Tout ce qu’il y a de bon chez lui n’est pas nouveau et tout ce qu’il y a de nouveau n’est pas bon
Cette citation, dont je peine toujours à identifier l’auteur, concerne Freud et nous incite, non sans un certain humour, à modérer notre vénération du père fondateur de la psychanalyse. Cette neutralité, qu’elle soit ou non bienveillante, reste à considérer parmi ce qu’il a proposé de « nouveau » il y a plus d’un siècle…
Une neutralité protectrice?
Initialement proposée comme une parade (inefficace) aux attitudes intrusives et séductrices de certaines patientes, cette neutralité se voit par la suite légitimée puis renforcée par quelques idées reçues jusqu’à devenir infalsifiable et incontestable. En voici quelques-unes :
Il s’agirait alors d’un procédé respectueux permettant au patient de s’exprimer librement, sans l’exposer à une quelconque forme de jugement
Le refus de se révéler ou de prendre position n’a jamais empêché quiconque de juger son prochain. Si cette neutralité n’expose pas le patient à un jugement direct, elle lui procure en revanche volontiers le sentiment d’être jugé, ce qui peut être aussi désagréable voire davantage. Pour s’exprimer librement, il est nécessaire d’être à l’aise, or être à l’aise nécessite d’en savoir un minimum sur la personne à qui l’on veut se confier, et ce quelles que soient les garanties apportées par un statut (déontologie, secret professionnel ou médical etc.) derrière lequel il est parfois tentant de se retrancher. La neutralité ne constitue absolument pas une garantie d’objectivité, d’autant plus que cette objectivité reste illusoire, mieux vaut l’accepter. Il est pourtant possible de ne pas juger, mais ce « non jugement » reste dénué d’intérêt dans sa forme passive et doit être formulé clairement au patient afin qu’il en bénéficie.
Il s’agirait d’un procédé permettant d’établir le transfert, un processus indispensable au bon déroulement d’une psychothérapie
Il existe autant de définitions du transfert que d’écoles ou d’associations de psychanalyse. La mienne est la suivante : intensification des affects, qu’ils soient positifs ou négatifs, éprouvés par le patient envers son psy. Il est évident qu’en adoptant systématiquement la neutralité, soit dans la plupart des cas ce que le patient n’est pas venu chercher, le thérapeute peut provoquer ou augmenter certaines émotions négatives autant qu’il peut finir par susciter une sorte de fascination. Faire face à un mur et/ou à un gourou serait moins problématique s’il ne s’agissait pas de souffrance et de fragilité.
Il s’agirait d’un procédé qui garantit la solidité et donc la compétence d’un psy, de la preuve que celui-ci serait parvenu à dépasser ses problèmes personnels pour ne pas être affecté par la souffrance d’un patient.
La neutralité n’a jamais empêché quiconque d’être déstabilisé. Elle n’empêche que de le montrer. Si cette impassibilité est souvent vantée comme rassurante auprès des patients, ces derniers l’interprètent volontiers comme de l’indifférence, au point d’avoir le sentiment de ne pas être entendus et/ou compris. Rester de marbre en toutes circonstances est une attitude qui peut autant révéler la solidité d’un thérapeute que masquer sa fragilité. Enfin, il n’est à ce jour pas prouvé que les meilleurs psy soient ceux qui aient rencontré puis dépassé des difficultés personnelles.
Il s’agirait de l’unique procédé qui permet de maintenir une distance adapté avec un patient
La neutralité impose une certaine distance sur un plan vertical, elle déshumanise le thérapeute et le place sur un piédestal. Cette forme de mise à distance ne protège ni le psy des intrusions, ni le patient des abus. Le meilleur moyen d’établir cette distance n’est pas de se réfugier dans ce modèle paternaliste déguisé mais d’en convenir avec le patient de manière affirmée sur un mode collaboratif.
