Le trouble bipolaire

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Fréquent, le trouble bipolaire concerne environ 1 % de la population (jusqu’à 10 % pour les formes mineures) et de 10 à 15 % des consultations en psychiatrie. Cette pathologie est également invalidante, au point de se révéler la sixième cause de handicap dans le monde entre 15 et 44 ans. La surmortalité associée au trouble bipolaire est due non seulement au suicide, mais également à l’abus d’alcool et de drogues, et enfin à certaines pathologies somatiques associées et volontiers iatro-gènes (obésité, diabète, maladies cardio-vasculaires).

L’âge de début se situe entre 17 et 27 ans, mais le délai moyen entre les premières manifestations et la mise en place d’un traitement adapté est proche de dix ans. Un patient consulte en moyenne trois médecins différents avant que le diagnostic soit posé, ce qui s’avère déplorable compte tenu du risque suicidaire et des complications psychosociales.

Manie, dépression, mais pas seulement

Auparavant, la psychose maniaco-dépressive concernait l’ensemble des troubles de l’humeur à caractère cyclique. Depuis une cinquantaine d’années, les troubles bipolaires, distingués des épisodes dépressifs récurrents (troubles unipolaires), sont grossièrement définis par la répétition ou l’alternance d’épisodes dépressifs, maniaques, hypomaniaques ou mixtes, séparés par des intervalles plus ou moins sains.

– L’épisode dépressif se caractérise par une tristesse et une anxiété accompagnées de ruminations douloureuses, marquées par des idées d’incapacité, d’inutilité, de culpabilité, voire d’incurabilité, le tout associé à un ralentissement idéique (atteinte notamment des capacités de mémoire et de concentration) et moteur, ainsi qu’à des perturbations du sommeil et de l’appétit.

– L’épisode maniaque associe une hyperréactivité et une instabilité émotionnelle caractérisée par des oscillations rapides et marquées entre euphorie, irritabilité, anxiété et tristesse, le tout accompagné d’une réduction des besoins de sommeil, d’une mégalomanie, d’une désinhibition et d’une nette accélération des processus idéo-moteurs jusqu’à l’hyperactivité stérile et des projets ou comportements inconsidérés.

– L’épisode hypomaniaque représente une forme atténuée de manie caractérisée par une intensité moindre, une durée inférieure, l’absence d’idées délirantes et le moindre retentissement socioprofessionnel.

– L’épisode mixte est défini par la présence simultanée ou l’alternance ultra-rapide de symptômes maniaques, hypomaniaques et dépressifs.

Diagnostic des différents types

Le diagnostic du trouble bipolaire reste clinique. Il sera porté dès la survenue d’un épisode maniaque (type 1), en cas de survenue d’au moins un épisode hypomaniaque chez un patient ayant auparavant présenté des épisodes dépressifs (type 2), ainsi qu’en cas de récurrence d’épisodes dépressifs associés à des antécédents familiaux de troubles bipolaires ou à un virage de l’humeur induit par un antidépresseur (type 3). Les cycles rapides sont définis par la présence d’au moins quatre épisodes thymiques lors des douze derniers mois.

Il existe également des formes atténuées comme la cyclothymie (alternance de symptômes dépressifs et hypomaniaques qui ne peuvent répondre aux critères d’un épisode caractérisé) et des formes « frontières » comme le trouble schizo-bipolaire, dont les manifestations évoquent une position intermédiaire entre trouble bipolaire et schizophrénie.

Traitements stabilisateurs de l’humeur

Lors des accès, la prise en charge vise à réduire l’intensité des symptômes et à prévenir les complications à court terme : suicide, troubles du comportement et conduites à risque, notamment les dépenses inconsidérées qui nécessitent la mise en place de mesures de protection des biens, de type sauvegarde de justice. Dans un second temps, l’objectif demeure la stabilisation de l’humeur et la prévention des rechutes, tout en tentant de préserver au maximum le bon fonctionnement du patient dans les sphères sociale, professionnelle et familiale, ceci sans négliger le dépistage et le traitement des comorbidités médico-psychiatriques. Il appartient au médecin traitant ou au psychiatre de coordonner les professionnels concernés et d’impliquer au mieux l’entourage du patient dans cette prise en charge.

