Il n’est pas rare d’entendre un « psy » proclamer qu’un patient ne cherche qu’à mettre son travail, ou celui d’une institution, en échec. Cette déclaration solennelle est alors reprise en cœur par l’assistance soignante puis relayée parmi ses différents acteurs. Ceux-ci finissent par se liguer contre ce mauvais patient qui, non seulement refuse d’aller mieux, mais prendrait également un malin plaisir à saboter un travail au moins respectable, au mieux sacré. L’absence d’amélioration, voire l’aggravation de l’état de ce patient ne fera donc que vérifier cette théorie.
L’inconscient a bon dos
Celui qui remontera jusqu’à la proclamation initiale et cherchera des explications n’oubliera pas de mettre en lumière cet étrange paradoxe du sabotage d’un soin dont on fait soi-même la demande auparavant. Au sein des nombreuses et plus ou moins vaseuses justifications données par le « psy », l’inconscient tiendra une place fondamentale puisqu’il peut rendre viable tout paradoxe à priori insurmontable. Tantôt la demande de soin sera consciente, authentique, et la mise en échec inconsciente, liée à des conflits psychiques aussi obscurs que profondément refoulés. Tantôt la demande de soins sera inconsciente, indirectement formulée à travers un passage à l’acte, et la mise en échec également. Si la « conscience » ne peut fournir à la fois une demande de soin et une mise en échec de celui-ci, l’inconscient semble pouvoir supporter cette contradiction. Certains « psys » l’assumeront sans faiblir tandis que d’autres iront jusqu’à proposer la juxtaposition, superposition ou coexistence de plusieurs couches d’inconscience, chacune annulant la précédente. Cet échafaudage plus ou moins stable pourra donc tout expliquer, de l’amélioration inopinée à la dégradation tragique, en passant par la disparition inexpliquée.
Ambivalence, bénéfices secondaires et jouissance
D’autres « psys », certainement moins radicaux, recyclent (mal) cette notion d’ambivalence pour décrire un patient hésitant, tiraillé entre volonté et refus d’aller mieux. Interpellés sur les motivations plus ou moins conscientes d’un refus de guérir ou de se soigner, ces « psys » invoquent invariablement les bénéfices secondaires, ces fameux « avantages » liés à la maladie qui pousseraient un patient à se conforter dans la souffrance. Il peut alors s’agit de l’assistance de proches, de soignants, de gains plus matériels, donc de processus que l’on imaginait plutôt favoriser les soins mais qui finalement les entraveraient. Les plus extrémistes de ces « psys » n’hésitent pas à envisager que le patient puisse de ce fait jouir de son symptôme, et s’offusqueront que cette notion de jouissance soit mal interprétée par des soignants qui n’y connaissent rien. Au final, le patient concerné finit légitimement par rejeter, cette fois consciemment, des soins qu’on ne lui propose plus vraiment puisqu’il est considéré comme incapable de vouloir guérir par des soignants rejetants.
Mais qui sont donc ces patients?
La plupart ont longtemps été rangés dans la catégorie désuète de la névrose d’échec et considérés au moins comme des intolérants au bonheur, au pire comme des profonds masochistes. Il n’en est rien puisque dans tous les cas, ces « mises en échec » surviennent dans le cadre de stratégies défaillantes que les patients mettent en place pour soulager une souffrance.
Il s’agit souvent de problèmes d’addiction. Un alcoolique qui rechute, y compris en milieu hospitalier, n’est pas un patient qui refuse d’aller mieux mais un patient qui souffre du manque d’alcool et qui n’est pas parvenu à la soulager autrement qu’en buvant.
Il s’agit souvent d’une dépression, une maladie qui conjugue la souffrance morale à un pessimisme envahissant, au point de faire envisager la mort comme seule et unique solution pour se soulager. De ce fait, le patient refusera volontiers des soins qu’il considère comme vains.
Il s’agit encore plus volontiers de troubles de la personnalité, notamment borderline ou état limite dont la souffrance émotionnelle est intense et dont l’un des modes de pensée les plus typique est la dichotomisation (tout ou rien, tout blanc tout noir). Souvent accusé de cliver les équipes, voire de monter les membres du personnels les uns contre les autres, ces patients ne font que céder à cette distorsion (parfois caricaturale) de la pensée qui leur fera percevoir certains soignants comme dangereux et d’autres comme des messies.
