« The blues are the roots and the other musics are the fruits. It’s better keeping the roots alive, because it means better fruits from now on. The blues are the roots of all American music. As long as American music survives, so will the blues. » (Willie Dixon)
Le blues résulte d’une fusion unique au monde entre les musiques européennes et africaines sur le sol américain. Malgré la proximité géographique inédite des deux cultures, celles-ci coexistent indépendamment durant deux siècles. L’instinct racial pousse les européens, notamment les anglo-saxons, à tenir à distance le folklore africain dont la musique est assimilée au bruit des animaux. Cette rencontre entre les polyrythmies africaines et les polyphonies européennes au cours du dix-neuvième siècle constitue pourtant la plus grande source d’innovation du monde occidental, à l’origine de la plupart des musiques populaires du siècle suivant, notamment du rock. La conversion des esclaves, pour la plupart originaires d’Afrique de l’ouest, au christianisme donne naissance aux spirituals qui constituent le premier spécimen musical issu de ce brassage. Si l’église, les cérémonies et les paroles demeurent, les harmonies vocales européennes délicates et sophistiquées laissent la place à des chants plus balancés et syncopés, le canon disparait au profit de l’appel/réponse du prêcheur noir. Parallèlement à ces chants religieux, les vocalises des esclaves résonnent également au travail (hollers) et dans des contextes plus festifs avec les mêmes caractéristiques répétitives, exubérantes, plaintives ou exaltées évoquant une sorte de transe hypnotique. Certains éléments tels que les syncopes, la tendance à l’improvisation et les acrobaties vocales ne font pas partie des standards d’une musique blanche dont les chanteurs tendent plutôt vers la virtuosité de leurs instrumentistes.
L’abolition de l’esclavage dans le sud des États-Unis permet au chanteur noir de s’individualiser en tant qu’artiste et de relayer la frustration de ses frères face à la persistance de la discrimination et des conditions de vie difficiles. Les thèmes abordés dépassent désormais la religion et les plantations de coton pour aborder les aléas de l’itinérance, à savoir la solitude, le train, le sexe, l’alcool ou encore la prison. Le chanteur noir solitaire délaisse le banjo africain et adopte la guitare et l’harmonica des blancs qu’il tend à faire sonner de la façon la plus humaine possible pour offrir du répondant à son chant. Le blues nait alors tel un dialogue entre le chanteur et son instrument adapté au format narratif des ballades britanniques mais dans un style plus abrupt, plaintif et tragicomique. La rencontre des systèmes pentatonique africain et diatonique européen aboutit à l’apparition des notes bleues, tierces et septième infléchies d’un demi-ton. Dans chaque région se développe alors un style plus ou moins spécifique de blues rural. Celui qui sévit sur le delta du Mississippi, particulièrement exubérant, répétitif et syncopé, basé sur le riff et sur l’utilisation de la technique du slide, est volontiers considéré comme le plus proche des racines africaines. La variété texane se révèle plus légère et langoureuse, l’influence hispanique suscitant davantage de préoccupations mélodiques tandis dans la région plus prospère du Piedmont se développe un style plus complexe, influencé par le ragtime et joué en finger picking. Charley Patton, Blind Lemon Jefferson et Blind Blake s’imposent respectivement comme les grands pionniers du blues rural de chaque région.
Les premières vedettes du blues sont pourtant des femmes qui débutent au sein de troupes itinérantes (minstrel et medecine shows) avant de migrer vers New York pour se produire dans les théâtres vaudeville et interpréter les premiers standards écrits par des compositeurs noirs. Ce nouveau genre musical axé sur la souffrance plutôt que la joie est toutefois adapté au public blanc, les chanteuses Ma Rainey, Ida Cox ou encore Bessie Smith évoluant sur douze mesures, soutenues par un orchestre, ceci ne laissant que rarement la place aux écarts et improvisations. Ce blues très empreint de jazz évolue alors progressivement vers une musique plus dansante et attrayante. Le tempo augmente, les grands orchestres de swing se muent en des formations plus compactes et mettent l’accent sur des contrepoints plus directs et accrocheurs. Le jump blues newyorkais incarné par Louis Jordan se caractérise alors par la persistance du message originel si ce n’est que la souffrance du peuple noir est désormais chantée avec davantage de détachement, voire d’ironie. La migration des bluesmen texans vers la Californie est à l’origine d’une fusion plus délicate avec le jazz qui accorde une importance croissante aux performances des guitaristes solistes. T-Bone Walker, pionnier en matière d’amplification de l’instrument, et Johnny Otis incorporent ainsi de doux phrasés issus du jazz au sein d’un jump blues particulièrement sophistiqué. Parallèlement, la migration noire du delta vers Chicago donne naissance à la version la plus turbulente du blues urbain. La férocité du jeu très archaïque des instrumentistes est décuplée par l’amplification de la guitare électrique, nécessaire afin de toucher le plus large public des clubs. Des prestations orageuses de Muddy Waters aux élucubrations primitives de Johnny Lee Hooker, en passant par le roi du slide Elmore James ou par les shouters Howlin’ Wolf et Big Joe Turner, ce terreau d’artistes demeure le plus fertile des États-Unis aux environs de la seconde guerre mondiale.
