatry 2011 ; 199 : 380-385.

Novembre 2011

Une équipe écossaise s’est récemment intéressée au volume du thalamus chez des personnes considérées comme à risque de développer la schizophrénie. 57 individus âgés de 16 à 25 ans et présentant des antécédents familiaux de schizophrénie ont vu leur cerveau exploré au cours d’une imagerie cérébrale par résonance magnétique (IRM). Lorsque l’examen est à nouveau pratiqué deux ans plus tard, le volume du thalamus est réduit de façon significative (surtout à droite) chez les consommateurs de cannabis (25). Les résultats demeurent quelle que soit la consommation d’autres drogues (tabac, alcool, ecstasy, amphétamines) et se révèlent en faveur de la conjonction de facteurs prédisposants et précipitants dans la survenue de cette maladie.

Welch KA and al. Impact of cannabis use on thalamic volume in people at familial high risk of schizophrenia (PDF). British Journal of Psychiatry 2011; 199:386-390

Octobre 2012

Une étude norvégienne d’imagerie par résonance magnétique a révélé des différences d’activation cérébrale associées à la consommation de cannabis chez des patients schizophrènes. Les « fumeurs » se sont révélés plus performants au cours d’un exercice cognitif mettant en jeu la capacités d’attention, de concentration, et le fonctionnement exécutif. Le cerveau de ces schizophrènes « fumeurs » s’est montré plus réactif à l’imagerie : l’écart d’activité relevée entre avant et pendant l’exercice s’est révélé supérieur à celui des « non fumeurs ». Ceci suggère que les troubles cognitifs menant à la schizophrénie pourraient être mimés par les effets du cannabis, et que le pronostic des patients concernés pourrait être meilleur à condition d’agir efficacement sur cette consommation de cannabis.

Else-Marie Løberg and al. An fMRI study of neuronal activation in schizophrenia patients with and without previous cannabis use. Front. Psychiatry, 30 October 2012 (PDF)

Les psychotropes ne seraient pas moins efficaces que les autres médicaments

Médicaments, Revues Pro

Les psychotropes ont mauvaise réputation, ce qui paraît légitime compte tenu des effets secondaires parfois invalidants, de l’incertitude quant à leur mécanisme d’action, des conflits d’intérêt ou encore de l’absence de réel test diagnostique pour les maladies mentales. Ces médicaments psychiatriques ont également la réputation d’être moins efficaces que les autres, or ce n’est pas ce que constate une équipe allemande qui publie ce mois ci dans le British Journal of Psychiatry un article relayé par The Mental Elf.

À partir des données recueillies sur une centaine de méta-analyses, 16 psychotropes sont comparés à 48 médicaments utilisés pour traiter différentes maladies « physiques », notamment l’hypertension artérielle, l’asthme, le diabète l’hépatite C etc.

Il en ressort que les psychotropes sont en moyenne aussi efficaces que les autres médicaments. L’efficacité partielle ou la persistance de symptômes sous traitement n’a en effet rien de spécifique à la psychiatrie, tout comme la mauvaise observance thérapeutique par ailleurs…

Les psychotropes ne sont donc toujours pas la panacée, mais ils soignent…

Leucht S, Hierl S, Kissling W, Dold M and Davis JM. Putting the efficacy of psychiatric and general medicine medication into perspective: review of meta-analyses. British Journal of Psychiatry 2012; 200: 97-106.

Maladie mentale et créativité

Grand Public, Revues Pro, Troubles psy

Les rapports entre créativité et les maladies psychiatriques alimentent un nombre impressionnant de fantasmes et d’idées reçues aussi bien chez les professionnels de la santé mentale que dans la population générale, sans parler évidemment des principaux concernés. Pour certains, il s’agirait d’un mythe en grande partie entretenu par des professionnels qui collectionnent les œuvres d’art de patients comme des trophées, et n’hésitent pas à vanter leurs poulains comme de véritables phénomènes de foire. Pour d’autres, le malade mental est un génie en puissance dont le potentiel artistique ne demande qu’à être exploité et aurait même des vertus thérapeutiques.

