Si les causes sont ainsi notre pain quotidien, elles ne vont pourtant pas sans soulever un certain nombre de problèmes conceptuels et pratiques.
Les philosophes essaient depuis maintenant plusieurs siècles de cerner la causalité, mais aucun n’a réussi à formuler une caractérisation qui soit complètement satisfaisante.
C’est qu’aucune de nos intuitions relatives à la causalité n’est infaillible et ne permet de formuler une définition valant sans exception.
Dans ces conditions, nous appuyer sur ces intuitions pour identifier les causes nous conduit parfois à nous tromper.
Il arrive que des causes réelles restent cachées, se manifestant si peu que nous ne pouvons les détecter.
Plus souvent, nos erreurs proviennent de ce que nous croyons voir des causes là où il y a, en fait, des coïncidences seulement fortuites ou des relations plus complexes que nous ne saisissons pas.
Enfin, dans le cas où il y a bien une cause qui explique ce que nous observons, il n’est pas rare que nous attribuions à ces phénomènes une autre cause, d’une façon qui, pour être plus intuitive, n’en est pas moins fausse.C’est ce que nous découvrirons dans ce livre à partir de nombreux exemples de telles erreurs parfois inquiétantes, parfois amusantes.
Tout bon ou mauvais psy qui se respecte, qu’il soit chiatre, chologue, chothérapeute, chanalyste, se retrouve régulièrement lancé « à la recherche de la cause ». Cette quête parfois passionnante, parfois plus rébarbative, ne doit faire oublier que si elle semble nécessaire, elle n’est pas pour autant suffisante et qu’elle reste surtout soumise à des phénomènes qui dépassent aussi bien le psy que son patient.
Ce véritable besoin de causalité qui s’exprime chez l’Homme depuis la nuit des temps (et pas forcément lié à une sorte de frénésie actuelle dénoncée ici ou là) le conduit souvent à se laisser piéger par ses intuitions. Ce bouquin, petit mais brillant, nous le rappelle judicieusement, sans détours indigestes ni méthode miracle, ce qui n’empêchera personne de gagner en lucidité.
Entre les causes que l’on ne voit pas, celles que l’on voit mais qui n’en sont pas forcément, celles qui en sont mais qui peuvent en masquer d’autres, il devient parfois difficile de s’y retrouver. La moins mauvaise manière de se rapprocher de la vérité reste encore de bien connaître ce qui peut nous en écarter, à commencer par nos croyances et notamment l’illusion de contrôle, une tendance à surestimer notre maitrise de l’environnement, parfois au point de sombrer dans des prédictions excessives. Un psy (non déprimé) aura ainsi tendance à s’attribuer davantage les réussites de son patient que les échecs de ce dernier. Si un patient se sent mieux à l’hôpital, les soignants l’expliqueront davantage par les bon soins qui y sont prodigués que par ce qui pouvait lui nuire à l’extérieur (tendance à privilégier le fait par rapport au non fait). Si un patient va mieux depuis qu’il consulte un psy, cette amélioration n’est peut-être pas liée à l’intervention (corrélation n’est pas causalité). En effet, toutes les souffrances ne durent pas, certaines régressent naturellement de même que certaines maladies évoluent spontanément vers la guérison. Ce phénomène de régression vers la moyenne peut cependant être accéléré par une psychothérapie ou par un médicament. On pourrait s’attendre à ce que la détérioration de l’état d’un patient consécutive à l’intervention d’un psy conduise ce dernier à une remise en question de sa démarche mais ce n’est hélas pas systématique puisque souvent contraire à ses croyances. Il ira chercher des causes ailleurs, parfois même réelles (une cause peut en masquer une autre), sans examiner la possibilité que son attitude, ses conseils ou ses prescriptions médicamenteuses puissent également être à l’origine de cette dégradation. Certaines situations incitent même à inverser les causes et les effets, et notamment à croire que des dysfonctionnements parentaux seraient à l’origine d’une maladie mentale chez un enfant, alors que l’inverse est en général bien plus probable.
Si certaines questions ne trouvent pas à ce jour de réponses plus précises que le modèle stress-diathèse, nous disposons de quelques outils pour limiter nos erreurs d’attribution et pour tester certaines de nos hypothèses, notamment lorsqu’il s’agit de cerner les causes du maintien d’une souffrance ou d’un dysfonctionnement chez un patient.
Si nous sommes tres ferus de causalité, nous le sommes au moins autant de finalité : l’essentiel étant de ne jamais laisser de place au hasard – qui « n’existe pas », c’est bien connu.L' »hôte indesirable de la pensée humaine ».
Lisez et faites lire l’excellent article de Gerald Bronner, (Revue française de sociologie 2007/3 Vol 48 – Cairn.info) intitulé « La resistance au darwinisme : croyances et rausonnements ».