Les défauts d’un système ne sont jamais mieux pointés que par ceux qui le subissent en bénéficient. Voici le témoignage d’un usager posté hier sur un groupe Facebook que je co-administre. J’y adhère suffisamment pour m’abstenir de toute remarque supplémentaire. Mais que les lecteurs ne s’en privent pas !
Considérations
Réflexions personnelles
La punition ne connaît pas la crise, Pt. 3 : le retrait
ConsidérationsSi la plupart des soignants et autres professionnels gravitant autour de la psychiatrie s’accordent sur la nécessité de ne pas recourir à des mesures punitives, certaines d’entre-elles demeurent pourtant inscrites dans le fonctionnement des unités de soins. La perpétuation de ces pratiques tient pour beaucoup à leur caractère intuitif. Les stratégies aversives sont généralement peu couteuses et plutôt efficaces pour aboutir à la modification d’un comportement dans la vie courante, pour la plupart des gens. Elles nous viennent donc à l’esprit assez naturellement. Tout le monde ne réagit cependant pas de la même manière à la punition. La population psychiatrique n’est à ce titre pas superposable à la plupart des gens, et la vie en psychiatrie n’est pas vraiment équivalente à la vie courante. Si cette vie courante et ses mesures punitives étaient réellement efficaces sur nos patients, leurs comportements ne poseraient plus de problèmes et ils n’auraient pas besoin de nous pour apprendre à les gérer.
Trois grandes stratégies sont régulièrement mises en œuvre en psychiatrie pour gérer ou prévenir les crises : la privation de liberté, la confrontation aux conséquences « naturelles » et le retrait d’attention. Elles sont très pourvoyeuses d’escalade à court terme et globalement peu bénéfiques aux patients au-delà. Deux autres manœuvres beaucoup moins intuitives et souvent négligées mériteraient d’être mise en œuvre beaucoup plus souvent. Il s’agit des mesures de diversion et de la capitulation.
Cette troisième partie est consacrée aux mesures de retrait d’attention.
Une attitude assez répandue face à un patient en crise est de l’ignorer tout simplement, ceci dans l’idée de ne pas renforcer un comportement inapproprié en lui accordant de l’attention.
Un enfant qui se roule par terre ?
Nous connaissons tous ce cas d’école éducatif du parent ignorant son enfant qui se roule par terre jusqu’à ce que ce dernier adopte un comportement plus adapté. Il s’agit du phénomène de l’extinction qui se produit lorsqu’un comportement auparavant renforcé ne l’est plus. Cette démarche est devenue assez instinctive pour la plupart d’entre-nous et se retrouve déclinée à toutes les sauces en psychiatrie jusqu’à trahir le principe même de l’extinction. Parmi les sentences les plus fréquemment prononcées au sein des équipes, il y a bien-sûr le classique « ignorons-le, il cherche juste à attirer l’attention », le tout aussi classique « ne lui donnons pas (tout de suite) ce qu’il réclame, ça lui donnerait de mauvaises habitudes » ou encore le « laissons-le sonner, il va finir par s’arrêter ». Selon le seuil fixé, souvent de façon arbitraire, par les soignants (de façon individuelle ou collective), les sollicitations jugées « excessives » et/ou « inadaptées » sont sanctionnées par un retrait d’attention qui vise logiquement à réduire ces sollicitations. Or, hélas ou heureusement, ignorer un comportement n’aboutit pas forcément à son extinction. C’est même souvent le contraire qui se produit, notamment en psychiatrie : l’escalade.