Ces formes régionales et très diverses de rhythm & blues permettent alors l’émergence d’artistes tels que Ike Turner, B.B. King, Fats Domino, Bobby Blue Bland ou encore Ray Charles dont certains donneront naissance aux premières formes de rock ‘n’ roll et de soul music.
|
|
|
|
Texas Alexander, né Alger Alexander (1900-1954)
L’approche de ce grand pionnier texan reste très primitive et axé sur l’appel/réponse africain. Son chant imposant, incantatoire, et tourmenté évoque immanquablement les chants de travail des esclaves. Ne jouant d’aucun instrument, Alger Alexander s’entoure de musiciens variés et talentueux tels que Lonnie Johnson et finira sa carrière aux cotés de son cousin Lightnin’ Hopkins. Il enregistre notamment la première version de « The House of the Rising Sun ».
Blind Boy Fuller, né Fulton Allen (1907-1941)
Fréquemment considéré tel le Robert Johnson du Piedmont en raison de sa polyvalence, de sa carrière courte mais mémorable ainsi que des légendes qui courent sur sa cécité et son décès prématuré, Fulton Allen demeure l’un des bluesmen les plus populaires et influents. Son jeu au doigt hérité du ragtime et influencé par Blind Blake et le révérend Gary Davis propulse un groove vigoureux bien amorti par un chant grave et moelleux.
Pink Anderson, né Pinkney Anderson (1900-1974)
Au sein des grandes figures du Piedmont, Pinkney Anderson demeure un guitariste singulier dont l’alternance fluide de jeu au doigt et de grattages syncopés s’avère à l’époque particulièrement novatrice. Cette technique est mise au service d’un blues rural plutôt nonchalant ponctué de paroxysmes plus fiévreux, son chant d’allure paisible se révélant particulièrement expressif et sophistiqué. Ce conteur aux fines inflexions vocales ne sera hélas enregistré qu’à partir des années cinquante.
Kokomo Arnold, né James Arnold (1901-1968)
Reconverti dans le blues après avoir été trafiquant d’alcool pendant la prohibition, James Arnold s’impose rapidement comme l’un des plus grands glisseurs de manche d’avant-guerre. Très influent sur de nombreux guitaristes, notamment sur Robert Johnson qui réadaptera certaines de ses chansons, Arnold brille également par ses réponses vocales aux slides souvent très accrocheuses. Peu enthousiasmé par sa carrière d’artiste, il range sa guitare en 1938 pour aller travailler à l’usine et ne la ressortira jamais vraiment.
Ed Bell (1905-1960)
Délaissant progressivement le travail dans les champs pour celui d’artiste itinérant, Edward Bell dit le « Barefoot Bill From Alabama » arpente les Etats-Unis pendant quelques années avant d’en revenir à une vie plus stable et religieuse. Si son style évolue rapidement vers un blues rural assez quelconque, ses premiers enregistrements de 1927 demeurent parmi les plus envoutants de l’époque. Ses incantations soutenues par des mélodies primitives, entêtantes, délicatement jouées au doigt sur sa guitare restent sans équivalent.
Blind Blake, né Arthur Blake (1895-1937)
En adaptant le ragtime à la guitare, Arthur Blake devient le grand pionnier du finger picking, une discipline ultérieurement adoptée par la plupart des bluesmen du Piedmont et dans laquelle il reste inégalé. Ses nombreux standards dévoilent un jeu au doigt souvent très complexe qui contraste avec la légèreté des mélodies et sur lequel se greffe un chant aussi tendre qu’insouciant. Malgré sa grande popularité, l’histoire de cet artiste amateur d’alcool fort demeure obscure.
Junior Wells, né Amos Wells Blakemore Jr. (1934-1998)
Formé dès son plus jeune âge auprès de Little Junior Parker, Amos Blackmore développe un style sauvage et rebelle qui le hissera au sein des plus grands harmonicistes du blues de Chicago. Il remplace Little Walter dans le groupe de Muddy Waters puis se lance sur le devant de la scène avant de finir par délaisser quelque peu son harmonica au profit d’un chant tout aussi percutant. Son illustre collaboration avec Buddy Guy dans les années soixante offre quelques pièces d’exception.
Scrapper Blackwell, né Francis Hillman Blackwell (1903-1962)
Ce métis d’afro-américain et d’indien Cherokee développe un jeu de guitare mémorable dont les phrasés vif, limpides et vigoureux annoncent déjà le futur blues électrique de Chicago. Sa collaboration aussi durable que brillante avec le pianiste Leroy Carr permet à ce dernier d’accéder au rang de vedette dans les années trente. Interrompue par son décès en 1935, la carrière de Francis Blackwell est relancée quinze ans plus tard par les reviviscences folk blues.
Big Bill Broonzy, né Lee Conley Bradley (1893-1958)
Ce bluesman natif du Mississippi (Lee Conley Broonzy) migre vers le nord après la première guerre mondiale pour devenir le grand pionnier du blues de Chicago et l’un des artistes les plus influents, polyvalents et prolifiques du siècle avec plus de 300 compositions à son actif. Aussi brillant dans son style rural robuste et dépouillé que dans un genre plus urbain, orchestré et imprégné de jazz, il ouvre la voix aux œuvres de Muddy Waters et Willie Dixon et demeure l’un des plus grands ambassadeurs du blues.