Le traitement médicamenteux des accès maniaques et mixtes repose en première intention sur les sels de lithium, le divalproate de sodium et certains antipsychotiques atypiques en privilégiant la monothérapie. En seconde intention peuvent être envisagés d’autres anticonvulsivants (carbamazépine, valpromide ou oxycarbazépine), les neuroleptiques classiques ou d’autres antipsychotiques atypiques (amisulpride ou clozapine). En cas d’épisode dépressif, les antidépresseurs peuvent être utilisés en association au traitement régulateur de l’humeur, mais avec précaution en raison des risques suicidaires et de virage maniaque qui rendent nécessaire la mise en place d’une surveillance étroite.

La prévention des rechutes repose en premier lieu sur les sels de lithium, le divalproate de sodium et le valpromide, puis en seconde intention sur d’autres anticonvulsivants et certains antipsychotiques atypiques ou conventionnels.

Les médications à visées anxiolytiques ou hypnotiques peuvent se révéler nécessaires, notamment lors des accès, mais leur prescription doit rester limitée dans le temps. Certaines spécialités sont également employées pour lutter contre les effets secondaires, à commencer par les anticholinergiques pour les symptômes extrapyramidaux liés aux neuroleptiques, mais également les correcteurs de la sialorrhée, du transit, de l’hypotension orthostatique, ainsi que certaines molécules indiquées dans les dysfonctions érectiles.

Mesures non médicamenteuses

Les traitements et mesures non médicamenteuses demeurent pour certains incontournables, y compris lors des épisodes aigus, notamment l’hospitalisation qui s’impose en cas de risque suicidaire élevé, de troubles du comportement majeurs, d’un accès sévère ou résistant au traitement, de la nécessité d’une réévaluation diagnostique ou thérapeutique, de comorbidités complexes, d’une situation d’isolement ou encore d’absence de soutien socio-familial adapté. Les soins sous contrainte sont mis en place dans le cas où le patient ne peut y consentir du fait de ses troubles, tout en constituant un danger pour lui-même, pour les autres ou pour l’ordre public.

Le recours à l’électroconvulsivothérapie (ECT ou sismothérapie) est indiqué lorsque le pronostic vital est mis en jeu à court terme en cas d’accès sévère, catatonique, prolongé ou réfractaire aux médicaments, ou lorsque ces derniers sont contre-indiqués.

Dans un second temps, la psychoéducation (autrement nommée éducation thérapeutique du patient) tient une place centrale dans la prise en charge. Elle consiste à informer le patient de manière structurée et personnalisée sur le trouble et les médicaments, à développer sa capacité à détecter les signes précurseurs d’une rechute, notamment par une auto-surveillance, et à encourager un aménagement de son mode de vie : limiter des facteurs de stress, améliorer leur gestion, favoriser l’arrêt des consommations de substances psychoactives, pratiquer une activité physique, favoriser un sommeil suffisant et régulier ou encore lutter contre la désocialisation.

La psychothérapie de soutien, effectuée par le psychiatre ou le médecin traitant, doit être associée au traitement médicamenteux sans pour autant s’y substituer. Il s’agit d’un suivi régulier de l’état clinique, de l’observance, d’une aide à la gestion des symptômes résiduels ou à l’identification des signes de rechute. D’autres psychothérapies plus structurées peuvent également être entreprises, notamment les thérapies cognitives et comportementales (TCC), qui contribuent à la prévention des rechutes et à l’alliance thérapeutique avec le prescripteur.