Ignorer un message = ne pas en accuser la réception
La plupart des soignants qui appliquent ces démarches s’accordent pourtant sur le fait que ces sollicitations, ces comportements inadaptés, ces crises sont une manière pour les patients de nous faire passer des messages, et que si la forme de ces messages peut devenir inappropriée, le fond reste à priori tout à fait légitime. Or lorsqu’un patient qui souffre constate que ses efforts pour communiquer sont ignorés par les soignants, il ne peut que souffrir davantage. Deux perspectives s’offrent alors à lui : (1) accentuer ses efforts de communication, ou (2) chercher une solution alternative. Dans le premier cas (1), le comportement inapproprié risque de s’aggraver et de devenir de plus en plus inapproprié voire dangereux. Quant aux solutions alternatives (2) pour se soulager, ce sont généralement celles, toutes aussi inappropriées, qui ont conduit ce patient vers la psychiatrie (isolement social, abus de substances, auto-agressivité etc.). C’est ainsi que des comportements pourtant connus comme étant annonciateurs d’une crise (ex. légère agitation, sollicitations croissantes, plaintes et réclamations) sont volontairement ignorés par crainte qu’une intervention à ce stade favorise leur survenue ultérieure. Cette croyance est maintenue par la capacité des patient à opter pour ces fameuses solutions alternatives discrètes et parfois néfastes (ex. aller boire de l’alcool pour se calmer ou se scarifier) et malheureusement insuffisamment réfutée par l’escalade qui sera considérée comme découlant de la « maladie » du patient et non de la passivité des soignants.
La science du comportement
Le meilleur moyen d’éviter la survenue d’une crise est de ne pas en ignorer les prodromes. Ne pas ignorer, cela signifie connaitre ces signes annonciateurs, savoir les identifier mais également y accorder une attention active, avec une attitude empathique qui facilitera grandement la démarche collaborative de résolution de problème avec le patient. Si l’intuition peut parfois nous conduire à ignorer un comportement dans le but de l’éteindre, cette stratégie reste globalement nocive en psychiatrie, notamment car ce sont les comportements associés à la peur et au danger qui sont les plus résistants à l’extinction. Des comportements inadaptés qui découlent de l’angoisse ne disparaitront pas en les ignorant. Les membres de l’entourage de nos patients le savent bien puisqu’ils l’ont déjà tenté avant nous. L’indifférence ne fonctionne pas davantage pour eux en psychiatrie que dans le monde extérieur. On ne construit pas une alliance avec de l’indifférence.
LaVigna, G.W., & Willis, T. J. (2002). Counter-intuitive strategies for crisis management within a non-aversive framework. In D. Allen (Ed), Ethical approaches to physical interventions (pp. 89-103). Plymouth, UK: British Institute of Learning Disabilities (BILD).
La punition ne connaît pas la crise, Pt. 2 : la confrontation
ConsidérationsSi la plupart des soignants et autres professionnels gravitant autour de la psychiatrie s’accordent sur la nécessité de ne pas recourir à des mesures punitives, certaines d’entre-elles demeurent pourtant inscrites dans le fonctionnement des unités de soins. La perpétuation de ces pratiques tient pour beaucoup à leur caractère intuitif. Les stratégies aversives sont généralement peu couteuses et plutôt efficaces pour aboutir à la modification d’un comportement dans la vie courante, pour la plupart des gens. Elles nous viennent donc à l’esprit assez naturellement. Tout le monde ne réagit cependant pas de la même manière à la punition. La population psychiatrique n’est à ce titre pas superposable à la plupart des gens, et la vie en psychiatrie n’est pas vraiment équivalente à la vie courante. Si cette vie courante et ses mesures punitives étaient réellement efficaces sur nos patients, leurs comportements ne poseraient plus de problèmes et ils n’auraient pas besoin de nous pour apprendre à les gérer.
Trois grandes stratégies sont régulièrement mises en œuvre en psychiatrie pour gérer ou prévenir les crises : la privation de liberté, la confrontation aux conséquences « naturelles » et le retrait d’attention. Elles sont très pourvoyeuses d’escalade à court terme et globalement peu bénéfiques aux patients au-delà. Deux autres manœuvres beaucoup moins intuitives et souvent négligées mériteraient d’être mise en œuvre beaucoup plus souvent. Il s’agit des mesures de diversion et de la capitulation.
Cette deuxième partie est consacrée aux mesures de confrontation aux conséquences « naturelles »
Une attitude assez répandue face à un patient en crise est de le mettre face aux conséquences négatives de ses actes, des conséquences qualifiées de « naturelles » ou considérées comme telles, dans l’idée que ce qui est naturel est forcément bon et incontournable.