Elmore James, né Elmore Brooks (1918-1963)
Premier disciple de Robert Johnson, Elmore James s’épanouit pleinement sur la scène blues de Chicago pour devenir le maitre incontesté du slide. A coté des véritables délices que constituent chacune de ses glissades, son chant virulent, haut perché et déchirant contribue également à le hisser parmi les artistes les plus poignants du siècle. Hélas, son décès prématuré le prive du succès dont bénéficient ses rivaux dans les années soixante, notamment Muddy Waters et Howlin’ Wolf.
Bobby « Blue » Bland, né Robert Calvin Brooks (1930-2013)
Du fait d’une carrière laborieuse, contrariée par l’armée, des problèmes financiers puis l’alcool, Robert Calvin Bland ne jouit pas d’une réputation à la hauteur de son talent. Il demeure pourtant l’un des pionniers de la musique soul dans l’ombre des Ray Charles et autres Sam Cooke. Sa musique est effectivement très imprégnée de gospel, mais reste tout aussi ancrée dans le blues électrifié et rythmé du Texas. Son chant tourmenté, frénétique et sensuel demeure son plus bel atout.
Washboard Sam, né Robert Clifford Brown (1910-1966)
Manipulateur hors pair de la planche à laver, Washboard Sam était également un très bon compositeur et un chanteur robuste. Il commence à jouer dans les rues de Memphis dans les années vingt aux cotés de Sleepy John Estes avant de migrer vers Chicago pour accompagner son demi-frère Big Bill Broonzy ainsi que d’autres, puis il se lance enfin à son compte à partir de 1935. Il enregistrera des centaines de chansons avant que sa popularité décline avec l’électrification.
Howlin’ Wolf, né Chester Arthur Burnett (1910-1976)
Originaire du Mississippi, cette brute épaisse et paranoïaque (Chester Arthur Burnett) officie en tant que disc-jockey à Memphis avant d’être repéré par Ike Turner et de devenir le grand rival de Muddy Waters au sein de la scène blues de Chicago. Son chant guttural, bouillonnant, éruptif, bien plus subtil et contrasté que sa carrure, captive instantanément. Ses prestations les plus déchirantes, notamment sur certaines compositions de Willie Dixon, demeurent d’indémodables classiques du genre.
Little Milton, né James Milton Campbell Jr. (1934-2005)
Repéré par Ike Turner et embauché par Sam Phillips en 1953, James Milton Campbell ne connait réellement le succès que dans les années soixante, durant lesquelles il s’impose parmi les plus grands vendeurs de la musique noire américaine. Sa soul matinée de blues, emphatique et langoureuse, lui vaudra d’être logiquement comparé à Bobby « Blue » Bland mais Milton Campbell s’en distingue par ses talents de guitariste, de compositeur ainsi que par une distance accrue prise avec le gospel.
Arthur « Big Boy » Crudup, né Arthur William Crudup (1905-1974)
Crudup est souvent associé voire réduit à son « That’s All Right » qui lancera la carrière d’Elvis Presley dix ans plus tard et pour lequel il ne touchera rien. Son jeu de guitare reste assez rudimentaire mais son chant sensuel et haut perché demeure l’un des plus singuliers et séduisants de l’époque. Sa carrière, faite notamment d’illustres collaborations et de nombreux vagabondages entre Chicago et la région du Mississippi ne lui permettra jamais de sortir de la misère.
Rev. Gary Davis, né Gary D. Davis (1896-1972)
Tiraillé entre blues et spirituals durant sa longue carrière, le révérend demeure sans conteste l’un des plus grands guitaristes du genre, virtuose du slide aussi bien que du finger picking. Après s’être imposé parmi les grands pionniers du Piedmont dans les années vingt, il met à contribution son chant frénétique et retourne prêcher dans la rue pendant près de vingt ans. Redécouvert grâce aux reviviscences blues durant les années soixante, il s’écarte à nouveau du gospel et influencera de nombreux guitaristes rock et folk.
Walter Davis (1911-1963)
Très influencé par Leroy Carr, le jeune Walter Davis commence à chanter aux cotés du pianiste Roosevelt Sykes avant de se mettre lui-même au clavier dans un style toutefois très différent de ce dernier. Son compagnon de scène, le guitariste Henry Townsend disait qu’il jouait les chansons les plus tristes qu’il n’ait jamais entendues. Peu enclin au grand spectacle, Davis était un homme discret, timide mais dont le chant souvent qualifié de funéraire était d’une beauté absolue.
Rosa Henderson, née Rosa Deschamps (1896-1968)
Rosa Deschamps commence à chanter dans la troupe itinérante de son oncle au sein de laquelle elle rencontre son mari. Sa carrière prend réellement son envol dans les années vingt à New-York où sa voix douce et chaleureuse résonne au coeur de comédies musicales, notamment à Broadway. Elle enregistre également près d’une centaine de chansons au cours de la même décennie, accompagnée de nombreuses formations, notamment celles de Fletcher Henderson avant de perdre progressivement en popularité.