Bipolaires mais célèbres

Quels médicaments et quelles indications

Grossesse sous surveillance

Ordonnance commentée

Revue PHARMA – No. 94 – Septembre 2012

Antipsychotiques : plus ou moins extrapyramidaux

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Les symptômes extrapyramidaux figurent parmi les effets secondaires les plus invalidants et stigmatisants causés par les neuroleptiques (je leur consacrais d’ailleurs un billet en novembre dernier). Si les neuroleptiques de seconde génération représentent un véritable progrès à ce niveau, ces effets persistent néanmoins et ne doivent pas être négligés.

Une revue de littérature publiée récemment tente de départager ces antipsychotiques de seconde génération en retenant comme principal critère l’utilisation associée des correcteurs antiparkinsoniens. 54 études concernant des patients schizophrènes ont été incluses dans l’analyse. Il en ressort quelques différences, légères mais notables.

Le plus grand pourvoyeur d’effets secondaires extrapyramidaux serait ainsi la rispéridone (RISPERDAL®) tandis que la quétiapine (XEROQUEL®) se révèlerait la molécule la plus épargnante à ce niveau. L’olanzapine (ZYPREXA®) représenterait un profil intermédiaire qui permettrait de départager les neuroleptiques plutôt pourvoyeurs comme l’aripiprazole (ABILIFY ®), et les molécules plutot épargantes comme la clozapine (LEPONEX®). Il ne semble pas que les auteurs de cette méta-analyse soient parvenus à situer l’amisulpride (SOLIAN®) sur ce continuum, probablement car ce neuroleptique (français) n’est pas souvent pris en compte dans les études américaines.

Les antipsychotiques pourraient donc être approximativement classés selon l’intensité croissante de leurs effets secondaires parkinsoniens comme ceci :

quétiapine → clozapine → olanzapine → aripiprazole → risperidone

Il demeure essentiel de rappeler que le parkinsonisme, aussi délètère soit-il ne représente qu’une partie des effets secondaires causés par les neuroleptiques. Le risque de sédation ou de prise de poids, qui pourraient donner lieu à d’autres classements, doivent également être pris en compte par le médecin lorsqu’il est question de prescrire des neuroleptiques.

Rummel-Kluge C, Komossa K, Schwarz S, et al. Second-generation antipsychotic drugs and extrapyramidal side effects: a systematic review and meta-analysis of head-to-head comparisons. Schizophr Bull 2012;38:167–77.

Vous avez dit « psychose blanche »?

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Le diagnostic d’une psychose sans présence de délire ou d’hallucinations peut paraître assez déraisonnable pour la plupart des cliniciens les plus pragmatiques. Ces derniers, notamment en France, ne sont pas sans savoir que l’influence psychanalytique permet à certains de ses praticiens de détecter certaines manifestations invisibles de la folie, ou du moins certains éléments très signifiants hélas ignorés par leurs collègues trop réalistes.

La psychose sera ainsi légitimée comme une structure, refroidie ou blanchie grâce à un argumentaire plus ou moins ténébreux selon les références de l’étiqueteur ou selon ses dispositions pédagogiques. Il n’est pas nécessaire d’aller chercher bien loin pour constater à quel point ces concepts extrêmement aléatoires peuvent s’avérer néfastes pour les principaux intéressés, à savoir les patients. Un rapide coup d’œil sur les textes d’André Green (pour la psychose blanche) ou d’Évelyne Kestemberg (pour la psychose froide) permet de prendre conscience, par-delà l’écran de fumée du jargon psychanalytique, du caractère hautement fumeux et de la profonde vacuité de ces théories. Il s’agit tantôt de « psychose potentielle », de « psychopathologie de l’appareil à penser les pensées », de la fameuse « hallucination négative » ou encore de la « non-solution », le tout décrivant de manière assez systématique une sorte de vide de la pensée.

Au final, en pratique, la psychose, qu’elle soit blanche ou froide, est souvent évoquée face à une impression de vacuité ressentie par le clinicien face à son patient.