Quoi de plus naturel…
C’est en étant confrontés aux conséquences de nos actes que nous apprenons et que nous nous construisons une vie que l’on espère la plus saine et valeureuse possible. Il s’agit là de l’une des lois principales de l’apprentissage : un comportement est déterminé par ses conséquences, des conséquences qui peuvent favoriser le maintien ou l’abandon d’un comportement. Dans son versant punitif, ce phénomène d’allure si universelle est exploité partout et avec tout le monde, du petit garçon trop gourmand qui le paiera par une digestion difficile au conducteur imprudent qui le paiera par une amende ou un accident (à condition de ne pas en mourrir bien entendu). Si ces conséquences sont si bénéfiques à la plupart d’entre-nous, il devient logique d’en faire profiter nos patients, de les confronter le plus possible aux conséquences négatives de leurs comportements inadaptés en espérant une rectification des plus « naturelles » de ces comportements. Ce principe aussi noble moralement que scientifiquement est très souvent appliqué en psychiatrie à travers des punitions dont le caractère « naturel » apparait souvent déculpabilisant pour les équipes soignantes. On dira donc d’un patient qu’il faut « qu’il assume », « qu’il comprenne » ce qu’il a fait avant de le laisser subir une sanction qu’on présentera comme réparatrice. Certaines de ses conséquences ne peuvent être évitées, et au mieux repoussées, notamment lorsqu’il s’agit de faire face aux autorités judiciaires ou policières. D’autres ne sont pas « obligatoires » mais maintenues par crainte que le patient concerné ne tire pas suffisamment de leçons.
Ca fait flamber, mais c’est bon quand même ?
Les conséquences à court terme de cette attitude sont souvent aggravantes, quel que soit l’état émotionnel du patient. S’il est en crise, l’escalade est généralement de rigueur. De nombreuses mesures d’isolement ou de contention pourraient être évitées si le patient concerné n’était pas prématurément et brutalement confronté aux conséquences de ses actes : « Regardez ce que vous avez fait ! Vous imaginez le temps et l’argent que ça va couter de réparer ça ? », « Vous faites peur à tout le monde, regardez ! », « On ne peut pas s’occuper des autres à cause de vous! » etc. Des plaintes sont régulièrement déposées par des soignants, par des établissements psychiatriques, non pas pour se protéger mais pour donner une leçon. Des excuses peuvent être exigées, souvent trop rapidement, dans le même but. Les patients sont souvent mis face aux torts qu’ils causent à leur entourage, notamment en présence de ces derniers, ce qui n’est pas sans favoriser encore et toujours l’escalade. L’indulgence est parfois plus marquée lorsqu’il s’agit du domaine professionnel, notamment en milieu protégé mais là encore, certains licenciements peuvent constituer pour certains « une bonne leçon » de vie. Si toutes ces démarches douloureuses sont maintenues malgré les dégâts constatés à court terme, c’est car des bénéfices sont attendus au-delà, des bénéfices en termes d’apprentissage que l’on n’imagine pas pouvoir survenir par d’autres méthodes.
La science du comportement
Il semblerait qu’en matière d’apprentissage par les conséquences négatives, nous ne soyons pas tous égaux et que nos patients soient franchement défavorisés. En effet, si les conséquences négatives de la vie étaient si instructives pour eux, ils ne seraient justement pas devenus nos patients. Si les aspects aversifs de la vie avaient pu leur permettre de rectifier leurs comportements les plus problématiques, ils ne viendraient pas nous demander de l’aide à ce niveau. Certains n’apprennent tout simplement PAS des conséquences « naturelles » négatives, d’autres en apprennent TROP, au point d’en être traumatisés. Si ces gens arrivent en psychiatrie, c’est dans un premier temps pour être protégés, pas pour être exposés à ce qui n’a déjà pas marché ou à ce qui leur est nuisible depuis des années, voire depuis des décennies. Cela ne signifie pas qu’il faille les en protéger toujours et en toutes circonstances. D’après la science du comportement, lorsque les conséquences « naturelles » peuvent provoquer ou aggraver une crise, lorsqu’elles peuvent aboutir à davantage de souffrance et de stigmatisation pour nos patients, mieux vaut éviter de les y confronter. Cela ne nous empêchera pas de les aider à comprendre ou à assumer de manière non punitive, dans un moment ou un contexte plus propice.