Willie Dixon, né William James Dixon (1915-1992)
Contrebassiste, chanteur, arrangeur, producteur, Willie Dixon demeure également le premier compositeur de l’histoire du blues à avoir réussi, non sans mal, à faire valoir ses droits. S’il n’a pas son pareil pour découvrir et lancer des artistes tels que Muddy Waters ou Howlin’ Wolf, il se révèle hélas moins resplendissant en tant qu’artiste solo, et notamment en tant que chanteur. Son héritage imprègne cependant profondément le blues-rock des années soixante.
Memphis Minnie, née Lizzie Douglas (1897-1973)
Lizzie Douglas émerge à une époque où les seules stars féminines du blues rayonnent sur le circuit du vaudeville. Elle parvient à s’imposer avec son chant et sa guitare sur une scène dominée sans partage par les hommes pour devenir non seulement une blueswoman charismatique et prolifique, mais également l’une des premières guitar-heroin. Elle aurait par ailleurs mis une belle raclée à Tampa Red et Big Bill Broonzy lors d’un concours de guitare dans les années 30 et remporté une bonne bouteille de whisky.
Sleepy John Estes, né John Adams Estes (1899-1977)
S’il ne s’illustre guère par ses talents de guitariste, John Estes demeure probablement l’un des vocalistes les plus expressifs du blues rural. Son chant délicat et plaintif semble mimer toutes les nuances de la souffrance émotionnelle, de la lassitude au désespoir le plus profond, ce qui lui vaudra d’être considéré comme le plus grand pleurnicheur du genre. Ses lamentations seront ainsi enregistrées durant six décennies : un record de longévité.
Sonny Boy Williamson II, né Alex Ford (1899-1965)
S’il s’inspire à l’évidence de l’artiste dont il usurpe le nom, Sonny Boy Williamson II alias Rice Miller ne tarde pas à développer un style propre et singulier. Harmoniciste éruptif, il se distingue par de courts et percutants jaillissements solistes au sein de prestations directes et mordantes au rythme appuyé. Il débute sa carrière dans le Mississippi en compagnie de Robert Johnson et la terminera de l’autre côté de l’atlantique aux cotés des Yardbirds et des Animals.
Bill Gaither, né William Arthur Gaither (1910-1970)
Ce guitariste à la voix chaleureuse, dont les talents de parolier restent indéniables, était très proche du pianiste Leroy Carr. Après le décès de ce dernier en 1935, Bill Gaither sera régulièrement surnommé « Leroy’s Buddy« , ce qui ne l’empêchera pas de se trouver un nouveau compagnon pianiste en la personne de George « Honey » Hill. Il enregistrera une centaine de chansons au cours des années trente et reste encore aujourd’hui aussi sous étudié que sous-estimé.
Jazz Gillum, né William McKinley Gillum (1904-1966)
Gillum commence à jouer de l’harmonica à l’âge de six ans et s’enfuit de chez lui quelques années plus tard. Il commence à jouer en public au coin des rues et dans des petites fêtes dans le Mississippi pour quelques pièces avant de partir pour Chicago en 1923. Il y rencontre Big Bill Broonzy avec lequel il se produira en duo et verra sa popularité augmenter lentement mais surement. Ce n’est qu’en 1934 qu’il bénéficiera enfin d’enregistrements en son nom propre. Il demeure l’un des harmonicistes les plus populaires de l’avant-guerre.
Buddy Guy, né George Guy (1936)
Après un début de carrière laborieux et frustrant durant lequel il est sous exploité et freiné dans ses exubérances, George Guy s’impose progressivement comme l’un des plus grands ambassadeurs du blues de Chicago. Ses éruptions solistes particulièrement histrioniques demeurent parmi les plus appréciées des guitaristes de rock, notamment de Clapton et Hendrix, tandis que ses effusions vocales prennent une tournure assez similaire, tranchante et sensuelle.
Lightnin’ Slim, né Otis Verries Hicks (1913-1974)
Deuxième grand représentant du swamp blues de Louisianne avec son beau-frère Slim Harpo, Otis Hicks déroule un boogie rustique, relâché appuyé et minimaliste qui baigne dans un écho à la croisée des musiques noires et blanches américaines. Son timbre granuleux apporte à ses vocalises quelque peu désenchantées un charme non négligeable et permet de le singulariser au sein de la vague du blues rythmé accommodant, ceci au point de le hisser à des niveaux de popularité connus par les plus grands bluesmen des années cinquante.
Barbecue Bob, né Robert Hicks (1902-1931)
Géographiquement affilié à ses compères du Piedmont, Robert Hicks ne tarde pas à être repéré dans le restaurant où il travaille et se produit régulièrement. Il connait un succès immédiat grâce à un chant élégant, polyvalent et à un jeu de guitare qui l’est tout autant. Son style très percussif, aussi bien dans l’alternance piquage/grattage que dans ses échappées glissantes et volontiers renforcé par les douze cordes, demeure l’un des plus attrayants de l’époque. Emporté par une pneumonie, il ne passera pas la trentaine.