Il est évident qu’avec une si faible spécificité, un tel diagnostic ne peut qu’être porté à l’excès, ce qui, compte tenu de ce qu’il implique, notamment  en matière de traitement et de stigmatisation, s’avère volontiers désastreux pour les patients concernés. L’étiquetage psychotique est quasiment indélébile et très rarement remis en cause dans la suite du parcours d’un patient, notamment car l’instauration des neuroleptiques et leurs effets secondaires contribuent à renforcer ce diagnostic de psychose, tout comme les manifestations de sevrage lorsque le traitement est interrompu.

Ces cliniciens adeptes de la psychose non délirante ne sont pourtant pas extra-lucides et diagnostiquent comme les autres à partir de signes et de symptômes, la plupart du temps précipitamment, mais parfois plus tardivement, le diagnostic de psychose venant alors sanctionner le patient d’un échec thérapeutique qui n’est pourtant pas le sien.

Voici donc une sélection des principaux symptômes et troubles psychiatriques à rechercher derrière le masque vide d’une psychose blanche, froide, ou d’une « structure » psychotique :

Trouble de la personnalité limite

Autrement appelé borderline, ce trouble de la personnalité est regrettablement ignoré ou méprisé par de nombreuses écoles psychanalytiques, les patients concernés étant alors « rabattus » vers la névrose pour les plus chanceux, et vers la psychose pour les autres. Ce qui peut raisonnablement être considéré comme un désordre émotionnel entraine des manifestations parfois spectaculaires et impulsifs, notamment des passages à l’acte auto-agressifs, des abus de substances, de violentes crises d’angoisse ou de colère, mais également d’autres symptômes tels que le sentiment de vide, d’ennui ou l’alexithymie, le tout étant volontiers assimilé (à tort) à des manifestations psychotiques.

L’alexithymie

Il s’agit de la difficulté à exprimer ses émotions par des mots. Leurs manifestations, y compris corporelles s’accompagnent d’une relative incapacité à identifier la ou les émotions concernées qui sont pourtant bien présentes. L’impression de vide ressenti par l’interlocuteur n’est que le résultat de la perplexité de l’alexithymique devant sa « cécité émotionnelle ». Ce trouble ou symptôme peut être rattaché à des connexions déficientes entre le cerveau émotionnel et les régions plus en rapport avec la conscience, un dysfonctionnement qui proviendrait d’un défaut d’apprentissage émotionnel durant l’enfance. Qui dit défaut d’apprentissage dit possibilité de réapprentissage. L’alexithymie n’est donc pas figée, et certainement pas assimilable à une structure, et notamment à la psychose puisqu’il ne s’agit pas de perte de contact avec la réalité.

L’impulsivité

Il s’agit de l’incapacité à différer un comportement, un symptôme fréquemment retrouvé dans plusieurs troubles de la personnalité (limite et antisociale notamment) mais qui n’est en rien spécifique des troubles psychotiques. Cette impulsivité est volontiers perçue (à tort) comme une manifestation primaire, la conséquence d’une sorte de vacuité caché et intolérable pour l’inconscient, donc retenu comme argument en faveur d’une structure psychotique, ceci sans qu’aucune preuve scientifique ne soit jamais venue étayer ces intuitions.

Déficit intellectuel ou symptomatologie déficitaire

Rien n’évoque davantage le vide qu’un déficit cognitif ou intellectuel dont l’origine reste évidemment très variée. Des patients sont alors considérés comme psychotiques sur la base d’un déficit qui résulte de séquelles d’un accident traumatique, de troubles envahissants du développement mal pris en charge, mais également de maladies neurologiques dégénératives. La symptomatologie déficitaire qui, lorsqu’associée au symptômes positifs et à la désorganisation signe la schizophrénie, suffit parfois à certains pour diagnostiquer la psychose, ce alors même que cette symptomatologie déficitaire peut s’expliquer tout à fait autrement, notamment par des séquelles d’une intoxication alcoolique ou narcotique chronique. Une pauvreté du discours évoquera alors inévitablement le fameux vide de la pensée, et donc la psychose, que cette pauvreté intellectuelle ne soit qu’apparente ou réelle.