Les passages à l’acte autoagressifs, qu’il s’agisse de suicide ou d’automutilations, sont avant tout mis en œuvre pour soulager une souffrance si intense qu’elle élimine toute autre solution, bien plus que pour défier, faire chanter ou saboter.
Mais qui faut-il alors blâmer?
Certainement pas le patient, encore moins son entourage familial. L’échec est avant tout celui du « psy ». Celui-ci devrait non seulement l’assumer mais surtout s’atteler à trouver de meilleures solutions plutôt que de chercher à se déresponsabiliser à travers des théories fumeuses. Il n’est pourtant pas scandaleux d’interrompre une prise en charge inefficace. Le vrai scandale demeure de nier cette impuissance en prétendant qu’un patient refuse d’aller mieux.
Tout en lisant le début de l’article, je pensais justement vous mail pour vous demander si les addictions ne pouvaient pas rentrer dans ce cadre… 😀
C’est cette idée qui m’a toujours fait considérer – sans exagérer – la théorie de jouissance du symptôme. Je pense qu’elle est aussi fonctionnelle pour les troubles obsessionnels, non ?
Oui elle est potentiellement valable pour tous les symptômes, qu’ils soient physiques ou psychiques.
Il est même possible qu’une mère (au hasard) jouisse des symptômes de son fils et soient taxée d’hystérique sous prétexte d’avoir osé remettre en question les modalités de soins qu’on lui prodigue.
Un effort collectif sera alors effectué pour l’éloigner du patient en prétextant lui faire du bien alors qu’il s’agit juste d’éviter une pénible décrédibilisation.
Il y a aussi parfois une autre raison de ne pas vouloir guérir de son mal-être, c’est la créativité qui y est parfois associée. Se sentir mal dans sa vie, dans le monde, avoir souffert et avoir vécu des histoires pénibles, cela permet à certains artistes d’être créatifs. Enlevez leur leur mal-être, rendez-les heureux, et ils ne voudront plus vivre car ils seront privés de leur drogue. Enfin, il me semble… basé sur l’histoire de je ne sais plus quel écrivain du Nord de l’Europe qui, tant qu’il n’avait pas de succès avait de l’inspiration, qu’il a perdue lorsqu’il a eu du succès, de l’argent et une vie « normale ». Alors, s’il avait entamé une psychothérapie, il y aurait probablement eu un moment où il aurait voulu arrêter, avant de devenir « normal » ou heureux et donc ne plus avoir ce besoin aux tripes qui le poussait à écrire. Mais ça doit pas être courant. Et puis, ce n’est pas aussi grave qu’une belle et profonde dépression !
Oui effectivement, je ne pense pas que ça soit courant. Et puis ça ne concerne pas forcément les patients dont il est question dans ce billet. En général il s’agit plutôt de patients bipolaires qui se sentent inspirés lorsqu’exaltés, et dont la fameuse nostalgie de la phase maniaque les poussent à rechercher à nouveau l’exaltation, quite à interrompre traitement et suivi à ces fins.
Par ailleurs, on ne sait pas vraiment si la créativité est favorisée par le mal être. J’ai parfois peur qu’il ne s’agisse que d’un mythe. Je n’ai jamais entendu parler de quelqu’un qui, privé de son mal être, ne voudrait plus vivre. Votre écrivain du nord n’était visiblement pas heureux de sa vie « normale » et préférait certainement sa vie moins riche car plus « pimentée ». Le mal être n’est finalement pas toujours là où on l’imaginerait.
Merci pour votre intervention.
Merci pour cet article! Je suis restée deux ans avec un psy qui n’arrêtait de pas de dire que j’étais très résistante, alors que le problème était qu’il était muet et froid. Il aurait dû mette fin à cette thérapie qui ne me faisait que du mal, mais non puisque le seul problème était mes résistances, on allait finir par passer au-dessus! Il ne s’est donc jamais remis en question.
Quant à l’attachement aux symptômes, je l’ai un peu vécu, mais beaucoup moins que le désir d’aller mieux, tout simplement parce que quand on est malades depuis des années, on se demande ce qu’on va faire et surtout ce que va être sans la maladie.
Pour l’automutilation, je suis tout à fait d’accord. J’ai fait ça pendant 9 ou 10 ans, donc je connais un peu le sujet, et je n’arrête pas de dire ce que vous dites. Pour moi, c’est un moyen de défense, d »ailleurs je cachais mes blessures, et si j’en parlais à ma psy, c’était pour revenir sur la souffrance qui acait mené à ça.
Oui, le modèle « addictif » des automutilation me parait tout à fait convaincant.