Il s’agirait d’un procédé qui responsabilise le patient au lieu de l’infantiliser
Briser la neutralité reviendrait donc à (ré)éduquer, une démarche volontiers considérée comme superficielle donc vaine. Or il s’agit non seulement du moyen le plus efficace de se débarrasser de la plupart des symptômes invalidants mais également un préambule souvent nécessaire à un travail plus en profondeur. Intervenir activement auprès d’un patient n’est pas plus infantilisant que de l’abandonner à ses ruminations, le guider même de façon directive n’équivaut pas à le remodeler à notre image tel le grand créateur…
Une neutralité malveillante?
Une démarche non thérapeutique devient néfaste lorsqu’elle entrave certains facteurs aujourd’hui reconnus comme curatifs, à commencer par l’empathie. La neutralité n’a jamais été incompatible avec l’empathie, mais elle empêche volontiers d’en faire profiter le patient : l’empathie ne peut aider que lorsqu’elle est communiquée. La réassurance, autre facteur curatif primordial et souvent méprisé, surviendra plus volontiers face à un psy chaleureux que face au silence et à la froideur affective. La déculpabilisation, démarche souvent associée à la réassurance et aussi régulièrement méprisée, ne peut se produire que si le patient est à l’aise et ne craint pas de se livrer. Il est alors essentiel que le thérapeute puisse descendre de son piédestal paternaliste pour se montrer humain et imparfait. En se révélant, de manière prudente et parcimonieuse, il incitera le patient à relativiser ses problèmes et donc, à regagner de l’espoir. Donner de l’information fait également partie du processus thérapeutique, qu’il s’agisse d’informations concernant les problèmes ou les solutions. Un thérapeute doit être capable de fournir des explications claires sur les difficultés d’un patient et sur la manière dont il compte l’aider.
Très bien ce billet … merci !
Il faut absolument démystifier les cultes de la personnalité, dont Freud fait partie (conf: bouquin de M. Onfray ) qui posent certain(e)s en intouchables des divers Panthéon… car le sectarisme, la chapelle , n’est pas loin, et la critique devient une affaire personnelle pour les adeptes.
D’autre part, la neutralité est une vraie nuisance , tant pour les individus que pour les sociétés. C’est trop facile de se positionner » neutre » en brandissant l’étendard de l’objectivité , voire de la tolérance ! La neutralité renvoie directement à la rigidité , à l’égoïsme voire même à la lâcheté…..
Et vive l’ampathie, malheureusement considérée ( confondue ?) aujourd’hui comme de la faiblesse ou de la compassion, voire de la pitié . Il faut redonner à ce mot sa valeur et sa définition première ( qui comme beaucoup de mots aujourd’hui , a été vidé de sa substance ). Ce n’est pas toujours facile d’avoir de l’ampathie en laissant de côté , le temps d’un échange ou plus, son propre vécu , pour un instant » se mettre à la place de l’autre » . C’est vrai pour la psy, mais ça l’est également dans tous les actes ordinaires de la vie, pendant un échange, une moindre dispute ou une vraie lutte ….
Cordialement
Flo
Je suis entièrement d’accord avec vous!
Tout à fait d’accord. Mon ancien psy muet et tellement neutre que je me demandais sincèrement s’il me rattraperait si je me jetais par la fenêtre avait l’air juste froid, indifférent (sauf à ses chaussures qu’il regardait sans se lasser) et absolument pas concerné. Il aimait tellement sa neutralité qu’il ne répondait tout simplement pas quand je lui demandais s’il connaissait une association de patient. J’arrivais, je m’asseyais, pas un mot. Comme je suis bien élevée, j’attends en général qu’on me donne la parole, mais rien. Après je disais une ou deux phrases. Rien. Je me taisais, j’attendais, rien. Sauf de temps en temps « dites ». Je finissais par me mettre à pleurer, le supplier de dire quelque chose et je sortais avec l’envie de me suicider même si j’arrivais en pleine forme! Enfin, c’était paraît-il une tactique thérapeutique qui fonctionnait même si je ne m’en rendais pas compte. Voilà, tout ça pour donner un exemple de cette neutralité malveillante et négation du patient (pour dire que c’était efficace sur moi, qu’est-ce que ça pouvait être d’autre?).