LaVigna, G.W., & Willis, T. J. (2002). Counter-intuitive strategies for crisis management within a non-aversive framework. In D. Allen (Ed), Ethical approaches to physical interventions (pp. 89-103). Plymouth, UK: British Institute of Learning Disabilities (BILD).
La punition ne connaît pas la crise, Pt. 1 : la privation
ConsidérationsSi la plupart des soignants et autres professionnels gravitant autour de la psychiatrie s’accordent sur la nécessité de ne pas recourir à des mesures punitives, certaines d’entre-elles demeurent pourtant inscrites dans le fonctionnement des unités de soins. La perpétuation de ces pratiques tient pour beaucoup à leur caractère intuitif. Les stratégies aversives sont généralement peu couteuses et plutôt efficaces pour aboutir à la modification d’un comportement dans la vie courante, pour la plupart des gens. Elles nous viennent donc à l’esprit assez naturellement. Tout le monde ne réagit cependant pas de la même manière à la punition. La population psychiatrique n’est à ce titre pas superposable à la plupart des gens, et la vie en psychiatrie n’est pas vraiment équivalente à la vie courante. Si cette vie courante et ses mesures punitives étaient réellement efficaces sur nos patients, leurs comportements ne poseraient plus de problèmes et ils n’auraient pas besoin de nous pour apprendre à les gérer.
Trois grandes stratégies sont régulièrement mises en œuvre en psychiatrie pour gérer ou prévenir les crises : la privation de liberté, la confrontation aux conséquences « naturelles » et le retrait d’attention. Elles sont très pourvoyeuses d’escalade à court terme et globalement peu bénéfiques aux patients au-delà. Deux autres manœuvres beaucoup moins intuitives et souvent négligées mériteraient d’être mise en œuvre beaucoup plus souvent. Il s’agit des mesures de diversion et de la capitulation.
Cette première partie est consacrée aux mesures de privation
Une attitude assez répandue face à un patient en crise est de restreindre certaines de ses libertés et de supprimer la plupart de ses activités à court terme, notamment celles qui lui sont agréables.
Punition pour prévention
Ces décisions sont généralement présentées comme des mesures de sécurité, et basée sur des croyances plus ou moins fondées : la survenue d’une crise signerait une aggravation globale de la maladie, et donc un risque plus important de survenue d’autres crises à court terme, et donc la nécessité de garder le patient dans le milieu le plus sécurisé qui soit, c’est à dire dans un service de psychiatrie, voire en isolement, voire sous contention. Le principal moteur de telles décisions reste la peur des soignants et son cortège d’anticipations négatives, catastrophiques. La punition est alors justifiée par la prévention d’un risque lui-même surestimé par la peur de ce qu’il pourrait arriver de pire au patient, à son entourage, à la population mais aussi au soignant (désapprobation, sanctions, poursuites etc.).
La hantise du bénéfice secondaire
Ces mesures de privation de liberté sont plus rarement présentées comme des méthodes authentiquement éducatives. Celles-ci peuvent alors aussi bien être guidées par les notions de renforcement que par de simples valeurs morales : faire plaisir au patient après une crise pourrait ainsi favoriser la survenue d’une autre, il s’agirait alors d’un « bénéfice secondaire ». Il serait au contraire préférable de « marquer le coup », de le punir afin de ne pas lui donner envie de recommencer, et par la même occasion d’envoyer un message clair à tous ceux qui l’entourent et qui pourraient se sentir concernés : nous ne sommes pas dans un hôtel, dans un camp de vacances ou en thalassothérapie, car ici on soigne vraiment, sérieusement, à la dure. La ou les sanctions peuvent prendre des formes très diverses, allant de l’annulation d’activités habituelles plaisantes au classique et infantilisant « privé de sorties », en passant par toutes les formes d’isolement par rapport à ce que l’on imagine pouvoir constituer un renforcement ou favoriser une contamination (tabac, distractions, objets personnels, autres patients et entourage notamment).