D’autres manifestations, moins évocatrices de cette vacuité psychique, sont également retenues en faveur d’une structure psychotique :

La bizarrerie

Il est parfois effarant de constater à quel point la bizarrerie peut être synonyme de psychose pour certains cliniciens, qu’ils soient ou non influencés par la psychanalyse. Or la bizarrerie, tout comme l’excentricité ou encore certaines croyances, n’est pas forcément le signe d’une perte de contact avec la réalité, même si ces manifestations peuvent être source de souffrance ou justifier le diagnostic de schizotypie, un trouble volontiers considérée comme une forme atténuée de schizophrénie.

Les troubles anxieux

Dans leurs formes les plus sévères, et souvent réfractaires aux prises en charge, certains troubles anxieux légitiment une passerelle extraordinaire entre névrose et psychose. Il s’agit notamment de certains troubles obsessionnels compulsifs dont les manifestations sont particulièrement absurdes, dont les rituels sont à la fois critiqués et justifiés par une pensée magique ou superstitieuse. Il s’agit également de certaines formes de phobie sociale dans lesquelles l’isolement et l’angoisse procurent une impression de vacuité chez l’interlocuteur, notamment car ces patients ne parviennent pas à maintenir le contact oculaire et restent parfois quasi-mutiques. Par ailleurs, la survenue d’une attaque de panique (crise d’angoisse) s’accompagne de certaines pensées automatiques extrêmes (peur de mourir, peur de devenir fou) qui sont hélas parfois prises au pied de la lettre pour justifier un diagnostic de psychose blanche.

Les effets secondaires des neuroleptiques

Il n’y a pas plus évocateur de psychose que l’allure schizophrénique ou l’effet zombie du à l’impregnation de neuroleptiques (voir le billet correspondant).

Les effets extrapyramidaux

Effets secondaires, Neuroleptiques

Les manifestations neurologiques regroupées sous le terme parkinsonisme demeurent les effets secondaires les plus fréquents, les plus invalidants, et les plus stigmatisants causés par les neuroleptiques. Il n’est hélas pas rare que certains cliniciens associent leur survenue et l’efficacité du traitement, alors qu’il s’agit plutôt d’un signe de surdosage. Ils proviennent, comme dans la maladie de parkinson, de la diminution de l’activité dopaminergique dans le cerveau, un phénomène qui permet autant la régression de certains symptômes (agitation, hallucinations etc.) qu’il peut entraver un fonctionnement neurologique normal. Si les antipsychotiques les plus récents semblent moins néfastes à ce niveau, ils n’épargnent pas pour autant les patients de ce parkinsonisme qui survient volontiers sous des formes plus discrètes et insidieuses. Ces effets extrapyramidaux demeurent par ailleurs les plus grands pourvoyeurs de la fameuse « allure schizophrénique ». Il suffit souvent d’une simple dose de neuroleptique pour transformer n’importe quel sujet en « zombie », d’où l’importance de ne pas les prescrire à la légère au risque d’un étiquetage diagnostique erroné et durable.

Ces effets extrapyramidaux peuvent très approximativement être classés dans trois catégories :

L’akinésie

Il s’agit d’une atteinte de l’initiation des mouvements volontaires. Ces derniers ralentissent (bradykinésie) et se font d’autant plus rares que l’effet est prononcé. À la difficulté de cette mise en route s’associe la peur de ne pas pouvoir interrompre la séquence de mouvement entamée, avec pour résultat la fameuse marche à petits pas, volontiers ponctuée de ralentissements et de piétinements, et privée du balancement des bras. La coordination peut également s’en trouver altérée, ceci se traduisant par la difficulté à réaliser des mouvements alternatifs des membres supérieurs (les marionnettes). Les mouvements faciaux sont aussi concernés, avec une augmentation de latence des réponses verbales, un visage peu expressif jusqu’au faciès figé et peu réactif à la production de salive. Cette akinésie est volontiers décrite par les patients comme une véritable contrainte motrice assimilable à une sorte de « camisole chimique ».