Votre allusion à la défenestration nous ramène à la fameuse non assistance à personne en danger, que l’on peut clairement évoquer dans une situation comme celle que vous décrivez. Cette passivité du psy, quelle que soit sa justification, paraît même extrêmement agressive… Ce n’est pas un hasard si de nombreux patients sont rapidement dégoûtés des psys…
C’est sûr que j’ai connu quelques phénomènes à vous dégoûter des psys pour toujours! C’était vraiment très agressif pour moi cette indifférence. D’autant que de temps en temps il sortait de sa léthargie: quand je parlais de ma mère ou que je lui disais que je lisais un livre de psychanalyse (très mauvais pour moi d’ailleurs de lire des livres psys quels qu’ils soit selon lui), là il se réveillait et me posait des questions (quel titre? quel auteur?)Je me disais donc qu’il se foutait totalement du reste! Et puis, en même temps que cette indifférence, il y avait un déni des maladies mentales qui était culpabilisant. Selon lui, la psychose, la schizophrénie, ça ne voulait rien dire. Qu’il ne veuille pas mettre d’étiquettes, ok (et encore, cette expression a bien failli me rendre dingue à force de l’entendre) mais de là à me dire que je n’avais qu’à travailler pour payer des séances en plus alors que j’étais à la fac et que je sortais à peine de trois grosses crises psychotiques de neuf ou dix mois chacune, ça ne ma paraît pas très réaliste.
Le fait qu’il vous dissuade de lire des bouquins sur le sujet colle tout à fait avec le reste, notamment ce refus de « coller une étiquette ». Nous sommes bien là dans un hermétisme, un obscurantisme et une lâcheté typiques de certaines pratiques.
Ce n’est pas parce que certains posent des diagnostics à l’excès, ou qu’il existe des ouvrages peu recommandables, qu’il faut tout rejeter en bloc. La lecture de certains livres, brochures ou documents se révèle souvent au moins aussi thérapeutique que le psy lui-même ou les médicaments. Quant au diagnostic, il doit faire partie de toute démarche médicale.
Je suis tout à fait d’accord.
Merci pour cet excellent contrepoint sur la « pratique » psychanalytique pro-transférielle :
Je prévoyais de refonter largement ma topique sur le transfert, et ce billet (ainsi que la contribution de Lana) m’ont donné fort à penser…
À bientôt
Et la citation, ça ne vient pas de l’ouvrage de Bénesteau ?
Peut-être bien… En le feuilletant de bon matin, j’ai trouvé d’autres citations, notamment celle-ci :
« Entre une séance de psychanalyse et une séance de spiritisme, la différence est la suivante : d’après les normes à l’honneur dans la haute culture universitaire dominante de notre temps, les esprits et les spectres que l’on convoque dans celle-ci ne sont plus respectables » (Ernest Gellner, 1985)
En bon magopinaciophile, je préfère faire des analogie aux marabouts africains, ça donne un charme plus exotique !
Dr Igor Thirriez
Tout d’abord merci pour ce magnifique travail que vous faites.
La citation dont vous chercher l’auteur , elle est de Alfred Hoche (1908), professeur de psychiatrie à Fribourg.
« Il est certain qu’il y a du nouveau et du bon dans la doctrine freudienne de la psychanalyse. […] Malheureusement, le bon n’est pas neuf et le neuf n’est pas bon » (Hoche, 1908)
Source :
Zentralblatt für Nervenheilkunde und Psychiatrie, 31, p. 184. Cité par Borch-Jacobsen & Shamdasani (2006) Le dossier Freud. Enquête sur l’histoire de la psychanalyse. Paris : Les Empêcheurs de penser en rond, p. 98.