John Lee Hooker (1917-2001)
Originaire du Mississippi, ne tarde pas à briller sur la scène de Detroit pour devenir l’un des bluesmen les plus populaires, influents et prolifiques du vingtième siècle. Son style très primitif se révèle particulièrement accrocheur et mêle de chaudes ruminations incantatoires à un inépuisable boogie minimaliste très amplifié et rythmé avec le pied. Grand bénéficiaire des reviviscences du blues boom britannique des années soixante, il marque profondément l’histoire du rock, notamment à travers les Yardbirds et les Animals.
Lightnin’ Hopkins, né Sam John Hopkins (1912-1982)
Cet illustre bluesman texan (Sam Hopkins) disciple de Blind Lemon Jefferson débute avec le chanteur Texas Alexander mais ne connait le succès qu’après la seconde guerre mondiale. Si sa guitare s’électrise à travers sa l’urbanisation du blues et sa migration vers Los Angeles, sa musique conserve un caractère rustique et minimaliste. Spécialiste du double sens, ce véritable troubadour n’hésite jamais à improviser des paroles sur ses riffs boogie et à mettre ainsi en valeur son délicieux chant vif et éraillé.
Son House, né Edward James House Jr. (1902-1988)
Parmi les grands pionniers du delta blues, James House, Jr. demeure un artiste bien plus sombre et torturé que son jovial compagnon Charley Patton. Davantage porté sur l’alcool que sur les plantations, il délaisse l’église pour la prison avant de s’affirmer en tant que bluesman avec un jeu de guitare slide très agressif et un chant particulièrement extatique. Jusqu’à sa mort, il ponctue régulièrement son blues impétueux de spirituals et constitue à ce titre l’un des grands conciliateurs divinodiaboliques.
Mississippi John Hurt, né John Smith Hurt (1893-1966)
Ce troubadour folk paisible et bienveillant peine à s’imposer au sein de la scène country blues du fait d’un style très atypique et trop intimiste. Son jeu au doigt incroyablement fluide et délicat reste sans équivalent tandis que son chant inoffensif, trop fluet pour briller face à de larges audiences, se révèle en revanche agréable et réconfortant. John Hurt triomphe finalement grâce aux reviviscences folk et blues des années soixante, après plusieurs décennies de tranquille anonymat.
Freddie King, né Fred King (1934-1976)
Ce guitariste surnommé le « Texas Cannonball » se fait connaitre à partir du début des années soixante grâce à une série de tubes instrumentaux très accrocheurs. Ses soli et ritournelles effectués avec une technique au doigt héritée du blues rural adaptée à la guitare électrique influenceront une myriade de guitaristes, ce qui lui vaudra d’être considéré comme le troisième roi du blues électrique avec Albert King et B.B. King. Freddy Christian brille également par approche très métissée, aussi bien dans le choix de ses musiciens que dans son orientation stylistique (surf rock, bossa nova, funk etc.).
Little Walter, né Marion Walter Jacobs (1930-1968)
Le plus talentueux harmoniciste du genre demeure à l’origine de nombreuses innovations dont certaines tirent profit de l’amplification durant l’après-guerre. Aussi brillant sur le devant de la scène qu’en équipe avec notamment Muddy Waters, Marion Walter Jacobs s’impose autant en improvisateur de génie qu’en compositeur remarquable et reste à l’origine d’une impressionnante série de quatorze tubes entre 1952 et 1958. Son alcoolisme et la violence qui en découle entraineront son décès prématuré à trente-sept ans.
Skip James, né Nehemiah Curtis James (1902-1969)
Parmi les premiers bluesmen du delta à bénéficier de l’enregistrement et sans conteste l’un des plus influents, Nehemiah Curtis James se révèle notamment grand inspirateur de Robert Johnson. Pianiste à ses heures, il brille bien davantage par son jeu de guitare atypique à trois doigts sur un accordage en ré mineur, évoquant plutôt le style du Piedmont, ainsi que par sa voix de fausset très envoûtante. Après un long détour par l’église, il bénéficie des reviviscences des années soixante et influence notamment Clapton et Deep Purple.
Blind Lemon Jefferson, né Lemon Henry Jefferson (1893-1929)
Ce texan victime de cécité congénitale reste le premier bluesman rural à bénéficier d’un succès commercial après les chanteuses du vaudeville. Il est au Texas ce que Charley Patton est au Delta et influencera les plus grands artistes de la région, de Leadbelly à T-Bone Walker en passant par Lightnin’ Hopkins, mais également Bob Dylan et Jefferson Airplane, baptisé ainsi en son hommage. Sa voix chaleureuse est soutenue par un jeu de guitare polyvalent inspiré du flamenco des mexicains, et notamment fameux pour ses phrasés complexes, vifs et délicats.
Lonnie Johnson, né Alonzo Johnson (1899-1970)
Particulièrement novateur au sein de la scène country blues d’avant guerre, Alonzo Johnson demeure l’un des plus grands mélodistes de l’époque. Il contribue autant à l’évolution du genre en s’aventurant régulièrement vers le jazz qu’à celui de son instrument en déployant une virtuosité inédite. Grand pionnier du solo de guitare, son jeu se révèle si fluide, vif et mélodieux qu’il rend souvent facultatif tout accompagnement vocal. Son héritage est inestimable.