Il semble que certaines études scientifiques puissent aujourd’hui corriger ces images caricaturales et stigmatisantes, notamment une publiée récemment dans le British Journal of Psychiatry par une équipe suédoise. Les dossiers d’environ 300 000 patients hospitalisés entre 1973 et 2003, traités pour schizophrénie, trouble bipolaire ou dépression, ont été analysés avant que ceux-ci et leurs apparentés sains soient comparés à un groupe contrôle en ce qui concerne les activités créatives (emploi ou loisirs). Les sujets atteints de trouble bipolaire sont ainsi surreprésentés dans les professions considérées comme créatives. La fratrie « saine » des sujets atteints de trouble bipolaire et de schizophrénie l’est également. Les sujets atteints de schizophrénie sont eux uniquement surreprésentés au sein des occupations créatives. Aucune différence n’est en revanche retrouvée dans la troisième catégorie, à savoir celle de la dépression.

La créativité semble donc bien associée aux deux maladies mentales que sont la schizophrénie et le trouble bipolaire, qu’il s’agisse des formes avérées ou des formes à priori atténuées (comme la schizotypie) que peuvent présenter certains apparentés. Cette créativité ne semble pas proportionnelle à l’intensité des troubles. Au-delà d’un certain seuil, probablement variable selon les individus, leur expression devient contreproductive et invalidante. Par ailleurs, certains effets des médicaments prescrits nuisent également à la créativité. Il s’agit donc pour le psychiatre de trouver la dose idéale qui permet de stabiliser la maladie tout en permettant de maintenir cette créativité, et donc de prendre le risque de ne pas « surdoser »…

Simon Kyaga, Paul Lichtenstein, Marcus Boman, Christina Hultman, Niklas Långström, and Mikael Landén. Creativity and mental disorder: family study of 300 000 people with severe mental disorder. Br J Psychiatry. November 2011;199:373-379; doi:10.1192/bjp.bp.110.085316

No Myth: Creativity and Mental Disorders Are Linked (Medscape)

Je vous propose également de parcourir cet article de vulgarisation abordant les rapports plus ou moins obscurs entre créativité et schizotypie (le reste du dossier, tout aussi intéressant, n’est pas disponible gratuitement) : La créativité est-elle une maladie mentale ?

Nouveau n’est pas toujours meilleur…

Neuroleptiques, Revues Pro, Troubles psychotiques

Modernité n’est toujours synonyme de supériorité. Voici quelques études qui plairont aux plus réactionnaires d’entre nous.

La rispéridone à libération prolongée est tout d’abord comparée aux neuroleptiques conventionnels de forme retard chez 8310 patients schizophrènes (2712 contre 6523). Les résultats sont plutôt en faveur des vieux traitements dont l’interruption, quelle qu’en soit la cause, est beaucoup plus tardive (792 jours contre 433). Chez les 969 patients initialement sous neuroleptique retard dont le traitement est remplacé par la rispéridone LP, le nombre de réadmission et de journées d’hospitalisation augmente significativement. N’oublions pas que le prix constitue aussi un argument en faveur des anciens traitements…

New Clinical Drug Evaluation Unit (NCDEU) 51st Annual Meeting: Older antipsychotics trump newer agents for schizophrenia (Medscape, juin 2011).

Dans une autre étude, l’efficacité des antipsychotiques sur les symptômes dépressifs dans la schizophrénie est évaluée chez 1460 patients après 18 mois de traitement. Aucune différence n’est retrouvée entre les patients traités par la perphénazine (ancien neuroleptique de la classe des phénothiazines) et ceux traités par les antispychotiques de deuxième génération suivants : olanzapine, quétiapine, risperidone et ziprazidone. Si les vertus antidépressives de ces derniers sont souvent vantés par les laboratoires qui les commercialisent, elles ne semblent pas surpasser celles de leurs ancêtres. En revanche la quétiapine se montre visiblement plus efficace que la rispéridone chez les patients présentant un épisode dépressif caractérisé, ce qui confirmerait presque une promesse du laboratoire concerné.

Addington DE and al. Impact of second-generation antipsychotics and perphenazine on depressive symptoms in a randomized trial of treatment for chronic schizophrenia. J Clin Psychiatry. 2011 Jan;72(1):75-80.

