Voici une sélection de soli (pour ne pas dire solos) de guitare que je peux raisonnablement désigner comme mes favoris. Ceci ne signifie pas qu’ils soient les plus beaux, virtuoses ou techniques de l’histoire mais simplement qu’ils restent parmi ceux, sinon ceux que je prends le plus de plaisir à écouter. Certains mélomanes déploreront donc de ne pas y trouver Jimmy Page, Jimi Hendrix, Stevie Ray Vaughan, Jeff Beck, Steve Vai, Joe Satriani, Eric Clapton ou encore Randy Rhoads. Ils n’auront pas davantage des merveilleux soli de Bohemian Rhapsody et Hotel California. Qu’ils me pardonnent et jettent tout de même un coup d’oreille à cette sélection.
Le classement n’est qu’alphabétique.
Eddie Van Halen sur « Beat It » de Michael Jackson (1983)
Ce solo fabuleux résulte d’une collaboration parmi les plus improbables de l’histoire. Après avoir cru à un canular lors de l’appel de Quincy Jones, Eddie Van Halen se retrouve au studio le lendemain face au producteur. Jones l’encourage alors à faire ce qu’il veut sur « Beat It », ce malgré les mises en garde un peu ironiques du guitariste (« si tu en connais un minimum sur moi, tu sais que tu devrais faire un minimum attention avant de me laisser faire ce que je veux »). Van Halen commence par modifier la structure de la chanson pour mieux improviser un solo, puis un deuxième. Il s’attend alors à se faire jeter comme un malpropre par Michael Jackson mais celui-ci le remercie non seulement pour le solo mais aussi pour avoir contribué à rendre la chanson encore meilleure, et tout ça gratuitement!
David Gilmour sur « High Hopes » de Pink Floyd (1994)
Gilmour est connu pour tirer un peu trop sur la corde dans tous les sens du terme, de même qu’il a tendance à rendre interminables ses langoureuses glissades sur manche. J’aurais pu choisir le solo de « Comfortably Numb« , celui, plus compact, de « Another Brick in the Wall, Pt. 2 » ou d’autres encore mais j’ai préféré la fin de « High Hopes ». Il y sonne comme la caricature de lui-même, soit comme la caricature d’une caricature. Mais quelle caricature! Ce solo est poignant, déchirant, grandiloquent certes mais d’une beauté ahurissante. Hissé au sommet d’une belle chanson elle-même au sommet d’un album médiocre, il s’agit là du plus bel enterrement qui puisse être fait à un tel groupe.
Ritchie Blackmore sur « Highway Star » de Deep Purple (1972)
Voici le modèle du solo pénien que tant d’artistes ont essayé d’imiter et que bien peu ont surpassé depuis près de 50 ans. Ritchie Blackmore bénéficie d’une rampe de lancement idéale avec ce premier solo du claviériste Jon Lord et atteint une vitesse à la hauteur des enjeux de la chanson, à savoir l’amour d’un mec pour sa voiture (puis pour sa copine dans le deuxième couplet tout de même, c’est gentil de penser à elle). I semblerait que les deux solistes se soient inspirés de Bach, grand bien leur fasse. On ne pouvait laisser Bach qu’à Procol Harum et en priver tous ces groupes de metal qui suivront pendant des décennies. Ils iront parfois plus vite, parfois plus loin et souvent même trop loin.
John Frusciante sur « I Could Have Lied » des Red Hot Chili Peppers (1991)
J’ai toujours dit qu’Anthony Kiedis chantait souvent délicieusement faux. Et bien John Frusciante joue plutôt juste mais souvent comme un délicieux débutant. Ce petit solo tout mignonnet semble d’ailleurs avoir été pioché dans une méthode de guitare pour ados qui veulent faire tomber les filles. Ce n’est pas sa mélodie rudimentaire qui le rend savoureux, ni la virtuosité assez limitée du guitariste. Non, ce qui fait la force de ce solo, c’est son toucher, sa sensualité pour ne pas dire son groove tout simplement exquis. Et ça, un débutant aura bien du mal à y arriver. Alors plus que jamais, méfions-nous des guitaristes qui sonnent un peu trop comme des débutants.
Ian Bairnson sur « I Wouldn’t Want to be Like You » du Alan Parsons Project (1977)
Je me demande moi-même souvent ce que fait cet illustre inconnu dans une telle sélection mais à chaque fois que je réécoute ce foutu solo, je ne peux plus m’en dépêtrer. Je le considère parfait à tous les points de vue. Les notes sont toutes celle qu’il faut, toutes à leur place, le tout pour un résultat hyper compact et puissant : une vraie claque. Ceux qui connaissent le perfectionnisme d’Alan Parsons ne seront peut-être pas surpris par ces commentaires. Au diable la virtuosité! Nous ne sommes pas sur du Clapton, du Satriani ni sur de la masturbation frénétique de manche qu’on nous sert à toutes les sauces depuis des lustres. Rien de spectaculaire ici, seulement du travail méticuleux.