Robert Johnson, né Robert Leroy Johnson (1911-1938)
Légitime souverain du delta blues grâce à une légende bien ficelée et des prestations parmi les plus poignantes du genre, Robert Johnson dispense un héritage considérable qui dépasse largement les frontières du blues pour envahir profondément le rock, ce malgré le peu de matériel musical laissé derrière lui. Son âme torturée et ses drames personnels, attribués au fameux pacte avec le diable, sont sublimés à travers des compositions de génie, un jeu de guitare impressionnant et un chant vif, délicieusement tourmenté.
Blind Willie Johnson, né William Johnson (1902-1947)
Aveuglé accidentellement à la lessive par sa belle-mère à sept ans, Blind Willie Johnson se tourne vers la guitare qu’il apprivoise à la manière d’un bluesman, aidé d’un canif en guise de bottleneck. Brillant instrumentiste et prêcheur, il consacre l’essentiel de sa carrière au gospel, au folk et délaisse les thématiques du blues rural. Son chant très habité, caverneux, dont la gravité et la raucité sont souvent forcées, demeure l’un des plus envoutants de l’époque, notamment lorsqu’il est couplé à celui de sa femme Angeline.
B.B. King, né Riley B. King (1925-2015)
Élevé au blues rural, notamment auprès de son cousin Bukka White, Riley B. King s’impose progressivement comme le plus illustre des rois du blues moderne. Ses voluptueux soli, incroyables de fluidité et attisés par son fameux vibrato de la main gauche sont profondément ancrés dans la pratique de la plupart des guitaristes qui suivront, tout comme son chant résonnera au fil de l’évolution de la musique noir américaine. Personne n’aura davantage œuvré pour la popularisation du blues.
Lead Belly, né Huddie William Ledbetter (1888-1949)
Souvent affilié au seul courant blues, Huddie Ledbetter demeure avant tout un véritable chaînon manquant du folklore américain. Parmi les premiers à remanier les vieilles chansons traditionnelles qui lui sont transmises oralement, il les popularise en ville grâce à ses vocalises robustes et sa guitare à 12 cordes, notamment en prison pendant de longues années puis à New York où il influencera énormément Pete Seeger, Woody Guthrie et bien d’autres. Ce succès grandira encore après son décès d’une sclérose latérale amyotrophique.
Furry Lewis, né Walter E. Lewis (1893-1981)
Basé sur la scène de Memphis, Walter Lewis s’impose parmi les plus grands paroliers du country blues, son chant demeurant paisible malgré un débit souvent élevé. Aussi à l’aise en slide qu’en finger picking, il bénéficie de nombreux enregistrements mais son succès reste modeste durant les années vingt. La redécouverte de son œuvre trente ans plus tard le propulse au sein des vieux bluesmen les plus populaires et lui offre une courte carrière médiatique et cinématographique.
Blind Willie McTell, né William Samuel McTier (1901-1959)
Atypique et audacieux, ce bluesman rural du Piedmont demeure l’un des plus progressistes de l’avant-guerre. Instruit à lire et écrire la musique en braille, il développe une technique au doigt singulière, impressionnante de vélocité sur une guitare à douze cordes et n’hésite pas à se lancer régulièrement dans des improvisations. Son chant nasillard, tantôt plaintif, tantôt plus paisible, le rapproche parfois des chanteur blancs hillbilly. Sa carrière admirable se conclut par une reconversion plus discrète en pasteur alcoolique.
Memphis Jug Band (1927-1935)
Au milieu de tous ces jug bands et de leurs instruments faits maison, des cruches à whisky aux « contrebassines » en passant par les planches à laver, cette petite troupe de Memphis reste la plus illustre. Mené par Will Shade, le collectif obtient son premier contrat avec une maison de disques en 1927 et verra passer en son sein des artistes aussi brillants que Memphis Minnie ou Furry Lewis, ceci jusqu’à ce que sa popularité s’effrite dans les années 30. Ceci n’empêchera pas le groupe de survivre jusqu’au décès de Will Shade en 1966.
Slim Harpo, né James Isaac Moore (1924-1970)
Plus rustique et relâché que celui de Jimmy Reed, le boogie de James Moore se révèle tout aussi accommodant et séduisant, notamment auprès des jeunes groupes britanniques des années soixante. Son chant nasillard et sa tendance à flirter avec le rockabilly en ferait presque un équivalent noir et blues de Buddy Holly, ce qui, ajouté à sa grande finesse dans la confection des chansons ne tarde pas à la consacrer en digne représentant de ce fameux swamp blues de Louisianne.
Muddy Waters, né McKinley Morganfield (1915-1983)
Baptisé selon une tendance infantile à patauger dans les eaux boueuses du Mississippi, McKinley Morganfield migre vers le nord et s’impose comme le véritable chef de file du blues électrifié de Chicago avec un chant rauque, exubérant, chaleureux et un jeu de guitare minimaliste mais très accrocheur. Bien aidé par de talentueux collaborateurs tels que Willie Dixon ou Little Walter, il devient également l’un des rares bluesmen à connaitre la prospérité et demeure parmi les artistes les plus influents du blues de l’après-guerre sur le rock.