Les dyskinésies

Il s’agit de mouvements anormaux et involontaires, qui surviennent le plus souvent sous la forme de tremblements de repos au niveau de l’extrémité des membres et dont l’intensité reste évidemment variable : d’une trémulation à peine perceptible à des secousses extrêmement invalidantes. La manifestation la plus classique reste le fameux tremblement du pouce qui donne l’impression de rouler de la mie de pain ou de compter de la monnaie. En cas de localisation bucco-faciale, un mâchonnement peut s’associer à des mouvements incessants de la langue (protrusion/retrusion) et des lèvres (succion) ou encore à un bruxisme (grincement des dents). Il est également possible d’observer une atteinte au niveau du tronc (oscillations, hochements rythmés de la tête etc.) ainsi que des muscles respiratoires (sifflement, souffle court).

La dystonie

Il s’agit d’une atteinte de la tonicité musculaire, qui entraine des contractions involontaires et prolongées, parfois jusqu’à la contracture. L’atteinte oculaire peut aller du blépharospasme (fermetures répétitives des paupières) à l’impressionnante mais beaucoup plus rare crise oculogyre (yeux révulsés vers le haut). Au niveau de la sphère bucco-laryngée, les complications peuvent concerner l’élocution (dysarthrie), la déglutition ou la respiration (trismus ou spasme du larynx) sans parler des douleurs musculaires occasionnées, notamment au niveau cervical (torticolis). Dans les formes aigues les plus graves, le pronostic vital est parfois engagé et nécessite des mesures d’urgence.

Les correcteurs

Il s’agit des molécules utilisées pour atténuer certains effets secondaires des neuroleptiques, les plus couramment prescrites demeurant les spécialités anticholinergiques (Lepticur®, Akineton®, Artane®, Parkinane®). Celles-ci sont indiquées en urgence dans les formes aigues de dystonie mais peuvent également être indiquées au long cours en association aux neuroleptiques pour lutter contre certains effets extrapyramidaux. Autrefois prescrites de façon systématique, elles ne devraient plus l’être aujourd’hui, notamment car les neuroleptiques les plus récents sont globalement mieux tolérés sur le plan psychomoteur. Par ailleurs, ces anticholinergiques n’ont jamais été miraculeux : leur efficacité ne concerne pas tous les effets secondaires (surtout la rigidité, les tremblements et les spasmes) et ils provoquent eux-mêmes des effets indésirables (sècheresse buccale, constipation, vertiges, troubles visuels, amnésie antérograde, confusion pour les plus fréquents). Les benzodiazépines peuvent également être employées, leurs propriétés myorelaxantes se révélant efficaces sur certaines dystonies.

Le meilleur moyen de chasser des effets secondaires reste de supprimer ou de diminuer le médicament qui en est à l’origine, ou ceux qui peuvent les aggraver. Les tremblements peuvent notamment augmenter lorsque les neuroleptiques sont associés à certains antidépresseurs (tricycliques) ou quelques régulateurs de l’humeur (valproate, lithium). La mise en place d’un correcteur, quel qu’il soit ne doit être envisagée qu’après avoir éliminé toute possibilité d’agir sur la cause des effets secondaires. Les neuroleptiques les moins pourvoyeurs d’effets extrapyramidaux en France sont la clozapine (Leponex®), la quétiapine (Xeroquel®) et l’aripiprazole (Abilify®).