Le cercle vicieux de la privation
Qu’elles soient instaurées à visée éducative ou sécuritaire, ces mesures favorisent l’escalade et donc l’aggravation du problème que l’on cherche à résoudre. En effet, on ne renonce pas à des libertés (surtout si fraichement acquises) sans un certain malaise émotionnel, et donc possiblement comportemental, ce qui pourra se traduire par un surcroit de détresse, d’agitation et parfois d’agressivité. Paradoxalement, ce phénomène constitue une preuve du bienfondé de cette stratégie pour ses instigateurs, souvent rassurés dans leur illusion d’avoir limité les risques alors qu’ils les ont augmentés : « Vous voyez bien que vous allez mal ! Quand on vous disait que vous aviez besoin d’être protégé de vous même ! Il faut que vous soyez cadré sinon vous faites n’importe quoi. ». De là à considérer les restrictions de libertés comme thérapeutiques, il n’y a qu’un pas. L’engagement et le souci de cohérence aident généralement à boucler un cercle très vicieux : plus de crises donnent plus de restrictions qui elles-mêmes donnent plus de crises et ainsi de suite.
La science du comportement
D’après la science du comportement, il serait plus efficace de maintenir ces activités plaisantes et ces libertés que d’en priver les patients, du moins si l’on cherche à diminuer le risque de récidive d’une crise. Reste à s’assurer que les évènements maintenus ne soient pas contingents de la crise (que la crise ne donne pas elle-même lieu à l’événement) et qu’ils ne lui succèdent pas trop vite.
Tout cela est bien plus facile à dire qu’à faire. Les données de la science ne font parfois pas le poids face à celui de la tradition, de l’institution, de l’intuition, et surtout de la peur. Mais quel est le meilleur conseil à donner à celui qui évite d’affronter ses peurs ?
LaVigna, G.W., & Willis, T. J. (2002). Counter-intuitive strategies for crisis management within a non-aversive framework. In D. Allen (Ed), Ethical approaches to physical interventions (pp. 89-103). Plymouth, UK: British Institute of Learning Disabilities (BILD).
Borderline : parole de patient 2
Internet, témoignages, Troubles psychotiquesVoici la traduction (toujours aussi laborieuse) d’une autre lettre ouverte écrite par une patiente américaine avec trouble de la personnalité borderline sur son blog. À la différence de la première que j’ai traduite, celle-ci s’adresse uniquement aux professionnels de santé mentale avec un style plutôt direct et efficace.
Cher soignant,
Je vous écris en tant qu’ancienne patiente avec trouble de la personnalité borderline ayant été en contact avec plusieurs services de psychiatrie pendant 6 ans.
Je pense qu’il y a deux catégories de soignants : ceux qui peuvent, qui veulent travailler avec les borderlines et ceux qui détestent avoir à faire à nous. Si vous êtes de ces derniers, nous ne progresserons pas, la relation ne fonctionnera pas, je vous détesterai autant que vous détesterez me voir. Traitez la personnalité borderline avec respect et sans porter de jugement définitif. Vous pouvez ne pas me comprendre, vous pouvez me trouver difficile mais n’oubliez pas que j’ai des sentiments et que j’ai été esquintée par la vie. Si vous ne pouvez pas m’aider, lâchez prise, soyez honnêtes, mais ne me laissez pas sans aide et n’essayez pas de vous débarrassez de moi comme d’une patate chaude.
Si vous pouvez/voulez travailler avec moi, ce qui va suivre pourrait vous aider. J’ai grandi dans un monde de peur et de mensonge où les règles du jeu changeaient constamment, où le noir devenait blanc, le haut devenait bas et la vérité devenait mensonge. Il est devenu impossible pour moi de faire confiance à quiconque si bien que je me méfie de tout et de tout le monde. Mon monde est noir ou blanc. Il n’y a pas de nuances de gris.
Qu’aimerais-je de votre part ? En réalité, beaucoup de choses. Acceptez-moi seulement si vous êtes prêt à relever le défi. Si vous tâtez le terrain avant de battre en retraite, vous confirmerez ma vision négative de moi-même, à savoir que je suis inutile, que je ne vaux rien, que je ne pourrai jamais aller mieux et que je ferais mieux de mourir.