Albert King, né Albert Nelson (1923-1992)
Cet artiste au physique imposant demeure avec B.B. King et Freddie King l’un des plus influents sur les guitaristes « modernes ». Gaucher, Albert Nelson développe un jeu singulier en retournant des guitares sans inverser les cordes (contrairement à ce que fera Jimi Hendrix), ce qui lui permet notamment de tirer les cordes vers le bas pour aller chercher la fameuse blue note comme personne. Son glorieux passage chez Stax lui offrira ses plus beaux succès avec le soutien soul et funk de Booker T. & the MG’s.
Charley Patton (1891-1934)
Ce métis noir et natif américain (Elder J. Hadley) devient la première grande star du delta blues dans les années vingt. Saltimbanque impressionnant, sans pareil pour galvaniser le public, il ouvre la voie à de nombreux artistes de la région, notamment Son House. Son chant maussade, grave, rauque, d’une incroyable lourdeur et ponctué de braillements plaintifs inspirera Howlin’ Wolf tandis que son jeu de guitare rythmé à la main sur l’instrument ou au pied influencera John Lee Hooker.
Ida Cox, née Ida M. Prather (1896-1967)
Surnommée la « reine sans couronne du blues », Ida Prather se fait connaitre en se produisant dès 14 ans dans les théâtres itinérants du sud avant d’être accompagnée un temps par Jelly Roll Morton. Ses miaulements plaintifs et passionnés lui permettent d’obtenir un contrat et d’enregistrer plusieurs dizaines de chansons pour la Paramount dans les années vingt. Elle évoluera auprès de pianistes et trompettistes parfois renommés jusqu’à ce qu’une attaque ne l’incite à se retirer du circuit en 1944.
Ma Rainey, née Gertrude Pridgett (1886-1939)
Vingt ans après ses débuts, la « mère du blues » reste parmi les premières vocalistes à bénéficier de la capture sonore et bénéficie du soutien des plus grands instrumentistes blues et jazz de l’époque. Ses geignements balourds mais majestueux influenceront logiquement la plupart des chanteuses qui suivront, notamment Bessie Smith qui finira rapidement par lui voler la vedette. Gertrude Rainey laisse pourtant derrière elle un héritage immense, à commencer par un catalogue de plus de cent titres.
Jimmy Reed, né Mathis James Reed (1925-1976)
Mathis James Reed ne brille pas autant que certains par la virtuosité vocale ou instrumentale mais ses élans de boogie appuyés, entrainants et particulièrement accessibles lui procurent un succès immédiat et massif. Son approche rudimentaire faite de grooves imparables associés à ses ritournelles accrocheuses à l’harmonica ou à la guitare influenceront tout un tas de musiciens blancs, à commencer par Elvis Presley et les Rolling Stones. Sa musique demeure l’une des meilleures voies d’abord du blues.
Bessie Smith (1894-1937)
Prise sous l’aile de Ma Rainey à ses débuts, Elizabeth Smith ne tarde pas à la surpasser ainsi que toutes ses rivales pour devenir la meilleure chanteuse de l’époque, et l’une des plus grandes de l’histoire. La puissance et la chaleur de ses vocalises, soutenues par les plus grands pianistes et trompettistes, semblent outrepasser la piètre qualité des enregistrements des années vingt. Après un déclin relatif de popularité qui suit celui du blues vocal au début des années trente, l’impératrice du blues décède lors d’un accident de voiture en 1937.
Clara Smith (1894-1935)
Clara Smith n’a jamais été considérée au niveau de ses plus illustres contemporaines, notamment des deux autres Smith (Bessie et Mamie), mais elle a pourtant des atouts à revendre. Moins puissante, moins rayonnante, sa voix est en revanche plus soyeuse jusqu’à parfois en devenir exquise. Surnommée la reine de gémisseuses, elle fera le bonheur des cabarets et bars clandestins new-yorkais, puis enregistrera une centaine de chansons avant de mourrir d’une crise cardiaque, alors âgée d’à peine plus de quarante ans.
Victoria Spivey, née Victoria Regina Spivey (1906-1976)
Celle que l’on surnommait la Reine Victoria savait presque tout faire : composer, chanter, s’accompagner au piano, à l’orgue ou au ukulele mais également se faire accompagner des plus grands, parmi lesquels Louis Armstrong et Bob Dylan. Après une vingtaine d’année de carrière, elle décide de ne se consacrer qu’au chant religieux dans les églises mais revient en force pour les reviviscences blues des années soixante, et fonde même sa maison de disques : Spivey records.
Roosevelt Sykes (1906-1983)
Comme il le disait si bien, le bluesman n’est pas déprimé ou dérangé mais il a quelque chose à proposer aux gens déprimés. Les ritournelles du pianiste, loin d’être tristes et molles, pourraient tout à fait être qualifiées d’anti-dépressives tant elles virevoltent et rebondissent allègrement sous ses doigts et ses paroles au mieux polissonnes, au pire carrément graveleuses. De ses 15 ans aux années quatre-vingt, elles auront traversé les États-Unis du Mississippi à Chicago en passant par New York pour finir à la Nouvelle Orléans.