Les dyskinésies tardives

Celles-ci n’apparaissent que plusieurs mois au moins après l’introduction ou l’interruption des neuroleptiques. Il s’agit la plupart du temps de mouvements involontaires de la région bucco-linguo-masticatrice, rythmiques et stéréotypés, tantôt lents et continus (athétoïdes), tantôt rapides et non répétitifs (choreiformes). Ces symptômes concernent entre 5 et 20 % des patients ayant reçu des antipsychotiques au long cours, surviennent plus volontiers chez les femmes ou les personnes âgées, avec certains neuroleptiques plutôt que d’autres, et plus souvent lorsque les doses reçues sont élevées. À la différence des autres effets extrapyramidaux, les dyskinésies tardives persistent des mois, voire des années après l’arrêt du traitement et ne sont guère sensibles aux correcteurs classiques anticholinergiques.

L’akathisie

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Parmi les nombreux effets secondaires attribuables aux neuroleptiques, l’akathisie demeure certainement le plus trompeur, et souvent le plus dommageable. Souvent réduite à une « impatience pathologique » ou à l’impossibilité de rester immobile qui n’est que l’une de ses potentielles conséquences motrices, l’akathisie serait mieux résumée par une surexcitation globale, et notamment émotionnelle.

Des présentations trompeuses

Ceux qui en ont un jour subi les effets décrivent l’une des pires expériences de leur vie : une sensation intense d’inconfort associée à un sentiment de perte de contrôle, le tout pouvant favoriser toutes sortes de complications plus ou moins graves.

L’illustration la plus typique est ce besoin presque impérieux de marcher, de déambuler pour soulager une impatience qui rend impossible la moindre immobilité prolongée. Or ces symptômes typiques ne sont que rarement isolés, et peuvent être absent dans les nombreuses formes plus discrètes d’akathisie qui surviennent depuis l’avènement des neuroleptiques atypiques.

L’akathisie se retrouve également à l’origine d’une exaltation parfois massive de certaines émotions négatives telles que l’anxiété, l’irritabilité, la dysphorie et la colère, dont les conséquences sur le plan comportemental se révèlent variables et parfois dramatiques : agitation, agressivité, impulsivité, fugue, raptus suicidaire…

Ces nombreuses présentations incitent volontiers les soignants, l’entourage, voire le patient lui-même à considérer que cette aggravation est le fait de la maladie qui l’a conduit à se faire soigner plutôt qu’un effet secondaire du traitement. Celui-ci est alors volontiers augmenté dans l’espoir de faire cesser les symptômes sans que l’hypothèse de l’akathisie ne soit évoquée, ce qui ne constitue guère la solution idéale.

En guise d’exemple, il n’est pas rare d’entendre au sujet de l’aripiprazole (Abilify®), même de la part de grands cliniciens, que celui-ci provoque de l’excitation, de l’angoisse, voire des accès maniaques ou délirants (étrange pour un neuroleptique…). Or il se trouve que cet aripiprazole est également un grand pourvoyeur d’akathisie, ce qui, combiné à son profil peu voire non sédatif, aboutit volontiers à ce genre de tableau.

Comment la démasquer?

Avant de la démasquer, il s’agirait déjà d’y penser, et bien avoir en tête ce chevauchement parfois complexe et flou entre les symptômes de l’akathisie et ceux de nombreuses maladies psychiatriques. Il n’existe pas de méthode distinctive miraculeuse mais les critères pour la recherche du DSM représentent une base diagnostique plutôt fiable à ce niveau.

Les voici dans la quatrième version révisée :

Critères de recherche pour l’akathisie aiguë induite par les neuroleptiques

A. Apparition de plaintes subjectives d’impatience après la prise d’un traitement neuroleptique

B. Au moins l’un des symptômes suivants est observé :

(1) Mouvements d’impatience ou balancement des jambes

(2) Balancement d’un pied sur l’autre en position debout

(3) Besoin de marcher pour soulager l’impatience

(4) Incapacité à rester assis ou debout sans bouger au-delà de quelques minutes

C. Les symptômes des critères A et B surviennent dans les 4 semaines qui suivent le début ou l’augmentation des doses d’un traitement neuroleptique ou bien la réduction d’un traitement médicamenteux visant à traiter (ou à prévenir) des symptomes extrapyramidaux aigus (p.ex., les anticholinergiques).