Je vous repousserai, je vous combattrai. Je serai le stéréotype du borderline, je vous pousserai à bout. Je pourrai même vous blesser avec mes paroles. Ce que je cherche, c’est à savoir si vous voulez réellement, authentiquement m’aider ou si je suis juste une partie de votre travail. Je ne vous demande pas de me consacrer toute votre carrière mais de me prouver que vous êtes différent, que le passé n’est pas voué à se répéter, j’ai besoin que vous me montriez que vous comprenez mon insécurité et mes comportements.
J’ai tendance à passer brutalement de l’amour à la haine et je pourrai me convaincre que vous êtes le meilleur soignant jusqu’à ce qu’un jour quelque chose se passe. Seulement quelques mots prononcés peuvent me laisser sous le choc. Je ne vous le dirai pas forcément en face mais je couperai le contact pendant un certain temps, j’annulerai les rendez-vous, j’ignorerai les appels et les courriers. Il ne tiendra qu’à vous ou à mon entourage de me parler, de comprendre pourquoi il m’a paru nécessaire d’agir ainsi et de m’inciter à reprendre contact. Je vous mettrai sur un piédestal, mes attentes vis-à-vis de vous seront élevées et je me sentirai rejetée si elles ne sont pas satisfaites, ce qui renforcera hélas ma peur de l’abandon. Vous devrez alors me faire savoir que vous êtes là pour moi, que vous pouvez faire des erreurs comme tout être humain mais que je peux quand même vous faire confiance.
J’ai les compétences émotionnelles d’une enfant, ce qui me pose beaucoup de problèmes en tant qu’adulte lorsque mes comportements sont désapprouvés en société. Je n’ai pris conscience que récemment de ce manque de maturité émotionnelle. Avant cela, je considérais mes comportements comme normaux au point d’être surpris et contrarié lorsqu’ils étaient réprouvés.
Dans l’enfance, ce que je faisais n’était pas accepté. Mes opinions ne comptaient pas. Je devais me taire et rester tranquille. L’adage selon lequel « les enfants sont faits pour être vus, non pour être entendus » régnait chez ma mère, au moins avec moi. J’ai été persécutée à l’école et suffisamment intimidé pour ne pas en parler. Je ne me suis jamais sentie en sécurité pour exprimer ce que je ressentais ou ce que je souhaitais. Cela a été interprété comme de la timidité mais ce n’était qu’une façade.
Plus tard, en tant qu’adulte, j’ai vécu mes tentatives d’affirmation comme des expériences douloureuses et effrayantes. À trop craindre le rejet, je suis paradoxalement restée sur la défensive sans réussir à me défendre. En raison de mes comportements immatures, je suis souvent blâmée alors que j’ai besoin d’être conseillée, guidée, éduquée. J’ai besoin que vous soyez capables de pointer ce qui ne va pas sans détruire le peu qu’il me reste de confiance et d’estime de soi. S’il vous plait, ne m’assimilez pas à une manipulatrice, je n’ai jamais cherché à l’être. Je comprends que vous souhaitiez me faire voir les choses en face si je me comporte ainsi, mais pas si c’est pour me laisser me sentir pathétique et détruit.
J’ai besoin que vous teniez vos engagements. Si vous me dites que quelqu’un de l’équipe m’appellera, sil vous plait, faites-en sorte qu’il le fasse. Si on vous demande de me rappeler dans la journée, s’il vous plait, faites-le. Je sais que votre emploi du temps est chargé et que vous n’avez pas toujours le temps mais si vous pensez ne pas pouvoir m’appeler, pourriez vous demander à une secrétaire de me prévenir afin de ne pas me laisser trop dans l’attente ? Car lorsque la fin de journée approche et que votre appel ne vient pas, je me sens laissée à l’abandon, comme si je ne comptais pas pour vous, comme si je n’en valais pas la peine.
J’ai besoin que vous soyez honnête avec moi. Je préfère que vous me disiez les choses plutôt que de me les cacher. Si je sens que vous mentez ou que vous détournez la conversation, je m’y accrocherai. Je préfère que vous soyez franc avec moi. Je veux apprendre de mes erreurs et de mes comportements, mais de manière sécurisante. En tant que perfectionniste, je tiens à faire plaisir à tout le monde, et ne pas en avoir été capable peut me tuer. Je cherche désespérément à me faire aimer par tout le monde et lorsque je découvre que quelqu’un ne m’apprécie pas, je le prends très mal.
