Poser un diagnostic, qu’il s’agisse d’un épisode aigu ou d’une maladie chronique, reste une tâche délicate et soumise à un écart de conduite notable entre psychiatres. D’autant plus délicate demeure l’annonce de ce diagnostic au patient et à sa famille, redoutée par certains d’entre nous au point de voir adopter des positions parfois extrêmes, aussi bien dans le refus et le manque de communication que dans la brutalité d’un diagnostic péremptoire. Il n’existe pas à mon sens de raison valable d’exempter un psychiatre d’un devoir qui revient à tout médecin, ce même si certains prétextes régulièrement avancés méritent d’être pris en considération : un diagnostic, psychiatrique ou non, peut être mal accueilli, d’autant plus en période de crise ou de grande fragilité psychique, et certaines maladies psychiatriques, comme d’autres, peuvent évoluer avec le temps.
Une étude de cohorte publiée récemment concerne justement la stabilité des diagnostics psychiatriques sur une période de dix ans. 470 patients admis pour un premier épisode psychotique ont été réévalués sur un plan diagnostic six mois, deux ans et enfin dix ans plus tard.
La répartition initiale est la suivante :
- Schizophrénie : 29,6 %
- Trouble bipolaire : 21,1 %
- Dépression avec caractéristiques psychotiques : 17,0 %
- Trouble psychotique induit par une substance : 2,4 %
- Autres troubles psychotiques : 27,9 %
Et dix ans plus tard :
- Schizophrénie : 49,8 %
- Trouble bipolaire : 24,0 %
- Dépression avec caractéristiques psychotiques : 11,1 %
- Trouble psychotique induit par une substance : 7,0 %
- Autres troubles psychotiques : 8,1 %
Au final, le diagnostic change au moins une fois pour un peu plus de la moitié des patients. La majorité des patients initialement diagnostiqués schizophrènes ou bipolaires le restent (89,2 % et 77,8 %). Par ailleurs, 32,0 % des patients qui ne sont pas diagnostiqués schizophrènes le sont dix ans plus tard, les éléments les plus déterminants restant les troubles cognitifs, les symptômes négatifs et délirants. 10,2 % des patients non diagnostiqués bipolaires le sont dix ans plus tard, les éléments déterminants étant alors le meilleur fonctionnement cognitif, la moindre symptomatologie négative et dépressive.
Outre la piètre fiabilité des diagnostics posés lors d’un premier épisode psychotique, ces données nous montrent qu’il est essentiel de les réévaluer régulièrement. Lorsqu’il s’agit de schizophrénie ou de trouble bipolaire, il semble beaucoup plus facile de coller une étiquette que de la décoller, même si le fameux marketing bipolaire régulièrement dénoncé ne parait pas tant influencer les psychiatres dans leurs diverses opérations diagnostiques.
Evelyn J. Bromet & al. Diagnostic shifts during the decade following first admission for psychosis. Am J. Psychiatry 2011; 168-11: 1186-1194.
… vraiment, ça fait peur !!!!!!
ma fille , diagnostiquée bipolaire l’année dernière , serait aujourd’hui plutôt hyper anxieuse et hyper émotive , se laissant embarquer par ses émotions qui l’ont entrainée à 3 reprises dans la dépression , puis dans des épisodes de speed qui seraient dûs au prolongement du prozac…. Donc, elle laisse de côté l’effayante bipolarité , et elle se soigne avec régulateur (anti épileptique ) + psychothérapie qui doit l’aider à se connaître et à anticiper.. OK … mais qu’est ce qui lui garantie que dans quelques années on ne remettra pas la bipolarité sur le tapis ??????
Mais, ce n’est pas le diagnostic qui fait la maladie, c’est le contraire. C’est la maladie qui occasionne un diagnostic.
Qu’un malade soit diagnostiqué ou non, ça ne change strictement rien à l’existence et la nature de sa maladie. Il est malade, quoi qu’il arrive.
Le diagnostic, ça permet juste de soigner de manière plus adéquate, ce qui est plutôt une bonne nouvelle en soi, non?
Et il ne faut pas avoir peur de la bipolarité, qui est une maladie qui en vaut une autre.
Je reviens ce soir d’une réunion pour bipolaires et leurs proches, et c’est chaque fois une expérience si émouvante : ce qui est dit là, est si vrai! On y voit les malades assumer leur affection avec lucidité et souvent, aussi pas mal d’humour; et pareil pour les proches, ce qui garantit de bons moments d’humanité.
Les échanges sont vraiment de qualité dans ces groupes de paroles. Franchement, ça détend.
Faut pas avoir peur (j’aurais plus peur du Prozac, en revanche..)
Bon article… Dans ce sens, j’ai été diagnostiqué comme étant bipolaire il y a 6 ans. Récemment les psychiatres ont changés le diagnostic par celui du trouble de la personnalité limite avec trouble dissociatif. il est courant dans le milieu de confondre le trouble bipolaire et celui de la personnalité limite, les symptômes sont quasi semblables. Là où le bas blesse par contre, c’est que la cause est de source différente (donc le traitement aussi) et qu’il faut réapprendre à vivre en fonction d’une autre maladie. Il a été très difficile dans mon cas de déprogrammer le ‘bipolaire’ que l’on avait fait de moi (qui était en réalité un mauvais diagnostic) car je vivais en tant que patient de cette maladie.
Aujourd’hui je me considère comme étant un humain ayant vécu des souffrances de diverses sources plutôt qu’une ‘maladie’ en soi. Je suis d’avis avec Waltercolor, en bout de ligne: Qu’un malade soit diagnostiqué ou non, ça ne change strictement rien à l’existence et la nature de sa maladie.
Pour ce qui est de la cause, je ne pense pas qu’on puisse dire qu’elle est « de source différente ».
Qu’il s’agisse de trouble bipolaire ou d’état limite, une « fragilité » génétique se combine à des facteurs environnementaux pour provoquer l’apparition des symptômes de la maladie.
Il existe par ailleurs des similitudes entre les deux troubles : fluctuations thymiques et émotionnelles, instabilité etc.
Poser un diagnostic est important pour pouvoir mettre en place des mesures thérapeutiques adéquates. Informer un patient sur sa maladie peut lui permettre de mieux l’appréhender, parfois même de mieux la contrôler. C’est une étape très importante de la prise en charge.
Ce n’est pas le diagnostic qui fait la maladie, évidemment…mais pas de diagnostic ? Il y en a forcément un… Sinon on fait quoi ? ceci dit il vaut mieux qu’il soit révisable et plutôt 3foisqu’une.
C’est vraiment prendre les patients pour des imbéciles que croire qu’ils sont incapables de comprendre qu’un diagnostic peut être provisoire.