La clozapine est le plus ancien des antipsychotiques de deuxième génération mais aussi le plus efficace. En raison d’un effet secondaire parfois grave (neutropénie), sa mise en place nécessite de grande précaution, notamment une surveillance biologique hebdomadaire puis mensuelle, et il n’est réservé qu’aux pathologies schizophréniques réfractaires, soit après l’échec de deux traitements bien conduits. Si certains auteurs estiment que 30 % des schizophrènes sont des candidats potentiels à la clozapine, seuls 2 à 3% en bénéficient réellement aux États-Unis. Sur un échantillon de 7035 patients récemment diagnostiqués, les antipsychotiques les plus prescrits sont dans l’ordre : l’aripiprazole (1175), la quétiapine (1161), la rispéridone (1127), les formes à libération prolongée (1078), l’olanzapine (663), l’halopéridol (559), la ziprazidone (333), la palipéridone (253), la fluphénazine (199) et enfin la clozapine (144 soit 2%). Le patient typiquement mis sous clozapine est un jeune homme blanc avec des dépenses de santé plus élevées. Selon les auteurs, la réticence à instaurer ce traitement pourrait bien constituer une perte de chance pour de nombreux patients.

New Clinical Drug Evaluation Unit (NCDEU) 51st Annual Meeting: Clozapine rarely prescribed for refractory schizophrenia (Medscape, juin 2011).

Enfin, une étude compare le lithium et le valproate chez 4000 patients bipolaires danois entre 1995 et 2006. Les résultats sont en faveur du lithium, moins interrompu, moins remplacé, moins associé à d’autres psychotropes et associé à un taux d’hospitalisation plus bas. Les risques d’intoxication ou d’atteinte rénale nécessite une surveillance accrue lors de la prescription de lithium, ce qui incite beaucoup de praticiens à préférer le valproate pourtant moins efficace. Le rapport bénéfice/risque doit évidemment être évalué au cas par cas.

Kessing LV and al. Valproate v. lithium in the treatment of bipolar disorder in clinical practice: observational nationwide register-based cohort study. Br J Psychiatry. 2011 May 18.

Le lithium n’a pas traité ses derniers maux

Revues Pro, Stabilisateurs de l'humeur

Ce bon vieux lithium a encore de l’énergie à revendre. Utilisé classiquement dans la prise en charge du trouble bipolaire, pour traiter les accès maniaques et prévenir les rechutes, celui-ci semble également avoir un effet préventif en matière de démence.

Le taux d’Alzheimer se révélant réduit chez les patients bipolaires sous lithium, des chercheurs ont souhaité évaluer l’effet d’un tel traitement pendant un an chez des sujets souffrant d’un déficit cognitif léger, que l’on peut considérer à mi-chemin entre la simple amnésie liée à l’âge et les pathologies dégénératives de type Alzheimer. Les résultats, comparés à ceux du placebo, se sont révélés positifs autant en matière de performance cognitive qu’au niveau d’un des marqueurs biologiques de dégénérescence. Cette nouvelle piste potentielle gagnerait à être davantage explorée compte tenu de l’intérêt que pourrait présenter un traitement préventif de la maladie d’Alzheimer.

Young AH. More good news about the magic ion: lithium may prevent dementia. Br J Psychiatry. 2011 May;198:336-7.

Forlenza OV and al. Disease-modifying properties of long-term lithium treatment for amnestic mild cognitive impairment: randomised controlled trial. Br J Psychiatry. 2011 May;198:351-6.

Par ailleurs, l’effet protecteur du lithium vis-à-vis du suicide, bien connu aux doses qualifiées de thérapeutiques, pourrait bien s’appliquer à des doses plus faibles. Une équipe autrichienne a récemment confronté le taux de suicides et celui du lithium dans l’eau potable dans les 99 départements du pays. La mortalité par suicide apparait alors inversement associée à la concentration de lithium dans l’eau, un résultat troublant qui concorde avec celui d’une étude similaire au Japon mais pas avec celui d’une étude à nouveau similaire menée dans l’Est de l’Angleterre.

Kapusta ND and al. Lithium in drinking water and suicide mortality. Br J Psychiatry. 2011 May;198:346-50.

Ohgami H and al. Lithium levels in drinking water and risk of suicide. Br J Psychiatry. 2009 May;194(5):464-5; discussion 446.

Kabacs N and al. Lithium in drinking water and suicide rates across the East of England. Br J Psychiatry. 2011 May;198:406-7.