D. Les symptômes du critère A ne sont pas mieux expliqués par un troubles mental (p. ex., la Schizophrénie, le Sevrage à une substance, l’agitation d’un Épisode dépressif majeur ou d’un Épisode maniaque, l’hyperactivité d’un Déficit de l’attention/hyperactivité). Les arguments en faveur d’un trouble mental sont notamment la survenue de symptômes avant la prise de neuroleptiques, l’absence d’amélioration sous traitement pharmacologique (p. ex., la réduction de la dose de neuroleptiques ou l’administration d’un médicament visant à traiter l’akathisie n’entraine pas d’amélioration).

E. Les symptômes du critère A ne sont pas dus à une substance non neuroleptiques ou à une affection neurologique ou à une autre affection médicale générale. Les arguments en faveur d’une affection médicale générale sont notamment la survenue des symptômes avant la prise de neuroleptiques ou l’aggravation des symptômes en l’absence de changement du traitement médicamenteux.

Il semble évident que le meilleur argument en faveur de cette akathisie reste chronologique, celle-ci devant être évoquée devant toute aggravation de l’état d’un patient après instauration d’un traitement neuroleptique.

Comment s’en débarrasser?

Là également, il n’existe pas à ce jour de solution miraculeuse. La meilleure reste l’arrêt total et définitif du traitement neuroleptique en cause. Celui-ci pourra être remplacé si nécessaire par un autre sans pouvoir garantir du retour ou non de cet effet secondaire. L’intensité de l’akathisie demeurant dose dépendante, une diminution du traitement peut également apporter un soulagement plus ou moins partiel.

Certaines molécules dévoilent un effet correcteur mais ne doivent être envisagée qu’en cas d’impossibilité d’interrompre le traitement neuroleptique. Les anticholinergiques, les beta-bloquants tels que le propranolol (Avlocardyl®) ou encore les benzodiazépines comme le lorazepam (Temesta®) peuvent se révéler efficaces à conditions que soit mis en balance les bénéfices et risques d’une telle prescription.

Diagnostiquer, prendre en considération et traiter cette akathisie reste une démarche essentielle en psychiatrie, notamment en vue de prévenir certaines complications telles que l’automédication (l’alcool est hélas aussi un correcteur efficace) ou l’interruption brutale d’un neuroleptique par le patient avec les risques de rechute qui y sont liés.

Quels neuroleptiques sont concernés?

Ils le sont tous, les anciens comme les nouveaux, ces derniers provoquant des akathisies plus discrètes mais pas forcément moins dangereuses. Les variations interindividuelles entrainent une grande difficulté à prévoir cet effet secondaire avant la mise en place d’un traitement. Il est donc essentiel d’aller le traquer (tout comme les autres effets secondaires) sans attendre que le patient s’en plaigne. Un tableau répertoriant les principaux effets secondaires des neuroleptiques est disponible ici.

Et le syndrome des jambes sans repos?

Il s’agit d’un autre trouble à envisager comme diagnostic différentiel et que l’on différencie de l’akathisie grâce à plusieurs critères :

  • Absence d’exposition aux neuroleptiques
  • Symptômes limités aux membres inférieurs
  • Présence de symptômes sensoriels associés (paresthésies, chaud/froid, douleur etc.)
  • Myoclonies (mouvements brusques, involontaires et de faible amplitude)
  • Troubles du sommeil
  • Aggravation vespérale, voire manifestations uniquement le soir
  • Antécédents familiaux
  • Sensibilité à d’autres traitements

Un peu de lecture pour finir :

L’akathisie sous-diagnostiquée (A. Bottéro)

The Causes of Underdiagnosing Akathisia (Shigehiro Hirose)