« Big Mama » Thornton, née Willie Mae Thornton (1926-1984)
Cette imposante chanteuse (Willie Mae Thornton) reste célèbre pour seul et unique tube : le rugissant « Hound Dog » qui sera surpassé puis occulté par la version d’Elvis Presley. Loin d’être inconsistant, le reste de son catalogue contient quelques sympathiques élans vigoureux oscillant entre R&B et rock ‘n’ roll, et dont une bonne partie est composée par le fameux duo Leiber/Stoller. Malgré son déclin, elle continuera à se produire et à enregistrer jusqu’à son décès dans les années quatre-vingt.
Black Ace, né Babe Kyro Lemon Turner (1907-1972)
Le texan Babe Turner apprend lui-même à jouer de la guitare sur un instrument qu’il se construit dans sa ferme familiale du Texas avant qu’Oscar « Buddy » Woods ne l’incite à poser sa guitare à plat sur les genoux pour effectuer ses glissades à la mode hawaïenne. Il joue quelques titres de blues rural assez classique en 1937 sur lesquels résonne ses vocalises moelleuses, puis abandonne la musique pour le cinéma et l’armée avant de réenregistrer à nouveau dans les années soixante.
T-Bone Walker, né Aaron Thibeaux Walker (1910-1975)
Ce disciple de Blind Lemon Jefferson demeure le plus illustre et influent des bluesmen texans. Pionnier de la guitare électrique, Aaron Thibeaux Walker popularise de longs et délicats soli inspirés du jazz qui imprègne élégamment sa musique et développe parallèlement un jeu de scène novateur. Ceci lui vaudra l’admiration sans bornes de Chuck Berry ainsi que de nombreux bluesmen et guitar heroes parmi lesquels Jimi Hendrix.
Casey Bill Weldon, né William Weldon (1909-1972)
Après quelques années à se produire dans des spectacles itinérants, Casey Bill Weldon commence à enregistrer dès 1927 mais seulement en 1935 en son propre nom. Surnommé le magicien de la guitare hawaïenne, il est l’un des premiers bluesmen sinon le premier à poser son instrument à plat sur les genoux pour effectuer ses glissades. Son mariage de courte durée avec Memphis Minnie lui inspirera ses chansons les plus connues avant qu’il ne tombe dans l’anonymat après 1938.
Bukka White, né Booker T. Washington White (1906-1977)
Après avoir côtoyé Charley Patton, Booker T. Washington White développe un blues rural typique du delta, très axé sur les discours et l’improvisation, et marqué par la raucité de son chant, un rythme très appuyé, un jeu de guitare rugueux ainsi qu’une utilisation du slide assez rudimentaire. Contrariée par la grande dépression puis par un séjour en prison, sa carrière peine à décoller si bien qu’il retourne à l’usine. La reprise de « Fixin’ to Die Blues » par Bob Dylan lui permet d’émerger à nouveau dans les années soixante.
Josh White, né Joshua Daniel White (1914-1969)
Apprenti de plusieurs ténors du blues rural, Joshua White ne tarde pas à devenir lui-même un illustre représentant du genre dans le style du Piedmont. Durant les années trente, il s’installe à New York et s’oriente logiquement vers le folk protestataire avant de sophistiquer progressivement son style (jazz, gospel etc.) dont la popularité culminera dans les années soixante. Excellent guitariste, il brille également par ses vocalises sensuelles, imposantes, accommodantes qui séduisent immédiatement et durablement jusqu’à son décès sur une table d’opération.
Big Joe Williams, né Joseph Lee Williams (1903-1982)
Particulièrement bourru et infréquentable, Joe Lee Williams demeure au sein de la scène du Delta l’un des plus proches de ses racines africaines. Sa pratique très percussive de la guitare en témoigne à merveille tout comme ses vocalises exubérantes dont les aspects mélodiques demeurent assez rudimentaires. Sa longue carrière est caractérisée par d’incessants vagabondages, de nombreuses bagarres et sa prédilection inaltérable pour la guitare à 9 cordes.
Sonny Boy Williamson I, né John Lee Curtis Williamson (1914-1948)
À lui seul, ce virtuose élève l’harmonica au rang d’instrument soliste sur un mode d’appel/réponse avec son chant. John Lee Williamson se révèle également grand acteur de l’urbanisation de blues en étoffant son orchestre et en collaborant au-delà des frontières du blues. Victime de son talent et notamment d’une célèbre usurpation d’identité, il ouvre la voie à la plupart des harmonicistes blues du vingtième siècle avant d’être tué violemment à 34 ans.
Tampa Red, né Hudson Woodbridge (1904-1981)
Surnommé « magicien de la guitare » dans les années trente, Hudson Woodbridge demeure l’un des plus mémorables glisseurs du blues rural. Sa technique précise et gracieuse combinant slide et finger picking sur une guitare à résonateur le singularise de ses rivaux du delta plus portés sur les aspects rythmiques. Ses trente ans de carrière le conduisent à des enregistrements nombreux, éclectiques, souvent en collaboration avec des pianistes tels que Georgia Tom Dorsey et Big Maceo.