La punition ne connaît pas la crise, Pt. 3 : le retrait

Considérations

Si la plupart des soignants et autres professionnels gravitant autour de la psychiatrie s’accordent sur la nécessité de ne pas recourir à des mesures punitives, certaines d’entre-elles demeurent pourtant inscrites dans le fonctionnement des unités de soins. La perpétuation de ces pratiques tient pour beaucoup à leur caractère intuitif. Les stratégies aversives sont généralement peu couteuses et plutôt efficaces pour aboutir à la modification d’un comportement dans la vie courante, pour la plupart des gens. Elles nous viennent donc à l’esprit assez naturellement. Tout le monde ne réagit cependant pas de la même manière à la punition. La population psychiatrique n’est à ce titre pas superposable à la plupart des gens, et la vie en psychiatrie n’est pas vraiment équivalente à la vie courante. Si cette vie courante et ses mesures punitives étaient réellement efficaces sur nos patients, leurs comportements ne poseraient plus de problèmes et ils n’auraient pas besoin de nous pour apprendre à les gérer.

Trois grandes stratégies sont régulièrement mises en œuvre en psychiatrie pour gérer ou prévenir les crises : la privation de liberté, la confrontation aux conséquences « naturelles » et le retrait d’attention. Elles sont très pourvoyeuses d’escalade à court terme et globalement peu bénéfiques aux patients au-delà. Deux autres manœuvres beaucoup moins intuitives et souvent négligées mériteraient d’être mise en œuvre beaucoup plus souvent. Il s’agit des mesures de diversion et de la capitulation.

Cette troisième partie est consacrée aux mesures de retrait d’attention.

Une attitude assez répandue face à un patient en crise est de l’ignorer tout simplement, ceci dans l’idée de ne pas renforcer un comportement inapproprié en lui accordant de l’attention.

Un enfant qui se roule par terre ?

Nous connaissons tous ce cas d’école éducatif du parent ignorant son enfant qui se roule par terre jusqu’à ce que ce dernier adopte un comportement plus adapté. Il s’agit du phénomène de l’extinction qui se produit lorsqu’un comportement auparavant renforcé ne l’est plus. Cette démarche est devenue assez instinctive pour la plupart d’entre-nous et se retrouve déclinée à toutes les sauces en psychiatrie jusqu’à trahir le principe même de l’extinction. Parmi les sentences les plus fréquemment prononcées au sein des équipes, il y a bien-sûr le classique « ignorons-le, il cherche juste à attirer l’attention », le tout aussi classique « ne lui donnons pas (tout de suite) ce qu’il réclame, ça lui donnerait de mauvaises habitudes » ou encore le « laissons-le sonner, il va finir par s’arrêter ». Selon le seuil fixé, souvent de façon arbitraire, par les soignants (de façon individuelle ou collective), les sollicitations jugées « excessives » et/ou « inadaptées » sont sanctionnées par un retrait d’attention qui vise logiquement à réduire ces sollicitations. Or, hélas ou heureusement, ignorer un comportement n’aboutit pas forcément à son extinction. C’est même souvent le contraire qui se produit, notamment en psychiatrie : l’escalade.

Ignorer un message = ne pas en accuser la réception

La plupart des soignants qui appliquent ces démarches s’accordent pourtant sur le fait que ces sollicitations, ces comportements inadaptés, ces crises sont une manière pour les patients de nous faire passer des messages, et que si la forme de ces messages peut devenir inappropriée, le fond reste à priori tout à fait légitime. Or lorsqu’un patient qui souffre constate que ses efforts pour communiquer sont ignorés par les soignants, il ne peut que souffrir davantage. Deux perspectives s’offrent alors à lui : (1) accentuer ses efforts de communication, ou (2) chercher une solution alternative. Dans le premier cas (1), le comportement inapproprié risque de s’aggraver et de devenir de plus en plus inapproprié voire dangereux. Quant aux solutions alternatives (2) pour se soulager, ce sont généralement celles, toutes aussi inappropriées, qui ont conduit ce patient vers la psychiatrie (isolement social, abus de substances, auto-agressivité etc.). C’est ainsi que des comportements pourtant connus comme étant annonciateurs d’une crise (ex. légère agitation, sollicitations croissantes, plaintes et réclamations) sont volontairement ignorés par crainte qu’une intervention à ce stade favorise leur survenue ultérieure. Cette croyance est maintenue par la capacité des patient à opter pour ces fameuses solutions alternatives discrètes et parfois néfastes (ex. aller boire de l’alcool pour se calmer ou se scarifier) et malheureusement insuffisamment réfutée par l’escalade qui sera considérée comme découlant de la « maladie » du patient et non de la passivité des soignants.

La science du comportement

Le meilleur moyen d’éviter la survenue d’une crise est de ne pas en ignorer les prodromes. Ne pas ignorer, cela signifie connaitre ces signes annonciateurs, savoir les identifier mais également y accorder une attention active, avec une attitude empathique qui facilitera grandement la démarche collaborative de résolution de problème avec le patient. Si l’intuition peut parfois nous conduire à ignorer un comportement dans le but de l’éteindre, cette stratégie reste globalement nocive en psychiatrie, notamment car ce sont les comportements associés à la peur et au danger qui sont les plus résistants à l’extinction. Des comportements inadaptés qui découlent de l’angoisse ne disparaitront pas en les ignorant. Les membres de l’entourage de nos patients le savent bien puisqu’ils l’ont déjà tenté avant nous. L’indifférence ne fonctionne pas davantage pour eux en psychiatrie que dans le monde extérieur. On ne construit pas une alliance avec de l’indifférence.


LaVigna, G.W., & Willis, T. J. (2002). Counter-intuitive strategies for crisis management within a non-aversive framework. In D. Allen (Ed), Ethical approaches to physical interventions (pp. 89-103). Plymouth, UK: British Institute of Learning Disabilities (BILD).

Une réflexion sur “La punition ne connaît pas la crise, Pt. 3 : le retrait

  1. Si seulement tous les soignants en psychiatrie avait conscience de ça…
    J’aurais évité, et il n’y a pas que moi, des heures de souffrances morales et physiques…
    Merci pour votre blog.

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