Paye ton stabilisateur d’humeur

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Une étude finlandaise a tourné quelques jours sur les réseaux sociaux mais il me semble que nous sommes tous passés un peu vite à autre chose. Cette étude est pourtant riche d’enseignements, qui vont à contrecourant de nos idées et pratiques courantes…


L’étude visait donc à déterminer quelles doses d’antipsychotiques et de stabilisateurs de l’humeur sont associées à une diminution du risque de rechute sans augmenter de manière significative le risque d’hospitalisation non psychiatrique chez les personnes atteintes de trouble bipolaire.

Les chercheurs ont utilisé des registres nationaux de santé finlandais pour identifier des personnes âgées de 15 à 65 ans atteintes de trouble bipolaire entre 1996 et 2018. Les antipsychotiques étudiés comprenaient l’olanzapine, la rispéridone, la quétiapine et l’aripiprazole, tandis que les stabilisateurs de l’humeur comprenaient le lithium, l’acide valproïque, la lamotrigine et la carbamazépine. L’utilisation de médicaments a été divisée en trois catégories de doses variables dans le temps : faible, intermédiaire et élevée. Les critères d’évaluation étudiés étaient le risque d’hospitalisation psychiatrique (rechute) et le risque d’hospitalisation non psychiatrique (innocuité du traitement).

Alors oui, comme souvent, il y a des limites. La cohorte est grande (plus de 60 000 personnes) et les registres sont de haute qualité dans ce pays mais ils ne contiennent pas certaines informations cliniques importantes et notamment les mesures de concentrations des médicaments étudiés. De même les traitements non médicamenteux ne sont pas pris en compte (psychothérapies par ex.). Le critère principal d’évaluation, ce sont les hospitalisations, sans distinction du type d’épisode (maniaque, dépressif etc.) et sans mesure de la sévérité des symptômes ou de la qualité de vie. Les hospitalisations non psychiatriques peuvent également être influencées par d’autres facteurs. Cependant, la petite astuce du design intra-individuel semble compenser certains biais…


Voici donc les résultats pour les antipsychotiques :

ARIPIPRAZOLE

Il ressort comme le plus efficace en termes de prévention des rechutes (hospitalisations psychiatriques) parmi les antipsychotiques. Les meilleurs résultats sont obtenus avec les doses intermédiaires (entre 13,5 et 16,5 mg/j), mais les doses « faibles » (< 13,5 mg/j) sont également efficaces. Aucune augmentation du risque d’hospitalisation pour motif non psychiatrique est retrouvée avec des doses inférieures à 16,5 mg/j.

OLANZAPINE

L’efficacité sur la réduction des hospitalisation psychiatriques apparait dès les doses « faibles » (< 9 mg/j) et intermédiaires (entre 9 et 11 mg/j), mais l’augmentation du risque d’hospitalisation pour motif non psychiatrique apparait également dès les « faibles » doses.

RISPÉRIDONE

Seule une dose « faible » (< 4,5 mg/j) est associée à une diminution des hospitalisations psychiatriques et le risque d’hospitalisation pour motif non psychiatrique augmente quelle que soit la dose.

QUÉTIAPINE

Quelle que soit la dose, cette molécule n’est associée à aucune diminution du risque d’hospitalisation pour motif psychiatrique, et, quelle que soit la dose, le risque d’hospitalisation pour motif non psychiatrique augmente.


Et les résultats pour les autres stabilisateurs d’humeur :

LITHIUM

Il est le plus efficace parmi les médicaments étudiés pour réduire les réhospitalisations psychiatriques. Cette efficacité est retrouvée à des doses « faibles » (< 810 mg/j), intermédiaires (entre 810 et 990 mg/j) ou élevées (> 990 mg/j). Il est le seul à ne pas être associé à une augmentation des hospitalisation pour motif non psychiatrique, les doses « faibles » et intermédiaires étant même associées à une diminution de ce risque.

CARBAMAZÉPINE

Le risque d’hospitalisation psychiatrique diminue aux doses « faibles » (< 360 mg/j) et intermédiaires (entre 360 et 440 mg/j) sans augmenter le risque d’hospitalisation non psychiatrique (à ces mêmes doses).

LAMOTRIGINE

Le risque d’hospitalisation psychiatrique diminue avec les doses « faibles » (< 180 mg/j) et intermédiaires (entre 180 et 220 mg/j) mais le risque d’hospitalisation pour motif non psychiatrique augmente quelle que soit la dose.

VALPROATE

Le risque d’hospitalisation psychiatrique diminue avec les doses « faibles » (< 900 mg/j) et intermédiaires (entre 900 et 1100 mg/j) mais le risque d’hospitalisation pour motif non psychiatrique augmente quelle que soit la dose.

Pour conclure et en se basant sur ces résultats dans le trouble bipolaire, le meilleur rapport efficacité/innocuité sur la base des réhospitalisations est obtenu avec le lithium et l’aripiprazole. Les résultats concernant la quétiapine sont franchement inquiétants.


MES POINTS DE VUE

Aucune étude n’a valeur de parole divine, la mienne non plus, mais il est tout de même irritant de constater que le LITHIUM soit encore considéré comme l’un des médicaments les plus dangereux utilisés en psychiatrie alors qu’il est au contraire l’un des moins dangereux, notamment comparé aux antipsychotiques. Le LITHIUM n’est pas le tueur de reins et de fœtus que les vendeurs d’antipsychotiques nous agitent sous le nez depuis plus d’un demi-siècle. Il y a des règles à respecter en termes de lithiémie et de surveillance certes, mais qui sont loin d’être inaccessibles aux humbles prescripteurs que nous sommes.

Concernant l’ARIPIPRAZOLE, nous sommes encore trop à le considérer comme un psychotrope un peu « light » alors qu’il n’est ni un placebo, ni totalement dénué d’inconvénients. Lorsqu’on n’est pas contrarié par de l’akathisie ou d’autres symptômes extra-pyramidaux, ou encore par ses effets parfois perturbateurs sur le sommeil, c’est franchement une bonne affaire en comparaison des autres antipsychotiques.

La CARBAMAZÉPINE est également très redoutée par les prescripteurs en raison de son potentiel d’interactions médicamenteuses, de réactions allergiques ou neurologiques. J’ai d’ailleurs fini par quasiment l’éliminer de mes prescriptions au profit de la LAMOTRIGINE et du VALPROATE mais je pense aujourd’hui que c’est une erreur.

Enfin, la QUÉTIAPINE était déjà très moyennement recommandable dans la schizophrénie, et devrait selon moi rejoindre officiellement la catégorie des substances antidépressives et sédatives au côté des MIRTAZAPINE, MIANSÉRINE et autres AMITRIPTYLINE (je ne sais jamais où caser le Y) tant ces résultats sont troublants. 

L’étude en question est accessible ici : https://doi.org/10.1111/acps.13762

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