Parfois la détresse est tellement forte que j’envisage la solution du suicide. Je ne suis passé à l’acte qu’à trois reprises sur les nombreuses fois où j’y ai pensé mais cela ne signifie pas que je n’y passerai pas la prochaine fois. J’essaie de prendre sur moi, de surfer sur mes vagues émotionnelles, ce qui fonctionne la plupart du temps mais j’ai parfois besoin de davantage de soutien. Je n’appellerai pas forcément, notamment si vous n’êtes pas présent car l’expérience montre que les messages ne sont généralement pas transmis, du moins avant le lendemain. Si toutefois je vous appelle, c’est que je suis en détresse et que j’ai besoin d’aide, une aide vis-à-vis de laquelle je reste ambivalente. Parfois je ne veux plus assumer mes responsabilités, je demande à être enfermée tout en sachant que l’hôpital n’est pas la meilleure place pour moi. Je veux me faire aider mais pas si c’est juste pour entendre qu’il faut se changer les idées, prendre plus de médicaments et que je me sente comme une emmerdeuse au bout du fil. Parfois, ce qui m’aide le plus, c’est juste de comprendre que je souffre, et de me le faire savoir.
J’ai besoin de savoir que malgré les manifestations de mon trouble de la personnalité borderline, certaines de mes pensées peuvent être normales. Distinguer les pensées normales et excessives m’aide beaucoup à me sentir moins folle. J’ai besoin de savoir que vous faites certaines choses comme moi et que c’est normal. Ceci me permet de mieux m’accrocher à la réalité, ce qui est vital pour moi. En travaillant avec vous, je partagerai mes souffrances les plus intimes, mes blessures et j’aurai besoin de savoir que vous les entendez, que vous les acceptez. Je n’ai pas besoin de réponses condescendantes qui ne m’aideront pas ou, pire, qui me feront enrager.
J’ai constaté au cours des six dernières années que les borderlines ne sont pas les patients préférés du monde psychiatrique. Ils ont la réputation d’être demandeurs, manipulateurs, en recherche d’attention, certains balaieront d’un revers de mains tous les efforts que vous faites pour les aider. Je comprends que ça puisse être frustrant au point d’avoir envie de se cogner la tête contre les murs parfois.
[…]
J’ai la chance de vivre une relation stable. Il y a certes des hauts et des bas, mais mon mari est la seule personne qui soit resté. Il a su persévérer et parvenir à me prouver que non, tout le monde ne m’abandonne pas, que mes efforts pour le repousser étaient préventifs et visaient à abandonner pour ne pas être abandonnée, ce qui avait comme effet pervers de craindre encore davantage l’abandon.
J’ai besoin que vous compreniez que je ne comprends pas toujours mes réactions mais que mon mari me connaît mieux que n’importe qui. Je souhaite qu’il soit inclus dans ma prise en charge, que vous l’acceptiez et que vous teniez compte de ce qu’il dit sur moi. Il est avec moi beaucoup plus souvent que vous (évidemment) pour constater mes comportements et mes mouvements d’humeur. Il sait quand je ne vais pas bien et vois parfois venir les crises bien avant moi. Il est ma meilleure ressource et devrait être consulté bien plus souvent qu’il ne l’a été.
Cette lettre peut vous sembler longue et exigeante mais voici la façon dont je veux travailler avec vous. On me dit souvent que personne ne peut lire dans mes pensées et savoir ce que je pense mieux que moi. C’est la raison pour laquelle j’ai écrit cette lettre. Elle vous offre un aperçu de mes difficultés et pourrait vous permettre de mieux m’aider.
Il est très difficile et parfois infernal de vivre avec un trouble de la personnalité borderline. Les médicaments peuvent m’aider un peu mais je sais que la thérapie est ma meilleure chance de rétablissement. Je sais que la tâche sera difficile, que je devrai travailler dur mais je sais aussi que je ne pourrai pas le faire tout seul et que j’ai besoin de vous.