Billy Gibbons sur « La Grange » de ZZ Top (1973)
Pour composer ce qui demeure la plus célèbre pièce de boogie rock de l’histoire, les barbus sont aller piocher leurs ingrédients chez John Lee Hooker dont les ayants droits ont fini par protester, en vain. Billy Gibbons y étend son solo avec un certain ludisme sur les deux tiers du titre sans jamais lasser. On pourrait aisément penser que n’importe quel solo puisse faire l’affaire sur une section rythmique aussi endiablée, mais que nenni! Ceux qui s’y sont essayés savent que ça ne suffit pas, et ceux qui veulent en avoir le coeur net peuvent aller prêter une oreille à d’autres efforts tels que « Just Got Paid » ou « Sharp Dressed Man » pour constater que le souci de Gibbons est bien davantage de magnifier les chansons que de les occulter par sa virtuosité.
Slash sur « November Rain » des Guns N’ Roses (1992)
Le clip nous montre un Slash qui sort seul d’une église isolée au milieu d’une gigantesque plage abandonnée. Cheveux au vent, jambes écartées, il entame ce qui reste son solo le plus emblématique avec sa Gibson en pleine érection sous la ceinture. À la lecture de cette description, nombre d’oreilles devraient déjà fuir ou se boucher, et c’est bien légitime. Il est vrai que ce solo est franchement dégoulinant, milieux, sirupeux, qu’écris-je, spermatique! Cependant, c’est ce qui s’est fait de mieux en la matière, et la décennie précédente sait bien qu’il y en a eu de la matière avec tous ces guignols du metal à cheveux ventilés (voir les clips de l’époque sur MTV). Heureusement qu’ici la musique tient la route.
? sur « Radian » de Air (2001)
Ce solo dénué de toute distorsion ne paye pas de mine et fait volontiers figure d’intrus dans cette sélection flamboyante mais ne pas se laisser tromper, il faut. Je n’ai jamais réussi à savoir qui avait exécuté cette petite merveille. Est-ce l’un des deux lurons? Un musicien de studio? Personne ne semble avoir été directement crédité pour cette pépite qui se situe à la fin de l’interlude, un interlude qui est en réalité le morceau lui-même, cloisonné par une introduction et une conclusion toutes deux sans grand intérêt. Il s’agit probablement de ce que le duo a fait de mieux dans son style caractéristique, sensuel et éthéré. Le solo s’écoule parfaitement dans cette veine, doux, discret mais incroyablement poignant.
Ed King sur « Sweet Home Alabama » de Lynyrd Skynyrd (1974)
Les experts semblent continuer à se chamailler depuis près de 50 ans pour savoir si Ed King a joué ou non dans la bonne gamme (il semblerait que non). Il est en revanche une vérité que personne n’ose contester : sa performance est magistrale, quelle que soit la gamme. Pour preuve, après avoir essayé encore et encore de réenregistrer quelque chose d’autre, lui et acolytes ont finalement renoncé et préféré conserver le solo original. D’après la légende contée par le guitariste lui-même, ce solo lui serait venu dans un rêve durant une nuit où il dormait avec sa guitare (ah, ces musiciens…). Le charme de ce solo tient en effet pour beaucoup beaucoup à ses délicieuses petites faussetés, qui n’en sont peut-être pas finalement.
Mark Knopfler sur « Telegraph Road » de Dire Straits (1982)
Knopfler est probablement le plus inimitable des guitaristes de la sphère rock, et cette petite symphonie de quatorze minutes est là pour offrir un éventail de tout ce qu’il sait faire à la guitare et au-delà. Je surestime probablement la valeur de ce « Telegraph Road » qui m’a accompagné pendant une bonne partie de mon enfance, de même que l’album dont il fait partie. Le solo ou les soli s’étendent quasiment sur toute la chanson. S’il fallait en choisir un ou une partie, ce serait évidemment le bouquet final. Et s’il ne fallait en garder qu’un, ce serait celui-ci : intense, vibrant, poignant, déchirant, inégalé, ce malgré des sonorités un peu trop synthétiques au niveau de la section rythmique (années 80 oblige).
Marty Friedman sur « Tornado of Souls » de Megadeth (1990)
Voici le solo athlétique par excellence. Marty Friedman y parvient à tout donner malgré l’espace réduit offert par son meneur et dictateur en chef Mustaine. Le courant Thrash fourmille de ce genre d’efforts de solistes mais aucun d’entre-eux, et surement pas le valeureux mais robotique Kirk Hammett de Metallica, ne parviennent à la cheville de ce solo. Ceux qui ne sont pas refroidis par la férocité de la musique de Megadeth pourront allez tendre l’oreille vers l’album concerné (Rust in Peace) dans lequel fourmillent les pépites de Friedman ainsi que vers les deux albums suivants (Countdown to Extinction et Youthanasia) qui sont un poil plus accessibles.